Le nombre de patients bénéficiant du traitement a franchi en juillet 2012 la barre symbolique des 50 000 patients. Ce chiffre est obtenu à partir des données des ventes converties en nombre de patients.
Nombreux sont les intervenants en toxicomanie qui se souviennent encore des débats autour de l’accès à la méthadone à la fin des années 90 (qui perdurent aujourd’hui), où la question qui était posée était comment passer la barre des 10 000 patients pouvant avoir accès au traitement.
Il y a à peine plus de 10 ans, Bernard Kouchner, lors Ministre de la Santé, demandait à William Lowenstein, Alain Morel, Jean-François BlochLainé et Marie-Josée Augé-Caumon la rédaction d’un rapport devant éclairer les politiques de santé et analyser les raisons du déséquilibre dans l’accès aux 2 traitements de substitution officiels : méthadone et buprénorphine. A l’époque de la commande de ce rapport, il y avait en France près de 10 000 patients sous méthadone.
Il y a moins de 5 ans, le Comité Stratégique National Hépatites Virales proposait d’élargir la primo-prescription de méthadone aux médecins généralistes sur la base du constat de son accès qualifié d’insuffisant (20 000 patients à l’époque), reprenant ainsi une des recommandations de la « Mission Kouchner ».
C’est ce qui a donné lieu au lancement de l’étude Méthaville.
Une photographie réalisée grâce aux données fournies par plusieurs firmes permet d’estimer qu’en juillet 2012, sur les 160 000 patients recevant un traitement de substitution opiacée :
- Près de 30 % de patients bénéficient d’un traitement par la méthadone.
- Un peu plus de la moitié bénéficient de buprénorphine sous la forme du médicament princeps (Subutex®).
- Près de 20 % bénéficient d’un générique de buprénorphine, qui montre également une progression en ce début d’année de la part prise par les génériques sur le marché de la buprénorphine princeps, qui jusque là résistait plutôt bien.
- Le princeps Subutex® est génériqué à hauteur de 27% (en équivalent nombre de patients).
- 1 % de patients bénéficient d’un traitement par Suboxone®.
Deux chiffres attirent l’attention :
- La place que prend désormais le générique de buprénorphine haut dosage. Même si ce taux de substitution générique est faible, comparé au taux habituel de princeps qui tombent dans le domaine public, il a subi une tendance à la hausse ces derniers mois, probablement la conséquence de mesures générales incitatives à la substitution générique.
- La place qu’a pris au fil du temps la méthadone, longtemps perçue comme un médicament de centre, ‘réservé’ à certains patients désocialisés et bénéficiant par ailleurs de conditions de prescription qui la rendent de fait moins accessible.

Alors que s’est-il passé depuis 2000 pour que le nombre de patients progresse ainsi et soit multiplié par 5 :
- La primo-prescription de méthadone en ville a-t-elle été adoptée ?
- La méthadone a-t-elle bénéficié de moyens promotionnels expliquant ce développement ?
- Le ‘french model’, buprénorphine en première intention et méthadone en cas d’échec a-t-il changé ?
- L’arrivée des gélules de méthadone a-t-elle bouleversé la donne ?
- Y a-t’il une demande croissante de la part des usagers ?
- L’offre de soins a-t-elle progressé ?
Il est facile de répondre NON à la première question concernant la primo-prescription en ville.
Ce sujet reste ouvert. Tout le monde attend les résultats de l’étude Méthaville et surtout attend de voir ce que les autorités de santé feront des résultats. La nouvelle agence du médicament, l’ANSM, acceptera-t-elle une modification des conditions de prescription permettant aux médecins généralistes de primo-prescrire la méthadone ?
Alors qu’ils n’ont pas reçu l’autorisation de passer sous gélule de méthadone les patients à qui ils prescrivent déjà du sirop !
Moyens promotionnels ?
Pour la question des moyens promotionnels, il n’aura échappé à personne dans le milieu des intervenants en toxicomanie que les moyens de la firme qui commercialise la méthadone, médicament dont l’AMM est la propriété d’une ‘vieille dame’ (l’Assistance-Publique des Hôpitaux de Paris), n’ont rien de commun avec ceux d’une Big Pharma ! C’est plutôt l’inverse : équipe peu nombreuse, stand discret dans les congrès, communication tout aussi discrète (et très éthique) et soutien a minima des acteurs du champ spécialisé. Rien qui ne puisse établir un lien de cause à effet entre les moyens promotionnels mis en œuvre et le succès de la méthadone.
