Introduction
Travaillant depuis 18 ans avec des patients sous traitement de substitution, j’ai voulu me pencher sur les dossiers des patients suivis au CSAPA jusqu’à l’arrêt total de leur traitement de substitution depuis ces 18 années. J’ai comptabilisé 18 dossiers. Bien sûr, je ne connais pas le devenir des nombreux patients suivis en ville après leur passage au CSAPA. Certains ont peut-être arrêté leur substitution depuis, avec l’aide de leurs médecins généralistes.
Je ne pense pas bien sûr, que l’arrêt du traitement de substitution soit synonyme de guérison, et ce travail n’a pas pour but de valoriser les patients qui mettent en place un sevrage de leur substitution, mais plutôt de comprendre comment ce sevrage peut être mené et s’il existe des points communs aux patients qui le mettent en place.
En pratique
Dès le premier entretien, j’annonce systématiquement que l’arrêt de la substitution n’est pas obligatoire. Je ne propose jamais une diminution de dosage, j’attends que la demande se fasse.
Lorsqu’un patient annonce son désir de descendre son dosage jusqu’à l’arrêt total de sa substitution, nous convenons que c’est le patient qui va décider de la vitesse de diminution tout en l’informant que s’il est trop pressé, ce projet risque de l’amener à une rechute ou à un échec (consommation d’alcool pour pallier le manque ou consommation de médicaments).Je note souvent que la décision d’arrêter progressivement la substitution survient assez rapidement dans le suivi, le projet prend alors forme tout au long du suivi.
Ayant débuté ma pratique en essayant de retarder la diminution du dosage, en pensant que le patient n’était pas prêt pour entamer un sevrage, je ne refuse plus actuellement d’accéder à la demande de diminution, même lorsqu’elle m’apparait prématurée car j’ai compris que lorsqu’un patient en fait la demande, pour la plupart du temps, il l’a déjà expérimentée et en fait la demande car il est sûr de pouvoir poursuivre ce qu’il a déjà débuté. Ma demande est alors souvent : « depuis combien de temps avez-vous déjà diminué votre dosage ? Vous prenez combien en réalité ? ».
Par contre, je pense qu’il est alors important de faire très attention aux consommations qui risquent de s’amplifier parallèlement à la diminution de la substitution : tabac, alcool, cannabis et cocaïne le plus souvent. Un point est fait sur ces consommations à chaque consultation de façon précise (ainsi qu’au maintien de l’abstinence vis-à-vis des opiacés).
Plusieurs de ces patients ont d’ailleurs fait l’expérience de la rechute dans l’héroïne alors qu’ils étaient à des doses assez basses de leur traitement de substitution. L’important est alors que ces reprises puissent être rapidement exprimées et que le dosage soit remonté rapidement pour cesser la rechute.
Lorsque la demande de sevrage de la substitution résulte de la pression de l’entourage (conjoint, famille) ou de la justice, le basculement vers d’autres consommations (alcool et autres) est plus fréquent, me semble-t-il. Je propose toujours dans ces conditions, de rencontrer l’entourage ou le conjoint pour échanger et donner des informations. Il est en effet important de laisser l’entourage s’exprimer sur l’image que leur renvoie la substitution. Expliquer la démarche de la diminution lente et le temps nécessaire et propre à chacun pour réaliser un sevrage dans un maximum de sécurité et de confort, m’apparaît essentiel auprès de l’entourage.
Le problème est encore plus compliqué lorsqu’un couple est suivi pour un traitement de substitution. Bien souvent, la démarche de diminution est débutée ensemble, mais souvent un seul des membres du couple va aboutir au sevrage complet, laissant l’autre dans la culpabilité de ne pouvoir réussir. Le couple est alors souvent mis à mal !!
Parfois le patient demande une prescription permettant l’expérience de la diminution, avant d’être sûr de pouvoir la supporter . Par exemple, prescrire 50 mg de méthadone sous forme de : 40 mg et 2 fois 5 mg ce qui permet de vérifier la diminution de 5 mg par jour. On peut alors faire le point quelques jours après et décider si la diminution est possible.
