Vous avez été nombreux à réagir à l’information qui a été diffusée sur tout le territoire à la mi-mars, notamment sur la page Facebook de la revue. Il est plutôt rare que des médecins soient aussi directement ‘inquiétés’ dans des affaires de prescription de médicaments et de façon aussi visible.
En l’occurrence, c’est la Caisse Primaire d’Assurance Maladie qui a porté plainte contre ces médecins après avoir tenté, semble-t-il, de les raisonner par des convocations, pour eux-mêmes ou leurs ‘patients’.
Selon la dépêche de l’APM du 18 mars, entre les médicaments prescrits et les consultations, le préjudice s’élèverait à près de 2 millions d’euros.
Dès la fin mars, le quotidien lorrain évoquait la pression que subissent d’autres médecins depuis la suspension d’exercice de leurs 3 confrères qui probablement concentraient malgré eux les demandes de prescription de Subutex® et de Skenan® hors cadre de soins. (1)
Les trois hommes, âgés de 51, 54 et 67 ans, ont donné diverses justifications. « L’un dit qu’il a été dépassé, le deuxième invoque sa faiblesse et le troisième dit qu’il n’a pas été entendu par les pouvoirs publics après avoir déposé plainte pour des menaces. Nous n’en avons pas trouvé trace », a précisé le procureur (dépêche APM).
Les médecins encourent jusqu’à 10 ans de prison pour l’aide à l’usage de stupéfiants, jusqu’à cinq ans pour l’escroquerie à la sécurité sociale
Au-delà du versant strictement judiciaire de cette affaire, il faut rappeler que le département de la Moselle se situe en tête du hit-parade des départements que nos amis de la rédaction (Maroussia Wilquin et Stéphane Robinet dans le Flyer 46) avait établi, sur la base du nombre de patients sous MSO rapporté à la population globale : 50 pour 10 000 habitants soit 2 fois plus que Paris et ses banlieues ou Marseille.
Autant dire que les médecins qui entrouvrent leurs porte sont vite confrontés à une très forte demande et ceux qui se laissent aller à une forme de ‘légèreté’ dans leurs prescriptions voient leurs noms se transmettre très vite à des individus, rarement usagers en demande de soins ou tout simplement d’aide. Leur métier consiste à se procurer de très grosses quantités de médicaments destinés à alimenter le marché noir.
Cette affaire et probablement son retentissement médiatique ont provoqué l’ire du médecin coordinateur du Réseau Ville Hôpital Addictologie de Metz-Thionville, le Dr Pierre TRUFFY, dont les financements n’ont cessé de régresser depuis plus de 10 ans. Il attribue, en partie, les raisons de cette affaire à l’abandon programmé du soutien de la médecine de ville et de l’isolement de ses confrères qui en résulte.
Le même quotidien lorrain a fait part de sa réaction que nous publions intégralement ici. (2)
Réaction du Dr Pierre TRUFFY, chargé du dossier « addictologie » à l’URPS Médecins Libéraux de Lorraine
L’affaire fâcheuse de la mise en examen, sur Metz, de trois médecins généralistes pour trafic de stupéfiant est peut être une conséquence de la politique menée par les tutelles.
Elles ont laissé les médecins généralistes et les pharmaciens d’officine se débrouiller seuls dans les soins aux usagers de drogue …
1996 : une mise à disposition improvisée de SUBUTEX® en médecine de ville
En février 1996, à l’occasion de la mise à disposition de Subutex® en médecine de ville, l’état confie une grande partie des soins aux toxicomanes aux médecins généralistes et aux pharmaciens d’officine. Il transfère, de cette façon, à la sécurité sociale, une grande partie des coûts de soins aux usagers de drogues. L’état le fait sans concertation et sans préparation. Il délègue, de fait, la formation des professionnels de ville au laboratoire qui commercialise Subutex® (NDLR : Schering-Plough en 1996).
Naïvement, se croyant chargé par l’état d’une mission de santé publique, une grande partie des médecins généralistes et presque la totalité des pharmaciens (NDLR : en Moselle en tous cas) se sont investis dans ces soins.
Rapidement, la file active de la médecine de ville devient importante : probablement plus que celle des structures spécialisées. Les médecins généralistes assurent le plus souvent seuls, le suivi des patients. Les pharmaciens d’officine délivrent la plus grande partie des traitements de substitution.
Dès 1996, l’état passe tout de même commande, auprès des structures spécialisées et des professionnels de ville, de réseaux ‘Toxicomanie’. Au début les tutelles accompagnent et financent cette mise en route. Les réseaux ‘Toxicomanie’ ont du mal à trouver leur place.
Tout était à inventer. Progressivement les modalités de leurs interventions, après différentes expérimentations, se formalisent. Logiquement, les réseaux développent une pratique de soutien de proximité aux médecins généralistes et aux pharmaciens.
Les tutelles ont été incapables d’accompagner durablement la mission qu’elles avaient confiée en 1995 aux professionnels de ville
Dès les années 2000, alors que médecins et pharmaciens sont toujours en 1ère ligne, alors que les réseaux ‘Toxicomanie’ ont trouvé les modalités de leurs interventions, les tutelles se désengagent insidieusement. Progressivement, elles remplacent les financements pérennes par des financements au coup par coup, en multipliant les guichets (FAQSV, DRDR, FICQS) et en changeant régulièrement les règles du jeu.