Est-ce que le modèle a changé ?
Guère plus !
Globalement, les usagers choisissent toujours de consulter dans un premier temps un médecin généraliste pour bénéficier d’un traitement par la buprénorphine. C’est plus rapide et moins contraignant (pas de multiples intervenants, la prescription est immédiate).
Et ce n’est que dans un second temps, en cas d’insatisfaction, d’échec, de manque d’effet ou d’injection persistante, que les usagers frappent à la porte des services spécialisés. Peu de gens remettent en cause ce système qui de l’avis du plus grand nombre marche bien. Même si à la marge, certains se posent la question d’un accès généralisé à la méthadone, en première intention, comme par exemple en Belgique ou en Suisse.
Gélules méthadone
La mise sur le marché des gélules de méthadone n’a pas accéléré la tendance à la hausse du nombre de patients traités par la méthadone. A peu de choses près, celui-ci a progressé au même rythme que les années précédentes. Les gélules étant destinées aux patients déjà sous sirop, on peut estimer que les patients passant sous gélules sont remplacés par des primo-accédants à la méthadone, donc sous sirop. Même si la firme avait pu penser, au moment de la mise sur le marché, que ces gélules allaient déstigmatiser le ‘produit’ et faire venir à la méthadone ceux qui ne voulaient pas de sirop, les chiffres ne lui donnent pas raison !

Y a-t-il une demande croissante de méthadone par les usagers eux-mêmes (avant de traiter la question de l’offre) ?
La réponse est probablement OUI et c’est sûrement la principale raison de cette progression à un rythme de près de 4 000 patients chaque année.
Dans l’esprit des usagers, la méthadone reste le traitement efficace, notamment pour ceux qui ont un niveau élevé de dépendance, des co-morbidités psychiatriques et des conditions psychosociales qui nécessitent un traitement plus encadré et une action pharmacologique plus forte. C’est ce que l’on constate en consultant les forums où les usagers échangent leurs expériences. Et comme elle est souvent donnée en seconde intention, elle se révèle être (pas toujours malheureusement) un recours pour ceux qui sont en échec avec la buprénorphine.
Par la force des choses, le nombre de patients bénéficiant d’un traitement par la buprénorphine étant toujours en croissance, même lente, on peut estimer qu’une partie de ces patients ira inéluctablement vers la méthadone dans les années qui viennent.
L’offre de soins a-t-elle progressé ?
Sans aucun doute.
Parfois de façon providentielle, parfois de façon plus construite, elle a accompagné la demande croissante des usagers. Première mesure significative : en 2002, la DGS/DHOS et la firme modifiaient les conditions de prescription de la méthadone pour que les médecins des hôpitaux et des prisons puissent primo-prescrire le traitement (réservé jusque là aux médecins des CSST).
En même temps, la création d’équipes de liaison en addictologie (ELSA) et de services d’addictologie augmentait potentiellement l’offre de soins, même si une partie de ces nouveaux acteurs excluaient la toxicomanie de leurs pratiques addictologiques.
Depuis quelques années, les CSST et les CCAA sont tous devenus des CSAPA et cela a eu pour conséquence d’augmenter l’offre de primo-prescription, en tous cas les possibilités en termes de lieu. Ce qui explique peut-être que certains centres de soins disent avoir moins de demandes.
Disons qu’avant, les demandes se concentraient sur une centaine de CSST alors qu’aujourd’hui, c’est près de 500 structures qui se partagent les usagers en quête de méthadone.
Il faut rendre hommage également aux pharmaciens d’officine et aux médecins généralistes qui absorbent dans leurs patientèles les patients dits ‘en relais ville’. Sans ce débouché, les services spécialisés ne pourraient pas accueillir les nouveaux patients.
Au cours des dernières années, l’offre et la demande et donc l’accès à la méthadone ont considérablement évolué à côté d’une offre et d’une demande de buprénorphine toujours élevée. Dans un article récent, nous avions fait le constat que dans une vingtaine de départements français, la méthadone représentait 40% des patients traités, dont 3 avec plus d’un patient sur 2 (43, 02, 70).
Si on peut être satisfait de ce rééquilibrage souhaité depuis longtemps au plus haut niveau (les Ministres de la Santé Bernard Kouchner et Xavier Bertrand, les présidents de la MILDT – Nicole Maestracci, Didier Jayle et même Etienne Apaire et beaucoup de fonctionnaires en poste à la DGS), il faut aussi constater que dans certaines régions, l’offre semble toujours problématique avec des délais d’attente parfois trop longs et/ou des conditions d’accès au traitement trop restrictives !