L’arrivée de la forme gélule a apporté un confort énorme pour le sevrage ambulatoire de la méthadone avec l’existence de gélules à un milligramme.
En ce qui concerne la méthadone, j’observe toujours une diminution de 10 % maximum de la dose. Pour le Subutex, je propose aussi une diminution progressive en utilisant les comprimés à 0,4 milligrammes.
Plus on descend dans le dosage, plus je remarque que le rythme de diminution est souvent beaucoup plus lent (un patient est resté à 0, 8 mg de subutex pendant presque un an avant de passer à 0,4 mg puis encore presque un an pour arrêter).
Le pas le plus difficile étant bien le dernier : passer à 0. Je propose toujours que ce soit bien le patient lui-même qui décide du moment où il fait ce dernier pas. Beaucoup parlent alors de la peur de ne plus rien prendre : comment vont-ils réussir à fonctionner sans cet opiacé ?
Une information sur la nécessité de ne plus jamais reconsommer un opiacé est importante car certains patients prennent l’habitude de consommer de l’héroïne uniquement de façon très occasionnelle (anniversaire, fêtes de fin d’année…) avec peu de risques de rechute tant qu’ils ont un traitement de substitution.
Dans ma pratique, j’ai observé plusieurs symptômes apparaissant pendant le sevrage progressif :
- L’insomnie que je traite si le patient le demande,
- La dépression qui souvent oblige à remonter le dosage,
- L’augmentation de la consommation d’alcool nécessitant une prise en charge, pas toujours acceptée car cette consommation est souvent banalisée.
Enfin, j’ai constaté plusieurs fois que la demande de sevrage chez les patients hommes était souvent motivée par l’arrivée d’un enfant et le désir de ne pas donner l’image d’un père sous substitution (c’est le cas pour 3 patients de cette étude).
Etude des 18 dossiers
Description des participants
Sexe : 13 hommes (72 %) et 5 femmes (28 %). (En 2014, file active du CSAPA : H : 77% et F : 33%)
Age moyen au début de la prise en charge au CSAPA : 33,7 ans (de 26 ans à 45 ans) (en 2014, 30-39 ans : 31 % de la file active).
Substitution :
- 13 patients sous méthadone (72 %), dosage le plus haut en moyenne : 62 mg/j (de 40 à 80 mg /j)
- 5 patients sous subutex (28 %), dosage le plus haut en moyenne : 6,4 mg/j (de 4 à 10 mg/j)
- En 2014 : méthadone : 74% des patients substitués et subutex : 26% des patients substitués
Durée totale de suivi en moyenne : 4,33 ans (de 1 an à 7 ans)
Niveau scolaire : 7 BAC, 3 BEP, 5 CAP, 2 BEPC, soit 38 % BAC
Logement :
- indépendant pour 14 patients (77 %)
- logement dans la famille pour 4 patients
- soit 100 % logement durable – en 2014 : 85%
Activité professionnelle : CDI : 7, CDD : 4, RSA : 4, AAH : 3, CDI et CDD : 61 % vs. en 2014 : 33%
Patients vivant avec conjoint : 9 (50 %) et 4 vivant avec un parent soit 13 ne vivant pas seul (72 %)
Patients avec enfants : 10 (55 %) mais pour 3 patients les enfants ne sont pas à charge et pour 2 patients les enfants sont placés à l’ASE
Sérologie VIH positive : 1 patient ayant consommé héroïne en intraveineux
Sérologie VHC positive : 6 patients ayant tous consommé l’héroïne ou le subutex en intraveineux
Age moyen de début de consommation des opiacés : 23,9 ans (de 14 ans à 44 ans)
Fratrie des patients : 9 sont issus de fratries de 4 enfants ou plus (50%)- en 2014 : 34%
Couple parental des patients :
- père décédé pour 6 patients
- 1 père inconnu,
- mère décédée pour 2 patients
Soit pour 44 % un parent décédé- en 2014 : 35%
Incarcérations : pour 9 patients (50 %), dont Infraction Loi Stupéfiants pour 6
Antécédents psychiatrie :
- 5 patients ont été hospitalisés pour tentative de suicide (dont une femme violée à 17 ans et un homme ayant été maltraité dans l’enfance)
- 2 patients ont été hospitalisés en psychiatrie pour sevrage (dont 1avec HDT)
- 1 patient est suivi au CMP pour schizophrénie
Soit 8 patients relevant de la psychiatrie (44 %)-en 2014 : 28%
On peut déjà faire plusieurs remarques. Un nombre important de ces patients sort de la « norme » des patients suivis habituellement au CSAPA :
- haut niveau scolaire : BAC et BEP : 55 %
- beaucoup ont un logement indépendant : 77 %
- beaucoup ont un emploi : 61 %
- beaucoup vivent en couple ou avec un parent : 72 %
A noter : Cette étude ne concerne que 18 dossiers et les pourcentages observés ne peuvent en aucun cas refléter une réalité et de plus, il existe un biais de sélection : patients d’un même CSAPA suivis par le même médecin.
