Introduction
La méthadone est un médicament opiacé largement utilisé en France dans le traitement de substitution de la toxicomanie aux drogues opiacées. En France, la législation impose des analyses urinaires régulières, en particulier la recherche de la présence de méthadone dans les urines. Le laboratoire de l’Hôtel-Dieu de Lyon assure le suivi toxicologique urinaire des patients du centre de dépistage et de prévention des toxicomanies, en particulier le dépistage de la méthadone urinaire. Or, pour certains patients adhérant correctement au traitement selon les cliniciens, les recherches de méthadone urinaire se sont avérées négatives. Ceci nous a conduit à réaliser le dosage urinaire du métabolite principal de la méthadone, l’EDDP (2-éthylidine-1,5-diméthyl-3,3 diphénylpyrrolidine).
Le but de ce travail a été d’évaluer l’intérêt du dosage urinaire de l’EDDP, comparativement à celui de la méthadone, dans le cadre du suivi des patients traités par méthadone.
Matériel et méthodes
462 échantillons urinaires provenant de 42 patients du C.S.S.T ont été analysés. Pour chaque urine, nous avons réalisé en parallèle le dosage de la méthadone et de l’EDDP. La méthadone a été dosée par une technique immuno-enzymatique de type EMITÒ (test Syva EmitÒ d.a.u Ò Methadone de Dade Behring). La détermination de l’EDDP a été effectuée avec la trousse CEDIAÒ d.a.u Ò EDDP (Microgenics). Les seuils de positivité sont respectivement de 300 et 100 µg/ml.
Les résultats ont été exprimés en µg/l ainsi que sous forme d’un rapport EDDP/méthadone. Avant analyse, on note pour chaque urine la transparence, la présence de mousse, l’odeur, la couleur, et on mesure le pH (normales entre 5 et 8) et la densité urinaire (normales entre 1,007 et 1,035), pour vérifier l’absence de fraudes éventuelles.
Résultats et discussion
La comparaison des résultats montre que 436 échantillons sur 462, soit 94,4 % sont parfaitement corrélés. Pour les urines positives en méthadone et en EDDP (92,5 %), les taux de méthadone sont compris entre 307 et 84000 µg/l, ceux de l’EDDP entre 185 et 51000 µg/l. Les urines négatives en méthadone et en EDDP (1,9 %) correspondent à des bilans d’inclusion, pour être sûr que le patient n’est pas suivi dans un autre centre de substitution, ou bien à un arrêt du traitement.
Dans 5,6 % des cas (26/462) on observe des résultats discordants :
- Dans 20 cas on met en évidence la présence d’EDDP mais pas de méthadone.
- Dans 6 cas on met en évidence la présence de méthadone mais pas d’EDDP.
Nous nous sommes plus particulièrement intéressés à ces cas discordants :
- 1) Urines positives en méthadone négatives en EDDP : Ces résultats concernent quatre patients. Pour deux patients, l’absence d’EDDP montre que la méthadone n’a pas été ingérée et donc pas métabolisée. De plus, le taux de méthadone est très supérieur à celui retrouvé dans les urines de patients correctement traités. Pour ces patients, il y a eu probablement fraude, par ajout de sirop de méthadone à une urine « propre », pour masquer une prise d’héroïne par exemple. En mesurant uniquement la méthadone chez ces patients, on aurait pu conclure faussement à une bonne observance du traitement. Pour les deux autres patients il s’agit probablement d’une dilution volontaire des urines (densité urinaire inférieure à 1,004), majorée par une ingestion récente d’alcool.
- 2) Urines négatives en méthadone et positives en EDDP : Ces résultats concernent six patients, et correspondent à des faux négatifs, en terme d’efficacité diagnostique, pour le dosage de la méthadone. Pour ces patients, nous voyons que le dosage seul de la méthadone ne permet pas le suivi correct du patient. En effet, au seul vu du résultat du dosage de méthadone urinaire on peut penser que le patient ne suit pas son traitement, ou qu’il s’agit d’urines émises par un tiers abstinent.