Finalement de nombreux réseaux ‘Toxicomanie’ se trouvent sans financement. Cela a été le cas des réseaux de Meurthe-et-Moselle (54) et de Moselle (57). Les réseaux se trouvent alors dans l’obligation de stopper l’accompagnement des professionnels de ville, laissant les médecins généralistes et les pharmaciens se débrouiller seuls avec les usagers.
2013 : la démobilisation des professionnels de ville
Seize ans après l’introduction de Subutex® en médecine de ville, sa prescription et sa délivrance sont loin d’être des activités faciles et routinières.
L’affaire, fâcheuse, de la mise en examen, sur Metz, de trois médecins généralistes pour trafic de stupéfiants, en est un exemple. Les professionnels libéraux se sentent très isolés. Ils se posent des questions sur le sens de leur travail. Et, en réaction, la tendance est plutôt à la démobilisation sous la forme de refus de prescription ou de délivrance des traitements de substitution aux opiacés. En matière de réduction des risques les pharmaciens sont aussi démobilisés : ils délivrent de moins en moins de Stéribox® ou de seringues.
Ne pas répéter le scénario de 1996 avec la méthadone
L’étude «Méthaville» (3) a montré que les patients, dont le traitement par la méthadone est débuté par des médecins généralistes formés, vont aussi bien que les patients initiés en structure spécialisée.
Pour autant, il ne faudrait pas répéter le scénario de 1996 de la mise à disposition du SUBUTEX en médecine de ville. Refusons que la méthadone soit mise à disposition de la médecine de ville tant qu’un accompagnement durable des professionnels de ville ne soit mis en place !
Enfin, espérons que les tutelles actuelles (Agence Régionale de Santé de Lorraine) comprendront la nécessité de la reprise de ce travail d’accompagnement des professionnels de ville.
Bibliographie
- (1) 31 mars 2013, Le Républicain Lorrain, Trafic de Subutex : autres médecins, mêmes menaces
- (2) 31 mars 2013, Le Républicain Lorrain, Coupure de réseau pour la lutte contre la drogue
- (3) Methadone induction in primary care (ANRS-Méthaville): A phase III randomized intervention trial. Roux et al.BML Public Health 12, 1(2012) 488.
Commentaire de lecture adressé à la Rédaction par le Dr Sophie VELASTEGUI (Clermont)
Publié dans le Flyer n° 52 (Sept. 2013)
Tout le monde s’accorde à dire que l’accompagnement d’un usager de drogues doit être pluridisciplinaire. Ce qui implique par conséquent un travail en réseau.
Le médecin généraliste est alors un maillon de cette prise en charge.
Sa disponibilité et ses diverses compétences en font un partenaire indispensable. Afin que les médecins généralistes ne se retrouvent pas tous à leur tour dans la même situation que ces trois médecins généralistes, des mesures préventives doivent être prises.
Dans l’hypothèse d’un scénario où les médecins généralistes se désinvestissent progressivement et prennent la décision de ne plus prescrire de TSO, tous les patients se retrouveront dans des centres spécialisés. Ces derniers ne pourront plus faire face à la demande.
Des soins de proximité pour un accès facile au TSO ne seraient plus envisageables.
Rappelons tout de même que sur le plan pratique les médecins généralistes doivent gérer seuls les patients dans leur cabinet. Ils sont parfois confrontés à la polyconsommation, la manipulation, l’agressivité, l’intolérance à la frustration, la difficulté du patient à respecter l’horaire d’un rendez-vous, etc.
Que proposer comme solution ?
- L’utilisation des bandelettes urinaires, à la recherche de toxique et la vérification de la prise du MSO, permettrait d’avoir une réponse instantanée sur la situation du patient, même si elle est difficile à mettre en œuvre et ne peut être une réponse parfaite.
- L’utilisation de la carte professionnelle de santé par les médecins généralistes qui, couplée à la carte vitale du patient, permet d’accéder à l’historique de remboursement des traitements.
- Une surveillance plus rapprochée de la part de la sécurité sociale vis à vis des traitements remboursés aux patients permettrait de réagir avant d’atteindre des quantités anormales de médicaments délivrés.
Mais bien sûr, aucune des propositions n’est parfaite ni applicable à tous aisément.
Afin d’éviter la revente, il faudrait s’assurer de la prise du traitement. Il est possible de noter sur une ordonnance de MSO (si on le juge nécessaire) « délivrance et prise quotidienne du traitement à la pharmacie ».
Résumer que les généralistes pourraient prescrire des TSO à but uniquement lucratif ne me paraît pas justifié puisqu’ils ont la possibilité d’être pleinement occupés par leurs autres patients non usagers de drogues, tout en sachant que leur profession est en sous effectif.
Pour conclure, l’isolement du médecin généraliste dans l’accompagnement d’un usager de drogues n’est pas concevable. N’attendons pas que la situation s’aggrave !