Autrement dit, si l’on doit se réjouir de ce cap des 50 000 patients, signant une amélioration plus que sensible de l’accès à la méthadone, on ne doit pas se priver de se poser la question de l’accès pour tous ceux qui en ont besoin, où qu’ils se trouvent et quelle que soit leur condition.
Le débat sur la primo-prescription, qui n’arrête pas de s’ouvrir, est une des pistes à suivre si l’on souhaite que les usagers aient accès au traitement qui leur convient, et non pas qu’ils aient un traitement qui correspond au lieu où ils ont pu se rendre, prescrit par un médecin qui n’a aucun choix thérapeutique !
Pour conclure, le ‘french model’ et sa réussite (accès large au plus grand nombre, efficacité globale sur les overdoses dont le nombre est 5 fois inférieur à ce qu’il a pu être avant les TSO et sur la morbi-mortalité des usagers de drogues…) est associé et ‘promu’ parfois comme un modèle basé sur la prédominance de la buprénorphine haut dosage et son accès large et facilité.
Il va de soi que février 96 restera dans l’esprit d’un grand nombre d’entre nous, le moment où tout a enfin basculé.
La mise sur le marché de la buprénorphine haut dosage a permis très rapidement de faire entrer dans le système de soins des dizaines de milliers d’usagers qui avant cela pratiquaient la débrouille (prescription d’opiacés hors AMMTemgésic® notamment et morphine, auto substitution avec des codéinés sans prescription médicale-Néo-Codion® notamment) ou à qui on ne proposait que des sevrages dont on connait le résultat en termes de rechute et ses conséquences parfois dramatiques (décès par overdose).
Toutefois, ce qui semble marcher (nous laissons aux esprits chagrin de faire l’inventaire de ce qui ne marche pas), c’est un modèle TSO articulé sur plusieurs composantes :
- L’accès large et facilité à la buprénorphine haut dosage, par des milliers de médecins généralistes et des pharmaciens d’officine qui ont globalement appris au fil du temps à mettre en œuvre les TSO.
- La possibilité d’avoir accès à la méthadone, en seconde intention, pour ceux chez lesquels ça ne fonctionne pas ou pas assez ou souhaitant autre chose. Alors, le traitement est mis en œuvre par des équipes spécialisées, dont le nombre et la répartition géographique s’est améliorée.
- Le développement des pratiques de relais des patients, du milieu spécialisé vers la médecine de ville, permettant une fluidité dans le parcours des usagers en particulier pour ceux sous méthadone.
- L’implication croissante et parfois généreuse des intervenants de ville, médecins généralistes et pharmaciens d’officine
Il nous semble que c’est l’ensemble de ces facteurs, plus qu’un seul pris isolément, qui contribue au bénéfice des TSO, pour la santé publique et celle des individus. C’est plus encore un modèle basé sur le choix de solutions (première et seconde intention) et l’articulation des secteurs (ville et spécialisé) qui est décisif qu’un modèle qui serait sur la prédominance d’une molécule sur l’autre, raisonnement simpliste et peu convaincant !
Conflits d’intérêt : L’auteur n’a perçu aucune rémunération provenant des firmes qui commercialisent les médicaments à base de buprénorphine ou méthadone pour la rédaction de cet article.
Commentaire de lecture adressé à la Rédaction par le Dr Xavier AKNINE, Médecin Généraliste (Gagny, 93), Coordinateur CSAPA Emergence (Paris)
Publié dans le Flyer n° 50 (Février 2013)
L’augmentation de la prescription de méthadone en France depuis 12 ans est incontestable. Les chiffres du communiqué de Stéphane Robinet le prouvent.
Il faudrait cependant faire la part des prescriptions de ville et celles des CSAPA car il n’est pas certain que les médecins des CSAPA prescrivent plus de méthadone aujourd’hui qu’hier.
En effet, la règlementation en vigueur leur octroie le ‘privilège’ de primo-prescrire la méthadone (ainsi qu’aux médecins des services hospitaliers).
Donc ils assurent cette mission, mais pour une quantité totale plus grande de patients ?
Ce n’est pas sûr. Selon moi, le flux de nouveaux patients initialisés au traitement par la méthadone par les CSAPA est significatif mais pas énorme.
Mon impression a été confirmée lors d’une réunion récente avec les CSAPA parisiens où l’ARS a fait état d’un tassement de la file active des CSAPA au cours des dernières années et a précisé que le premier produit à l’origine de la prise en charge en CSAPA était l’alcool.