Les » faux négatifs » : hypothèses
Plusieurs hypothèses sont envisageables. Il peut s’agir :
- a) d’un métabolisme accéléré de la méthadone. En effet, la méthadone est métabolisée par les cytochromes P450 hépatiques, et on observe des variations interindividuelles d’un facteur 1 à 7 suivant que le patient a un métabolisme lent ou rapide. De plus, un certain nombre de médicaments, en particulier les inducteurs enzymatiques, sont métabolisés par les mêmes enzymes, et sont donc susceptibles d’augmenter le métabolisme de la méthadone. Dans ce cas la quantité de méthadone urinaire peut être trop faible pour être détectable par un test de dépistage urinaire et on peut s’attendre à une augmentation du rapport EDDP/méthadone.
- b) d’une diminution de l’excrétion urinaire de la méthadone. En effet, la méthadone est une base faible (pKa = 8,6) éliminée par filtration glomérulaire. Son excrétion est donc pH-dépendante : un pH alcalin retarde son élimination par augmentation de la réabsorption tubulaire, un pH acide au contraire augmente son élimination. L’élimination de l’EDDP, elle, n’est pas modifiée par le pH urinaire.
- c) d’une non-observance du traitement (oubli d’une prise par exemple).
- d) d’une posologie administrée trop faible. Le dosage de l’EDDP pourrait donc être une méthode plus fiable que la recherche de méthadone, notamment en fin de traitement, lors de la décroissance progressive des doses de méthadone, pour vérifier l’observance du traitement. Mais rappelons qu’il n’y a pas de corrélation entre la dose de méthadone administrée et les concentrations urinaires de méthadone et d’EDDP.
Le rapport EDDP/méthadone
Pour chaque échantillon, nous avons comparé le rapport EDDP/méthadone, ainsi que le pH urinaire, à des valeurs de référence établies à partir d’urines positives en méthadone et en EDDP chez ces mêmes patients (moyenne pour les 6 patients confondus, soit un total de 59 urines). Le rapport moyen EDDP/méthadone est de 2,93 ± 2,69. Le pH urinaire moyen est de 6,62 ± 0,63. Pour cinq patients, on constate que le pH urinaire est supérieur aux valeurs témoins (pH compris entre 7,4 et 8).
Pour ces patients, le rapport EDDP/méthadone est significativement plus élevé que la moyenne pour 7 urines sur 11 (rapport supérieur ou égal à 10). On peut expliquer ces résultats par une diminution de l’élimination urinaire de la méthadone liée au pH alcalin. Pour les urines dont le rapport est inférieur ou égal à 10 l’interprétation semble moins évidente. Pour le sixième patient (9 urines), nous n’avons pas trouvé d’explication évidente (rapport EDDP/méthadone et pH urinaire dans les valeurs normales). Pour ce patient qui semble présenter un métabolisme particulier il aurait été intéressant de réaliser des dosages plasmatiques.
Conclusion
L’EDDP apparaît comme un marqueur plus fiable que la méthadone dans le suivi des patients sous traitement substitutif par la méthadone. En effet, l’excrétion urinaire de la méthadone varie en fonction de nombreux paramètres (pH urinaire, prise concomitante de médicaments, métabolisme individuel, posologie). De ce fait, l’obtention d’un taux de méthadone inférieur au seuil de positivité peut faire croire à une non-observance du traitement chez des patients prenant correctement leur méthadone. De plus la mesure de l’EDDP permet la détection des fraudes par ajout de méthadone, puisque seule la méthadone sera retrouvée dans l’urine, sans son métabolite.
Le test CEDIAÒ d.a.u Ò EDDP de Microgenics est une méthode simple et facile à mettre en œuvre, dans un laboratoire de biologie polyvalente souhaitant développer un secteur de toxicologie urinaire pour le suivi des patients toxicomanes. Elle permet un rendu rapide des résultats dans le service, qui correspond à l’attente des cliniciens, ainsi qu’ un dialogue efficace avec le patient.
Références bibliographiques
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