Réponses au questionnaire
Pour 7 patients dont j’ai pu retrouver l’adresse, après accord téléphonique, j’ai envoyé un courrier avec un questionnaire reprenant « être prêt à diminuer graduellement » extrait du manuel du client en Traitement de maintien par la méthadone du CAMH- canada (cf. Flyer 41) et plusieurs questions.
Six questionnaires ont été retournés :
1. Parmi les 4 affirmations les plus importantes on trouve :
- En premier : Avoir envie d’arrêter le traitement de substitution : 5 réponses
- En second : Avoir un milieu familial stable : 4 réponses
- En troisième ex-æquo : Ne plus consommer de drogues illicites, savoir réagir à des difficultés sans reprendre de drogue, et avoir l’aide de l’équipe soignante : 3 réponses
- En quatrième ex-æquo : travailler ou faire des études ou être en formation et éviter le contact avec des usagers de drogue : 2 réponses
Ensuite 1 seule réponse pour : pouvoir compter sur l’aide d’amis ou de la famille et ne plus rien avoir chez soi qui rappelle la drogue
A noter : un patient a sélectionné 6 réponses au lieu de 4 demandées
Pour les autres questions :
2. Le manque physique est noté par 3 patients :
- Impatiences dans les membres inférieurs et supérieurs et insomnies, nez qui coule, sensation de coup de chaud/ froid, tremblements et contractures des muscles (patient ayant diminué très rapidement sa méthadone de 40 mg à 0 mg)
- Douleurs faibles dans le dos pendant 3 semaines-1 mois
- 15 jours de manque physique pendant hospitalisation pour sevrage de fin (20 mg méthadone)
3. Le manque psychique est noté par 3 patients :
- Envie de reprendre fortement des médicaments (déprime, « cogitement », fatigue psychologique…)
- Dépression pendant 15 jours
- Effet « yoyo » ressenti : très bon moral puis baisse voire chute pendant les jours suivants (durée 1 mois)
4. Depuis l’arrêt de votre traitement, avez-vous repris des drogues : (Seulement 2 réponses)
- L’amour de la vie, du sexe, du sport et un peu de cannabis
- Un joint de temps en temps
5. Depuis l’arrêt de la substitution, avez-vous augmenté votre consommation ?
- 3 réponses : tabac pour les 3 patients. Alcool : aucun
6. Depuis l’arrêt de votre traitement de substitution, vous sentez-vous mieux ou moins bien :
- Pour 5 patients : mieux ou beaucoup mieux
- Et un patient a écrit : je me sens libéré d’un poids que je portais sur les épaules depuis trop d’années.
7. Les 6 remarques ont été les suivantes:
- L’aide d’APS m’a été bénéfique car on ne me jugeait pas et l’accueil a été très sympathique.
- Je n’aurais jamais réussi tout seul pour ça un grand merci.
- Disposer d’un environnement stable (famille, travail, loisirs, couple) avant arrêt est nettement plus efficace que de choisir d’arrêter pour retrouver un environnement stable.
- Je profite de l’occasion pour vous remercier. Votre pédagogie, votre écoute et votre gentillesse ont fait toute la différence pour moi.
- Je ne remercierais jamais assez APS de votre aide…L’année 2003 a été un tournant définitif.
