Un médecin belge a été incarcéré fin Décembre 2001. Il recevait plusieurs centaines de patients français (entre 500 et 700 selon les sources) pour leur prescrire de la méthadone. Comment notre système de soins a-t-il réagi à un tel afflux ? Quelles ont été les réactions des patients et des soignants ?
Le premier réflexe a été de permettre aux différents professionnels de mener une réflexion commune sur le territoire concerné pour organiser la gestion de ce phénomène, mais étant donné la période (fêtes de fin d’année) et le nombre de centres intéressés (12), cette réunion n’a pu se faire que fin Février ; le médecin incriminé avait repris ses activités depuis quelques jours. Les partenaires ont constaté que patients et professionnels avaient trouvé des solutions avec un temps de latence relativement court (environ 10 jours) compte tenu du contexte des fêtes.
Il faut resituer le contexte : la différence de cadre de prescription entre les deux pays avait suscité pendant les 4 années précédentes un travail transfrontalier dans le cadre du programme INTERCEG. Les associations « Cèdre Bleu » et « Généralistes et Toxicomanies » (côté français) et le CPAS de Charleroi et l’association « Citadelle » (côté belge) avaient analysé les pratiques de part et d’autre de la frontière et cherché à harmoniser les prises en charge dans l’intérêt du patient. D’un côté, on a une prescription initialement encadrée par un dispositif réglementaire très précis (CSST avec passage quotidien et analyses d’urines), de l’autre on a une prescription variable suivant l’équipe médicale qui peut aller jusqu’à une pratique type « réduction des risques » (prescription pour un mois ou plus, sans condition).
La condamnation du praticien n’est sans doute pas liée à la pratique « bas seuil » mais aux conditions éthiques de délivrance (après contact téléphonique sans voir le patient par exemple). Pour nous, la principale préoccupation est de savoir si on fait de la médecine ou du business. Quid de la prise en charge globale du patient ? A t-il été pesé, ausculté ? S’est-on préoccupé de savoir s’il avait un toit et s’il mangeait tous les jours ? A t-il eu des conseils de prévention et de dépistage pour SIDA et hépatites ? Le produit est sur prescription médicale pour des raisons de dangerosité mais étant donné la réalité du marché noir, ce n’est pas un argument suffisant. L’important est d’utiliser cette compétence à bon escient, ce qui nécessite de ne pas se laisser déborder par le nombre. La première chose qui m’a été expliquée par mes pairs au début de mon aventure avec les toxicomanes est la nécessité de savoir dire non… C’était effectivement plus important que de connaître la physiopathologie des neurotransmetteurs cérébraux. Pour ce qui est de nos français utilisateurs de méthadone belge, environ 120 patients ont contacté les centres français pour être dépannés en l’absence de leur fournisseur habituel. Les autres ont sans doute contacté d’autres prescripteurs belges ou profité de l’occasion pour arrêter la méthadone, prenant conscience de la dépendance au prescripteur. Certains ont très certainement rechuté, mais nous ne les avons pas rencontrés.
Sur les 120 patients repérés en France, environ 1/3 ont abandonné leur démarche étant habitué à une réponse plus immédiate de prescription. Pourtant, les centres ont modifié leurs pratiques et assoupli les conditions d’accès au traitement. Mais chacun reste dans sa logique d’accompagnement : celle du soin ou celle de la réduction des risques. L’important est de pouvoir l’expliquer clairement au patient. Personnellement, j’ai un regret : on avait là une cohorte de patients suffisante pour faire une étude comparative de la clinique de la substitution : méthadone (belge) versus buprénorphine (France) sans le biais du cadre de prescription (primo-prescription par le MG sans contrôle urinaire). L’ouverture des frontière permettra peut-être de réaliser ce type de travail ultérieurement.
Commentaires de la rédaction du Flyer :
L’opposition soin – réduction des risques évoquée par le Dr VANHOENACKER nous paraît nécessiter un commentaire.
La prescription ‘facile’ d’un traitement de substitution, qu’il s’agisse de méthadone en Belgique, ou de buprénorphine en France ne peut résumer à elle seule une stratégie dite de réduction des risques. De la même manière, la prise en charge dans le cadre d’un CSST, avec un niveau d’exigence plus élevé n’exclut pas l’usage d’une action en faveur de la réduction des risques. Un grand nombre de ‘programmes’ méthadone français et étrangers ont été élaborés dans le cadre de la réduction des risques liés à l’usage de drogue, et participent au soin des populations qu’ils accueillent.
Ce qui nous semble en l’occurrence plus révélateur dans ce propos, ce sont les conséquences d’un gradient (en l’occurrence transfrontalier) qui existe dans la ‘pratique des seuils’ entre un médecin particulièrement soucieux de procurer de la méthadone à ceux qui lui en demandent, et un médecin exerçant dans un CSST, exerçant lui-même son activité dans un cadre thérapeutique défini par une série de circulaires, une AMM et des pratiques ‘historiques’ différentes.
Cette différence peut exister aussi au sein d’une même ville (les exemples ne manquent pas), où peuvent cohabiter un ou plusieurs médecins pratiquant un bas seuil d’exigence en matière de prescription de traitement de substitution (mais un haut niveau d’adhésion de la part des patients !), et un CSST mettant en œuvre des pratiques dites de ‘haut seuil’.
Quelque soit le bien-fondé des arguments des uns et des autres sur le seuil qu’il convient d’appliquer aux usagers de drogue, il paraît toutefois opportun de se demander pourquoi des centaines d’usagers de drogue vont en Belgique, parfois à plus de 100 km de leur domicile, paient le médecin, la méthadone, alors qu’en théorie, elle est disponible et gratuite en France, autant que les consultations, et dans des conditions de proximité bien meilleures.
Cela ne pose-t-il pas la question de l’accès de la méthadone en bas-seuil ?
Lire la réponse d’Yves LEDOUX (Sociologue, APB, Bruxelles, Belgique) : Histoire belge ou enjeu européen ?, publié dans Le FLYER n°13
Lire la réponse d’Eléonore de VILLERS (Citadelle, Tournai, Belgique) : Prescription et délivrance de méthadone dans une perspective transfrontalière – réflexions d’un service belge à la frontière française, publié dans Le Flyer N°15, Février 2004