Une étude présentée au congrès de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO) montre que les patients atteints de cancer et prenant des analgésiques opioïdes sont moins exposés au risque d’overdose par rapport à la population générale.
La crise sanitaire américaine concernant les overdoses par analgésiques opioïdes a conduit au décès de 40 000 personnes en 2016. Dans ce contexte, une équipe américaine, menée par le Dr Fumiko Chino, s’est interrogée sur le risque d’overdose par analgésiques opioïdes spécifiquement chez les patients atteints de cancer. Leurs résultats viennent d’être présentés lors de l’édition 2018 du congrès de l’American Society of Clinical Oncology’s (ASCO).
Aux Etats-Unis, bien que le contexte « épidémique » de la mortalité par opioïde ne soit plus remis en question, le risque de décès restait inconnu chez les patients atteints de cancer. Cette population est jugée particulièrement vulnérable, car plus sujette à la dépression et l’anxiété et est particulièrement exposée aux analgésiques opioïdes du fait des douleurs liées au cancer.
Dans le cadre d’une étude rétrospective, l’équipe du Dr Fumiko Chino a recensé les décès dus aux opioïdes survenus entre 2006 et 2016, dans la population générale d’une part, et chez les patients atteints de cancer d’autre part.
Sur ces 10 années, les décès par overdose dus aux opioïdes ont augmenté de façon exponentielle, passant :
- De 5.33 à 8.97 / 100 000 personnes dans la population générale,
- De 0.52 à 0.66 / 100 000 personnes chez les patients traités pour un cancer.
Au total, entre 2006 et 2016, 895 décès dus aux opioïdes ont été recensés chez les patients atteints de cancers contre 193 500 décès dans la population générale.
Les auteurs ont jugé leurs résultats d’autant plus surprenants que le taux de mortalité chez les patients atteints de cancer ne semble pas avoir bougé alors que la crise américaine des opioïdes est passée par là.
Parmi les explications avancées :
- Le suivi plus strict des prescriptions pour les patients cancéreux, qui adaptent leur traitement antalgique selon l’intensité de la douleur,
- Les différences socio-éducatives pour les patients atteints de cancer avec un niveau d’instruction plus élevé (12,7 % vs 6,9 % dans la population générale) et un âge plus avancé (moyenne de 57 ans contre 42 ans),
- Enfin, une surveillance plus rapprochée avec accès à une aide psychologique et à des soins de supports / soins palliatifs, qui peuvent aussi expliquer le risque plus faible d’overdose.
Certains observateurs ont pu toutefois souligner une limite de l’étude : le fait que les bases de données n’enregistrent pas toujours les causes de décès associées. Surdosage d’opioïdes et pathologie cancéreuse peuvent ne pas être enregistrés tous deux dans la base de données. Plus généralement, le nombre de patients cancéreux décédés par abus d’opioïdes seraient par conséquent sous-estimé.
La crise américaine a suscité de nombreuses discussions au sein du gouvernement américain dans le but de limiter la prescription des opioïdes dans les douleurs non cancéreuses. Ces débats commencent également à toucher l’oncologie. Avec des résultats permettant de rassurer les cliniciens sur une utilisation efficace et à moindre risque des opioïdes chez les patients atteints de cancer, les auteurs de l’article rappellent en conclusion « qu’un cadre de prescription plus restreint ne devrait pas affecter l’accès aux opioïdes pour les patients atteints de cancer, étant donné leur risque beaucoup plus faible de surdosage».
Cette publication est d’autant plus intéressante dans le contexte actuel. D’autres publications font état aujourd’hui d’une difficulté pour certains patients de se faire prescrire des opioïdes alors que l’indication est correctement posée. Nous avions évoqué, dans un article précédent, ce risque de « restrictions tout azimut » avec les Prs Olivier Cottencin et Serge Perrot.
A nouveau, il serait dommageable que des patients qui relèvent d’un traitement opioïde fort, a fortiori en cas de douleur cancéreuse, s’en voient priver sous le prétexte d’une crise nord-américaine qui a des déterminants particuliers.
En France, la situation est sans commune mesure avec ce qu’il se passe outre-Atlantique. La prescription d’opioïdes forts y est beaucoup plus rare. La morphinophobie existe toujours auprès de la communauté médicale et du grand public. Par contre, la prescription des opioides ‘dits’ faible est beaucoup plus fréquente. Le tramadol est très prescrit, ainsi que les médicaments contenant de l’opium (Izalgi©, Lamaline©). Il est à prévoir que le premier, soutenu par une promotion importante, deviendra un best-seller dans les mois qui viennent.
Le vrai risque avec les opioïdes ‘dits’ faibles [1] est qu’ils soient perçus comme anodins et sans danger, un peu comme l’ont été à une autre échelle, l’Oxycontin© et le Vicodin© (l’antalgique popularisé par le Dr House) aux Etats-Unis.
Or, ce n’est pas le cas. Dans la dernière enquête Décès Toxique par Antalgique, le tramadol est le médicament le plus responsable de décès, devant les opioïdes forts comme la morphine et l’oxycodone. Il y a certes, un effet volume qui peut expliquer cela, mais on peut aisément suggérer que le sentiment d’innocuité de cette molécule (comme pour la codéine), autant par les professionnels que par les patients, ait une part de responsabilité dans cette triste première place.
D’autant que le rapport efficacité-tolérance du tramadol (et de la codéine) ne plaide pas toujours en faveur d’une utilisation aussi large.
En cas de douleur cancéreuse modérée, la morphine à faible dose (30 mg/jour) semble plus efficace et mieux tolérée que les 2 opioïdes ‘dits’ faibles [2]. Avec probablement plus de précautions prises, liées au cadre de prescription, à la nature même du médicament et à la morphinophobie qui en l’occurrence peuvent avoir un effet protecteur.
Bibliographie
- (1) Prescrire Rédaction. Stratégies. Les antalgiques opioïdes dits faibles. Codéine, dihydrocodéine, tramadol : pas moins de risques qu’avec la morphine. Rev Prescrire 2015 ; 35 (385) : 831-838
- (2) Bandieri et al. Randomized trial of low-dose morphine versus weak opioids in moderate cancer pain. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26644526 3.