- Enfin un patient propose de venir au CSAPA pour nous faire part de ses remarques. « En effet ce serait un réel plaisir que de pouvoir échanger avec vous tous, l’équipe soignante, à nouveau».
A noter : malgré ma proposition de remplir le questionnaire de façon anonyme, tous les patients ont signé au bas du questionnaire…
Résultats
Parmi les 18 dossiers étudiés, 3 patients ont rechuté après le sevrage et une patiente est décédée :
Cas n°8 : Un patient a repris le subutex après un sevrage méthadone (symptômes de manque difficiles à gérer). Il a préféré reprendre un suivi avec son médecin traitant. Il est cependant repassé voir l’équipe. Porteur du VIH et du VHC, il refuse tout traitement. Ses examens sanguins demeurent corrects jusqu’à présent.
Cas n°3 : Un patient est devenu alcoolodépendant, après s’être séparé de sa compagne. Il semblerait qu’il soit à présent au stade de la cirrhose (suivi au CCAA).Il est maintenant SDF.
Cas n°14 : Un patient est lui aussi tombé dans des consommations d’alcool mélangées aux anxiolytiques. Il a malgré tout poursuivi son suivi avec la psychologue du CSAPA et après plusieurs hospitalisations, a fini par arrêter ses consommations.
Cas n°15 : Pour une patiente, le décès est survenu 7 mois après l’arrêt de sa substitution par la méthadone. Décès dû à une surdose de médicaments type benzodiazépines avec l’alcool. Cette patiente avait des antécédents compliqués : viol à 17 ans, mise à la porte de chez ses parents à 16 ans, bébé d’un premier mariage décédé, violence conjugale avec premier mari dont elle aura 2 autres enfants, plusieurs tentatives de suicide. Elle se met en ménage avec un deuxième conjoint et un troisième enfant nait rapidement. La violence conjugale s’installe alors et finalement les enfants sont placés par les services sociaux. Cette patiente n’a jamais accepté ce placement et les consommations d’alcool ont alors augmenté alors qu’elle décidait d’arrêter sa substitution malgré nos conseils, beaucoup trop rapidement. A noter que cette patiente a demandé la méthadone pour arrêter les injections de SKENAN, elle n’a jamais consommé d’héroïne.
Une autre patiente a vu le placement de son dernier enfant pendant son suivi au CSAPA. Ses 4 premiers enfants avaient déjà été placés. Elle même avait été placée dans l’enfance. Pour cette patiente, le placement a été mieux accepté et elle n’a pas rechuté après son sevrage de méthadone.
Suivi psychologique (Valérie Lichtenstein)
Cas N°10 : patient ayant bénéficié d’un suivi psychologique pendant son sevrage dégressif
Monsieur T, 42 ans, arrive dans l’espace psychologique sur le conseil du médecin de la structure car il souhaite arrêter la méthadone et après une diminution progressive depuis 18 mois, les derniers milligrammes semblent le mettre un peu plus en difficulté. Monsieur T a des antécédents psychiatriques et est suivi par le CMP (centre médicopsychologique) pour une schizophrénie avec des troubles agoraphobiques, des attaques de panique et des hallucinations visuelles et auditives, qui lui font très peur mais qu’il arrive malgré tout à gérer et qui persistent malgré son traitement (injection intramusculaire de Risperdal® 2fois par mois, Tercian® et Lysanxia® en cas d’attaque de panique).
