Selon les résultats d’une enquête récente, les utilisateurs de cigarette électronique la considèrent comme « un moyen inédit d’arrêter de fumer ».
L’association LRSH (Laboratoire de Recherche en Sciences Humaines), réalise depuis plusieurs années des études sociologiques et anthropologiques dans des domaines aussi variés que la Santé Publique, la culture ou encore le travail social et travaille régulièrement avec des organismes publics (OFDT, musées, RAPT…).
En octobre 2016, l’association a publié les résultats d’une enquête sur la cigarette électronique réalisée avec le financement de la Direction Générale de la Santé (DGS). Le comité de pilotage de l’étude comprenait également des représentants de la MILDECA, de l’OFDT, de l’INPES et de l’INCA (INstitut National du CAncer).
Une étude pour évaluer la perception et les motivations à l’utilisation de l’e-cigarette
Cette enquête a été réalisée par l’intermédiaire de 25 entretiens avec des professionnels au salon Vapexpo. Tous fumeurs ou anciens fumeurs, ils présentaient des trajectoires diverses : fumeurs invétérés, n’ayant jamais essayé d’arrêter ou ayant multiplié les tentatives.
L’objectif de ces entretiens menés entre 2014 et 2015 était d’évaluer les pratiques et représentations des utilisateurs de cigarette électronique, de documenter un phénomène de Santé Publique en pleine expansion et de mettre les éléments disponibles à l’intention du plus grand nombre.
L’e-cigarette n’est pas un épiphénomène
Si la diffusion en 2012 – 2013 s’est fortement ralentie, la cigarette électronique occupe désormais une place à part entière en tant qu’alternative au tabac et à l’abstinence.
L’outil est cependant au centre de controverses : les données scientifiques sont encore en pleine évolution et les nombreuses études publiées conduisent à des résultats souvent contradictoires. Elles ne sont pas toujours comparables entre elles (du fait de méthodologies différentes selon les pays) ou semblent entachées de conflits d’intérêts. Les débats voient s’affronter de nombreux acteurs aux positions souvent opposées : pouvoirs publics, buralistes, pharmaciens, associations d’utilisateurs…
Cette instabilité des données scientifiques, entremêlée à des considérations morales, judiciaires, sociales et politiques ont conduit les auteurs à qualifier la cigarette électronique de ce qu’ils appellent controverse socio-technique. Leur travail se place donc dans une période « floue », où le débat sur l’efficacité du dispositif et son innocuité est en pleine transformation.
L’invention de la cigarette électronique est communément attribuée au chinois Hon Lik en 2002 – 2003 mais les premiers dispositifs remontent à 1927. La nouveauté ne réside pas dans l’objet en lui-même mais dans l’engagement qu’il suscite auprès d’un nombre important de fumeur. Ainsi, son histoire se place dans un double mouvement :
- Celui d’une dénormalisation du tabac, avec une perception de la dangerosité de cette substance de plus en plus ancrée dans la population française ;
- Et le développement de la recherche pour trouver des alternatives au tabac et supprimer les aspects nocifs de sa combustion
Principaux résultats
Au travers de leur étude, les enquêteurs ont pu évaluer les motivations ayant conduit à l’utilisation de la cigarette électronique. Tous ont fait état d’un souhait de ‘fumer’ plus sainement, « sans les inconvénients du tabac » :
- Eviter les désagréments quotidiens : mauvaise odeur, mauvaise haleine, brunissement des doigts et des dents, toux, maux de tête…
- Eviter les risques sanitaires plus sérieux tels que les cancers ou les pathologies lourdes.
L’étude distingue 4 postures différentes au moment de s’engager dans l’utilisation de l’e-cigarette :
- Utiliser la cigarette électronique comme un produit de substitution, permettant de passer à une dépendance « choisie », moins dangereuse, plus pratique et plus acceptable ;
- Faire usage de l’e-cigarette comme d’un produit de sevrage tabagique dans un objectif ultime d’abstinence. Quelques personnes déclaraient utiliser le dispositif pour éviter de rechuter après un sevrage ;
- Se servir de cet outil pour aménager la consommation de tabac, sans désir d’y mettre un terme mais simplement la diminuer ou la contrôler ;
- Enfin, utiliser l’e-cigarette par curiosité, ce qui a conduit à arrêter de fumer par « inadvertance » certaines personnes surprises par la rapide disparition de l’envie de fumer.
Sur le sevrage tabagique, les auteurs retrouvent 3 scénarios possibles :
- L’abandon du tabac, qui concernait 11 des 23 personnes rencontrées ;
- Le maintien d’un usage mixte pour 6 personnes, avec des motivations diverses : continuer de fumer dans certaines situations (en contexte festif le week-end par exemple), ou selon les périodes (l’usage de la vapoteuse alternant avec celui du tabac selon les mois) ;
- L’abandon de la cigarette électronique pour 6 personnes, une partie d’entre elles ayant amorcé l’usage de l’e-cigarette par curiosité.
Pour les personnes interrogées, l’utilisation du vaporisateur de nicotine se place dans le contexte d’une image globalement négative des substituts nicotiniques classiques. Certains le décrivent comme « miraculeux », apportant une diminution conséquente de l’usage du tabac sans le moindre effort.
Ces résultats tranchent avec de précédentes tentatives d’arrêt, qui laissent en mémoire de nombreux aspects négatifs : baisse de l’estime de soi, prise de poids, mauvaise humeur, sensation de mal-être ou encore impression de fournir des efforts démesurés pour « tenir ».
L’utilisation de la cigarette électronique se place aussi dans une posture diamétralement opposée à celle du sevrage : les personnes déclarent commencer quelque chose (par opposition à « arrêter quelque chose »), elles découvrent de nouvelles sensations et se sentent en situation d’apprentissage. L’initiation au dispositif offre l’occasion de s’interroger sur sa consommation de tabac, démarche auparavant inexistante. Le tout s’accompagne d’éléments positifs : renforcement de l’estime de soi, sensation d’une dépendance plus acceptable ou encore dégoût vis-à-vis du tabac.
En conclusion, les auteurs constatent que la cigarette électronique semble représenter un moyen inédit de sortir du tabac. Cependant, les témoignages recueillis mettent en avant une forte attente de la part des fumeurs et des utilisateurs en termes « d’information officielle » émanant des médecins ou de l’état sur l’innocuité et les dangers de ce dispositif. La position des différents acteurs, souvent contradictoire, est mal perçue : le message est inaudible ou incompréhensible. Les personnes interrogées peinent à comprendre les logiques institutionnelles, qui ne soutiennent pas un dispositif dont ils constatent presque tous l’efficacité.
Référence :
- [1] Fontaine A., Laugier S., Artigas F. (2016), Étude qualitative auprès des utilisateurs de cigarette électronique (pratiques, usages, représentations) association LRSH, avec le soutien de la Direction Générale de la Santé