Ouvert le 15 septembre 2004 en plein cœur de Paris, le « 110 Les Halles » a fêté cet automne son premier anniversaire. Un centre de soins spécialisé en toxicomanie (CSST) bas seuil et novateur qui, outre les services ‘classiques’ d’un CCST, offre également un espace de repos et d’hygiène pour répondre aux besoins d’usagers de drogues en situation de grande précarité.
Financé par l’Assurance Maladie avec le soutien de la mairie de Paris, le nouveau centre de l’association SOS Drogue International se répartit sur 4 étages dans un immeuble complètement rénové en plein quartier des Halles :
- un espace d’accueil, une salle dédiée aux entretiens médico-sociaux et des sanitaires accessibles aux personnes à mobilité réduite au rez-de-chaussée ;
- un espace de repos (10 lits) et d’hygiène (douches, laverie) au sous-sol ;
- et des bureaux pour les consultations médicales ou sociales et la dispensation de traitements de substitution sur deux étages.
Un centre dont l’objectif est avant tout de faciliter l’accueil et l’accès aux soins d’usagers de drogues en grande difficulté, sans obligation de soins immédiats, d’abstinence ou même d’addiction spécifique à certains produits.
Accueil bas seuil
Une philosophie qui a d’ores et déjà entraîné quelques adaptations, à commencer par le recentrage du projet sur les problèmes d’addiction. Débordée par des personnes qui n’étaient pas concernées par l’usage de drogues, mais plutôt attirées par la collation, l’espace de repos ou d’hygiène, l’équipe du « 110 » a, en effet, rapidement mis en place un entretien d’accueil assuré par un binôme accueillant/infirmier ou accueillant/aide-soignant afin de déterminer si les personnes présentent ou non des problèmes d’addiction. Si tel n’est pas le cas, elles sont réorientées vers des structures plus adaptées avec lesquelles le CSST travaille en étroite collaboration.
Afin de pouvoir répondre au mieux aux demandes de cette population d’usagers en grande précarité, les délais de prise de rendez-vous pour les consultations médicales ou sociales ont également été réduits au maximum : au plus tard dans les 48 heures suivant la demande, mais parfois le jour même. Et rien n’empêche d’en reprendre un autre et de se représenter en cas de rendez-vous « manqué ».
Dans la même optique, les assistants sociaux assurent une permanence sans rendez-vous deux jours par semaine pour résoudre les problèmes d’urgence.
Un accueil résolument bas seuil afin d’éviter au maximum les différents filtres pouvant entraver l’accès aux soins et d’offrir une palette élargie de prestations à la fois sociales, médicales et paramédicales.
Une population d’« errants »
Sur les 5 premiers mois d’activité (de Janvier à Mai 2005), 329 patients usagers de drogues ont ainsi été accueillis par le CSST : 83,3% d’hommes, âgés de 33,75 ans en moyenne, et originaires des 4 premiers arrondissements parisiens pour 38% d’entre eux, voire des suivants (57,1%), ou de banlieue et de l’Union européenne (4,8%). Une population d’« errants », pour la plupart, ayant échoué aux Halles où ils dorment dans le métro, sous les porches ou dans les cages d’escaliers, et qui sont tous en situation de grande précarité : lors du premier entretien, 57,3% étaient sans protection sociale, 34,4% sans papiers, 44,8% sans ressources, et 33,3% au RMI. 56,2% étaient, par ailleurs, SDF ou vivaient en squat lors de leur entrée en Janvier, un taux qui tombe à 25% en Mai, grâce au suivi réalisé par les assistants sociaux dont ont bénéficié 96 usagers.
En ce qui concerne les consommations, l’héroïne reste le produit de référence, mais la grande majorité des personnes accueillies au « 110 » sont polytoxicomanes et consomment aussi bien de l’alcool (58,9% présentent des problèmes d’alcoolo-dépendance) que du cannabis, de la cocaïne (sniffée ou shootée), des benzodiazépines (Rohypnol®) et autres médicaments détournés de leur usage (Artane®, Subutex®, Skénan®) dont le trafic est une des caractéristique du quartier.