Il est le 4ème d’une fratrie de 6, avec un frère de 4 ans de plus que lui, qui développe des symptômes similaires en plus d’un problème pulmonaire important qui préoccupe beaucoup monsieur. Monsieur T décrit une enfance difficile avec un père « extrêmement violent ». Le seul épisode qu’il me décrit pour me donner une idée représentative de cette violence, est un coup de couteau qu’il lui a donné sur la tête lorsqu’il avait 10 ans et dont il garde des cicatrices qu’il me montre comme une preuve de la vérité. C’est vers cet âge que ses parents divorcent et que son père abandonne le domicile familial laissant sa femme avec 6 enfants. Madame travaille et le cadre explose, explosion dont Monsieur T profite immédiatement après des années qu’il décrit comme trop rigides. Il se présente de moins en moins en cours alors que jusqu’à présent il était un très bon élève, traîne dans la cité et vers 12 ans rencontre des dealers (copains de son frère plus âgé), tombe dans l’héroïne dont il devient dépendant de 13 à 35 ans puis enchaîne avec de l’alcool et des médicaments jusqu’à 37 ans, date de la sortie de sa dernière incarcération (en tout il a eu 9 incarcérations, le plus souvent pour des Infractions liées aux stupéfiants, qui comptabilisent 120 mois de prison). Lors de cette dernière incarcération, il fait une dépression avec tentative de suicide avec de plus en plus d’hallucinations. C’est au moment de sa sortie que son agoraphobie s’installe et devient invalidante. Alors qu’il n’est plus dépendant aux opiacés, on lui diagnostique la maladie de Verneuil (Maladie inflammatoire chronique provoquant des abcès très douloureux), pour laquelle on lui prescrit du Skenan®, dont il devient dépendant et qu’il prend en mésusage par voie intraveineuse durant 18 mois. C’est à ce moment qu’il vient à APS et qu’il est mis sous traitement de substitution (méthadone à 40 mg).
Quand il vient me voir, Monsieur T n’est plus qu’à 3 mg après un sevrage progressif sur 18 mois environ. L’alliance se fait très rapidement et son but est toujours très clair, il souhaite tout arrêter au niveau du TSO (Traitement de Substitution aux Opiacés). Il est très déterminé et sa principale motivation invoquée est sa mère à laquelle il veut « faire plaisir après tout ce qu’il lui a fait subir » (scolarité difficile, incarcérations, violences, etc.). Il parle beaucoup de son sentiment de culpabilité et évoque souvent « l’homme très mauvais » qu’il a été avec toute la violence dont il a pu faire preuve pendant qu’il fréquentait tout le milieu des stupéfiants. Sa valeur familiale est mise en avant et il veut que tous soient fiers de lui, même si les relations avec sa famille sont actuellement très bonnes (Monsieur habite chez sa mère avec son frère), « pour se rattraper », dit-il. Par le passé, il a eu un logement autonome pendant plusieurs années avec une femme qui est morte un soir où il était absent et l’enquête n’a jamais pu dire s’il s’agissait d’un accident ou d’un suicide. Monsieur T est très isolé et son agoraphobie prend une grande place dans sa vie. Il ne peut d’ailleurs plus sortir que pour aller à l’hôpital, au CMP, à APS et dit qu’il n’y a que le milieu médical pour le rassurer, comme une mère suffisamment bonne qui lui délivrerait les soins nécessaires à sa reconstruction (maternage, préoccupation maternelle primaire). La sophrologie qu’il fait au CMP lui permet de mieux gérer son agoraphobie et donc de se rendre dans les lieux importants pour ses différents suivis. Il ne peut plus sortir ailleurs, ce qui se montre relativement « protecteur » face aux rechutes en le limitant dans ses anciens lieux de fréquentation.
Alors qu’il baisse sa méthadone, il rencontre des problèmes de sommeil et d’irritabilité qu’il arrive malgré tout à canaliser, chose qu’il avait du mal à faire jusqu’à présent. Il parle d’une peur du manque plus que le manque lui-même. Contrairement à ce qu’on aurait pu redouter au vu de sa pathologie, Monsieur T souffre des mêmes symptômes que les « normopathes ». Ses hallucinations et son agoraphobie restent stables et il n’y a ni décompensation psychiatrique ni nécessité d’hospitalisation. Son traitement n’a pas besoin non plus d’être rééquilibré. Le deuil des produits et de sa vie d’avant, celle dominée par « le plaisir, l’euphorie, le jeu », est en revanche plus compliqué à faire. Il va quand même décrire un sentiment de mort à l’intérieur de lui comme s’il n’avait aucune autre possibilité de détente ou de plaisir, qu’il dit ne retrouver « nulle part ailleurs ».
