Les structures douleur, une organisation étendue et compétente mais menacée financièrement
L’offre de soins pour la douleur chronique en France est large grâce au maillage territorial des structures douleur, avec des équipes compétentes, mais se trouve menacée en raison notamment d’une « dégradation » de leurs financements, selon un état des lieux de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) présenté dans un livre blanc, jeudi lors de son congrès annuel à la mi-novembre 2015. Dans ce livre blanc d’une soixantaine de pages, la SFETD formule des propositions pour travailler en lien avec la direction générale de l’offre de soins (DGOS) et les agences régionales de santé (ARS) afin de continuer à améliorer la prise en charge de la douleur chronique.
Cet état des lieux a été réalisé à partir de deux enquêtes, un « forum douleur » sur l’activité en 2014 à partir de 134 réponses (53% des structures interrogées), envoyées par 71 consultations identifiées par les ARS, huit qui ne l’étaient pas et 55 centres identifiés par les ARS, et sur les difficultés actuelles et à venir dans les deux à cinq ans, à partir de 77 réponses recueillies en 2015. A mai dernier, il existait 245 structures douleur (39% des centres et 61% des consultations). Ces structures sont bien réparties sur l’ensemble du territoire mais leur nombre est hétérogène selon les régions, les moins dotées étant la Corse (une structure), le Limousin (deux) et Champagne-Ardenne (quatre). Selon les données des ARS, 1,6% des structures identifiées en 2013 déclaraient moins de 499 consultations médicales externes, 34,6% en déclaraient entre 500 et 999 et 63,8% plus de 1.000. Les règles de financement dépendent du niveau d’activité et, en dessous de 500 consultations par an, aucun financement n’est proposé et la structure ne peut pas être identifiée par son ARS, rappelle la SFETD.
Les structures recevant des financements MIG (mission d’intérêt général) ayant répondu au « forum douleur » estiment la file active en consultation externe à en moyenne 947 patients différents par an, soit environ 49% de toutes les consultations externes effectuées. Les nouveaux patients seraient de 490 par an (25% de l’activité). Le délai d’attente moyen est de 13 semaines, un chiffre qui doit être pondéré par le fait que 83% des structures ont mis en en place une filière d’accès rapide aux soins. En plus de ces consultations médicales, les structures ont une activité importante de consultations externes effectuées par des infirmières et par des psychologues, au nombre de respectivement 576 et 504 déclarées en 2014. « Elles sont généralement comptabilisées par les structures mais non déclarées aux ARS.
Il n’y a donc aucune valorisation officielle de ce domaine d’activité », note la SFETD. Concernant les enfants et les adolescents, la SFETD note qu’il existe des structures spécifiques reconnues par les ARS dans quelques régions mais « une meilleure valorisation de la spécificité pédiatrique de la douleur chronique permet[trait] d’améliorer la prise en charge ». Environ 80% des structures rapportent une activité d’hospitalisation de jour, avec 177 séjours en moyenne par structure par an, et 70% ont un accès à des hospitalisations complètes. En l’absence d’accès, les établissements peuvent « refuser certaines prises en charge onéreuses comme l’application de capsaïcine à 8% [Qutenza, Astellas] ou l’utilisation des pompes intrathécales de ziconotide [Prialt, Eisai] ».
L’enquête montre des difficultés d’accès à des traitements ou des techniques spécifiques, en particulier lorsqu’il s’agit d’« actes non cotés ou insuffisamment cotés » par l’assurance maladie: 19% des structures déclarent en particulier des difficultés à financer l’acquisition de certains outils diagnostiques et 28% à prescrire certaines thérapeutiques. Il existe aussi des difficultés d’accès à des thérapies pourtant d’usage courant, comme les gestes d’infiltration ou de neurostimulation, et certaines approches neurochirurgicales restent limitées à quelques centres seulement. Sur le plan du financement, « les retours du terrain font apparaître qu’en pratique, la MIG […] n’est pas toujours totalement affectée » à la structure douleur. Dans l’enquête « forum », respectivement 23% et 13% des structures estiment que la dotation MIG ne leur est que partiellement ou pas du tout reversée. « Certaines structures font cas d’un manque de transparence de leur établissement […] ainsi que de frais de structures anormalement élevés imputés au budget et rendant les structures déficitaires en dépit de dépenses peu élevées de personnel et d’une activité de consultation élevée ».