Aucun protocole particulier
Tous ne sont pas déjà sous traitement de substitution, mais beaucoup présentent des problèmes de mésusage de Subutex® de rue parmi les nouveaux arrivants. Une fois la dépendance confirmée par un médecin, chaque patient se voit proposer un traitement de substitution à l’issue d’un long travail de discussion, et sans protocole particulier pour le choix de telle ou telle molécule face à tel produit ou tel mode de consommation (sniff ou injection).
Actuellement, 53,3% personnes accueillies au « 110 Les Halles » sont ainsi sous méthadone (avec une dose moyenne de 57,10 mg/patient/jour), 14,7% sous Subutex®, et 29,4% sans traitement ou en cours d’évaluation.
D’obligatoirement quotidien lors de l’initialisation du traitement, le passage au centre s’espace ensuite à une fois par semaine ou une fois tous les quatorze jours quand l’équilibre est atteint. Si certains patients ont été réorientés vers d’autres CSST (problèmes d’horaires de travail) ou le bus méthadone de Médecins du Monde (suite à une exclusion), seuls quelques-uns l’ont été vers la médecine de ville.
Sur place, les traitements sont dispensés par les infirmiers qui assurent également une aide à l’observance d’autres traitements (insuline, antirétroviraux…) et toutes sortes de soins relevant de la « bobologie ».
Hépatites et pathologies psychiatriques
En ce qui concerne la prise en charge médicale, 8,2% des patients sont séropositifs pour le VIH (mais 40% ignorent leur statut), 34,7% pour le VHC (37,7% ignorent leur statut) et 8,2% pour le VHB (54,7% ignorent leur statut). Depuis le mois d’octobre, l’équipe s’est enrichie d’un hépatologue qui assure sur place la prise en charge des patients atteints d’hépatites lors de consultations hebdomadaires.
La réalité du terrain – des toxicomanes actifs présentant souvent de lourdes pathologies psychiatriques – avait, par ailleurs, dès le départ imposé le choix de faire appel à des psychiatres (l’un à mi-temps, l’autre une journée par semaine) plutôt qu’à des psychologues pour les personnes souffrant de troubles de santé mentale. 69% des personnes prises en charge sont ainsi suivies conjoitement par un psychiatre et un médecin généraliste, et 42 patients suivis en psychiatrie.
Au 31 mai 2005, 170 des 329 personnes reçues par le centre avaient accès à une prise en charge médicale, les autres se rendant au « 110 » pour bénéficier d’un suivi social, ou simplement des collations et des espaces repos et hygiène car elles ne sont pas encore prêtes à entamer une démarche de soins.
L’attrait de la nouveauté
Tous ont généralement fait appel au « 110 » après avoir essayé d’autres structures, principalement en raison des prestations proposées – tant au niveau médical que social –, mais aussi parce que c’est un endroit où l’on peut rester toute la journée, prendre une douche, laver ses affaires… et sûrement par attrait de la nouveauté : une structure toute nouvelle et facile d’accès en plein centre de Paris (les autres CSST sont plus excentrés).
Prévu pour accueillir une cinquantaine de personnes par jour, le « 110 Les Halles » tourne plutôt aux alentours de la soixantaine (jusqu’à 83 en une journée au mois d’août), mais ne s’est pas fixé de seuil au-delà duquel une personne pourrait s’en voir refuser l’accès.
Quant aux riverains, ils sont régulièrement conviés aux réunions d’informations et de présentation des chiffres d’activité organisées dans le cadre du comité de suivi décidé lors de l’implantation du centre. Le tout, afin d’assurer une intégration optimale de la structure au sein du quartier.
L’équipe du « 110 » :
- 1 médecin-directeur
- 1 chef de service
- 3 accueillants/animateurs de prévention
- 1 aide-soignant
- 2 psychiatres, 3 généralistes
- 3 infirmières (à terme)
- 2 assistants sociaux
- 1 secrétaire de direction
- 1 agent d’entretien