Néanmoins, cette problématique se retrouve fréquemment chez ceux qui décident de tout arrêter et qui doivent alors renoncer à une identité dans laquelle ils se reconnaissaient. Le travail thérapeutique consiste à leur faire prendre conscience de certaines ressources dont ils disposent et qu’ils ont oublié de mobiliser depuis bien longtemps puisque les produits leur apportaient ce dont ils manquaient et d’aller rechercher le plaisir ailleurs et autrement. Ce qu’on rencontre finalement chez Monsieur T est assez représentatif de nombreux patients et malgré la spécificité de sa pathologie, son sevrage fut relativement simple et ce, même comparé à d’autres usagers. Cette expérience peut nous amener à réfléchir sur nos appréhensions en tant que soignants, qui ne s’avèrent pas forcément justifiées et qui peuvent parfois constituer un frein pour accéder à la demande des patients. Tout ne peut pas être anticipé et nous ne pouvons pas généraliser un sevrage sur une expérience unique. Quant à ceux qui parlent de prévisibilité chez l’être humain, elle est loin d’être une science exacte, il s’agit de s’adapter au cas par cas à la demande et aux besoins avec toute la richesse d’une équipe pluridisciplinaire et l’expérience des partenaires d’autres disciplines si cela s’avère nécessaire.
Commentaire
L’étude de ces 18 dossiers ainsi que les réponses des questionnaires amènent plusieurs remarques :
- La motivation à l’arrêt semble primordiale pour effectuer un sevrage : avoir envie d’arrêter le traitement de substitution remporte le plus de réponses.
- Avoir un milieu familial stable arrive en second dans les réponses. L’importance des conditions de stabilité matérielle et affective pour mener à bien le sevrage de la substitution est indispensable comme le montre les conditions de logement, de travail et les conditions de vie affective des 18 cas de l’étude.
- « Disposer d’un environnement stable (famille, travail, loisirs, couple) avant arrêt est nettement plus efficace que de choisir d’arrêter pour retrouver un environnement stable »
- Travailler ou faire des études arrive en troisième position dans les réponses. Dans les 18 cas présentés, 11 ont une activité en CDI ou CDD, soit une proportion élevée par rapport aux chiffres de la file active. Avoir une activité donne une place dans la société et une indépendance financière qui permettent de se projeter, d’avoir des loisirs, de s’assumer.
- Savoir réagir à des difficultés sans reprendre de drogue est effectivement un apprentissage obligatoire tout au long du sevrage dégressif et ce point précis me semble le plus compliqué à mettre en place car il s’agit de changer des habitudes de réponses connues (prendre des drogues ou des médicaments) face aux difficultés de la vie.
- Enfin, l’aide de l’équipe soignante est également citée. Pour que le sevrage progressif puisse se faire dans les meilleures conditions, l’équipe soignante doit rester présente, conseiller, aider le patient à changer ses habitudes de consommation, rester vigilante aux consommations nouvelles, sans décourager, sans juger, sans condamner à l’échec.
- Le manque physique, même minime à type de chaud/froid, chair de poule, crampes musculaires, accélération du transit et le manque psychique à type de troubles du sommeil, de dépression et instabilité de l’humeur perdurent pendant un mois voire plus. Les patients désireux de mettre en place un sevrage de leur substitution doivent y être préparés. L’idéal serait bien sûr de revoir les patients plusieurs fois après le sevrage, mais dans la réalité, les patients ne reviennent pas après le sevrage, même lorsqu’ils y sont invités. Cependant, dans cette étude, plusieurs ont maintenu un contact téléphonique après le sevrage et pour certains pendant plusieurs années.
Conclusion
Dans mon expérience, très peu de patients arrêtent leur traitement de substitution, car bien souvent cet arrêt n’est pas souhaitable ou impossible. Retrouver des conditions de vie plus stable après plusieurs années de « galère » ne donne pas envie de tout bousculer en arrêtant le traitement de substitution. C’est bien souvent une envie de l’entourage qui considère le traitement de substitution comme une drogue, même lorsqu’il n’existe plus de prise de drogue illicite.
Mais pour ceux qui sont déterminés à entreprendre un sevrage progressif de leur traitement de substitution, cette option peut être menée jusqu’au bout avec une équipe bienveillante et beaucoup de précautions car le décès par overdose est alors toujours possible (risque alors 4 fois plus élevé : cf. FLYER 42, étude de 2010 du British Medical Journal).