L’enquête sur les difficultés indique que 70% des structures prévoient des difficultés de fonctionnement dans les trois ans à venir : menaces de suppressions de postes pour 49% (médecins surtout, suivis des secrétaires, infirmières et psychologues) et de baisse de financement pour 52%. Un tiers d’entre elles considère que leur pérennité est sérieusement menacée. Le nombre de postes de médecins est perçu comme inadéquat pour le deux tiers des structures dans l’enquête « forum », pour les infirmiers par 41% et pour les psychologues par 57%. Elles sont 21% à avoir perdu du temps médical par rapport à l’année précédente. Cette perception « s’appuie sur des faits réels comme des pertes effectives de postes, des disparitions de financements Migac (du fait d’une diminution de l’activité en dessous des 500 consultations/an), de la dévalorisation des valeurs des points Migac à laquelle on assiste chaque année », commente la société savante. « Le risque d’une non-pérennité des financements génère un risque d’absence de soutien de l’établissement de soins », poursuit-elle, pointant trois structures en 2014 se retrouvant « fragilisées » car elles n’avaient pas pu atteindre le seuil des 500 consultations. « L’inadéquation constatée par certaines structures entre des MIG élevés et un refus de recrutement de personnel et/ou un non renouvellement de personnels en arrêt provoque un sentiment d’incompréhension voire d’impuissance des équipes soignantes vis-à-vis des politiques de l’établissement voire des ARS, ce qui aggrave encore la perception de menace », ajoute la SFETD. Par rapport aux autres structures et professionnels, les enquêtes témoignent d’une « demande croissante d’avis diagnostiques et/ou de demandes de prises en charge thérapeutiques de la part des services hospitaliers, qu’il s’agisse de douleurs aiguës rebelles ou d’exacerbations de douleurs chroniques ».
Mais « cette demande est d’autant plus difficile à assurer que la taille des structures est faible. En effet, à personnel constant, la structure sera amenée à réduire son offre de consultations externes de manière à assurer cette demande interne urgente, et donc à perdre des financements par MIG. Tant que des conventions n’auront pas été mises en place vis-à-vis des services extérieurs aux structures douleur, ce problème ne pourra être résolu », estime la SFETD. Sur le plan de la recherche, l’enquête « forum » indique que seules 31% des structures douleur déclarent participer à des essais cliniques industriels et 35% à des études institutionnelles. « L’activité des structures douleur dans le domaine de la recherche semble donc limitée par rapport à d’autres pays comparables comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Cette situation tient vraisemblablement, pour une large part, au fait que […] la médecine de la douleur n’est pas […] reconnue en France comme une discipline universitaire. L’immense majorité des praticiens du domaine qui sont des PH, ne peuvent consacrer beaucoup de temps à la recherche clinique, faute de moyens logistiques et humains. » A l’issue de cet état des lieux, la SFETD relève des points forts, comme le maillage territorial, une organisation formalisée, des équipes compétentes, mais s’inquiète des menaces telles que les prochains départs à la retraite alors que la population vieillit, un contexte de restriction budgétaire au sein du système de santé, une dégradation de la valeur des Migac, et des Merri, ainsi qu’un risque de suppression des diplômes universitaires. Elle souhaite toutefois s’appuyer sur des opportunités, comme le développement des nouvelles technologies du numérique, le projet de loi de santé, les protocoles de coopération, pour améliorer les points faibles des structures douleur et l’accès à une meilleure prise en charge.