Rappelons que 90% des prescriptions de TSO – méthadone et BHD – sont assurées par des médecins généralistes et la dispensation de ces prescriptions réalisées par les pharmaciens de ville, sans qui le dispositif ne pourrait pas fonctionner.
Pour continuer sur ce point, il n’est pas certain que le changement administratif intervenu récemment, qui a transformé les CSST et CCAA en CSAPA, ait augmenté le nombre de prescriptions de méthadone car la grande majorité des CSAPA s’est spécialisée (alcool ou drogues illicites, peu sont généralistes). Et les habitudes des équipes préexistantes n’ont pas été bouleversées par le changement d’appellation.
En revanche, il faut préciser que l’assouplissement des règles de renouvellement de la méthadone, gélule par les médecins généralistes, avec la suppression récente du renouvellement semestriel de la délégation de prescription par un médecin de CSAPA, a considérablement amélioré la fluidité du suivi pour les patients. Et tout se passe bien d’ailleurs !
Cela devrait inciter les pouvoirs publics à modifier sans délai la règlementation pour que les médecins généralistes puissent primo-prescrire la méthadone.
En effet, l’augmentation du volume de prescription de méthadone ne doit pas masquer les difficultés d’accès au traitement pour de nombreux patients pour des raisons déjà analysées : éloignement géographique d’un CSAPA, délais de RDV, horaires inadaptés aux patients qui travaillent, refus de certains patients d’aller dans ces lieux fréquentés par des usagers actifs…
Souhaitons que les résultats imminents de l’étude Méthaville aillent en ce sens.
Autre point qui pose problème, la durée maximale de prescription de la méthadone.
Un article récent du Flyer (C. Boisseau, C. Moreau) avait très bien mis en exergue le problème de la limite de cette durée maximale à 14 jours pour les patients chroniques suivis depuis des années par leur médecin généraliste. Une adaptation règlementaire est donc indispensable avec la possibilité de renouvellement de traitement à 28 jours pour cette catégorie de patients.
Enfin, concernant la BHD, qui reste le TSO de première intention en France, la part du générique augmente certes mais reste bien en-deçà du médicament princeps (Subutex®). Ce qui confirme qu’il n’est pas un médicament comme un autre.
Le patient usager de drogue qui s’est stabilisé au fil du temps grâce à ce traitement n’est pas toujours enclin à passer au générique. Il y a une part psychologique importante qu’on ne peut éluder.
Et le choix entre Subutex® et générique doit se faire dans le cadre de la relation clinique médecin-patient et non pas au comptoir de la pharmacie, sous la pression liée à des contraintes économiques ou à des directives de la CPAM (générique contre tiers-payant).
Commentaires de la rédaction
Nous partageons bien sûr les remarques de Xavier AKNINE, par ailleurs membre du comité de lecture de la revue.
Sauf sur quelques points.
Si effectivement il est (souvent) fait référence au taux de 90 % de patients recevant un TSO prescrit par un médecin généraliste et délivré par un pharmacien d’officine, il faut rappeler que cette donnée est celle relevée par la CNAM.
Hors, une partie non négligeable des patients recevant un TSO (méthadone ou buprénorphine) est délivrée sur des dotations de centre (CSAPA) et n’est donc pas dans le scope de la CNAM.
Si on estime à au moins 15 000 le nombre de patients bénéficiant de cette modalité, cela change de façon sensible le pourcentage.
A cela, il faut ajouter des prescriptions de médecins généralistes installés en ville et ayant des vacations dans les CSAPA. Si une partie de leur prescription est effectuée en ville, elle a été rendue possible par leurs vacations dans les centres et les patients concernés, dans de nombreux cas, bénéficient d’un suivi conjoint.
Mais bien sûr, cela n’enlève rien à l’investissement des intervenants de ville, dont Stéphane Robinet souligne avec insistance dans son article le rôle majeur dans la réussite du ‘french model’ en matière d’accès aux TSO.
Concernant l’investissement d’anciens CCAA devenus CSAPA, nous avons des échanges avec quelques uns d’entre eux qui se sont mis à la primo-prescription de méthadone, mais c’est vrai plutôt en province qu’à Paris, mais Paris n’est pas la France !
Souvent, cette ‘nouvelle’ pratique se fait de façon très souple, avec des relais rapides en ville et avec le concours de pharmaciens d’officine, la plupart de ces ‘nouveaux’ CSAPA n’ayant pas d’espaces de délivrance.