SYNTHÈSE DE L’ENQUÊTE [Décembre 2001 (version mise à jour en Septembre 2002)]
Coordination : AIDES
Partie scientifique : INSERM Financement : OFDT et MILDT
Pourquoi cette enquête ?
Une enquête menée en 1998 auprès des usagers de drogues accueillis à AIDES montrait que, malgré un impact réellement positif des traitements de substitution, plus de 50 % des répondants soulignaient l’inadaptation des traitements actuels et souhaitaient un élargissement de la palette des traitements. Nous avons donc souhaité approfondir ce travail en vérifiant ces hypothèses auprès d’une population ne fréquentant pas l’association AIDES.
Objectifs
Cette enquête cherche à répondre à des questions qui sont au cœur de la redéfinition nécessaire de la politique de soins en faveur des usagers de drogues :
- Existe-t-il des perceptions différentes des traitements et du cadre de prise en charge chez les utilisateurs ?
- Peut-on éclairer la question de l’injection et des consommations associées ?
- Quelles sont les attentes des usagers vis-à-vis des traitements de substitution ?
L’originalité de cette enquête est de décrire l’impact des traitements du point de vue des personnes et sans passer par un réseau d’intervenants, réduisant ainsi les biais de désirabilité des réponses.
Méthodologie et description de l’échantillon
506 personnes ont été recrutées sur 5 sites selon les critères d’inclusion suivants :
- Prescription de Subutex®, méthadone ou sulfates de morphine (Skénan® ou Moscontin®)
- Au moins 6 mois de prescription du même traitement
- Prescription sur le site de recrutement
Distribution de l’échantillon selon les sites de recrutement : (en pourcentage)
Distribution de l’échantillon selon le traitement prescrit :
Rappel : l’objectif est de comparer l’impact de la substitution par traitement et non d’avoir une population représentative des personnes en substitution en France.
Distribution de l’échantillon selon le cadre de prescription :
Caractéristiques socio-démographiques :
- 71 % d’hommes et 29 % de femmes.
- Age moyen : 33,5 ans.
- 50 % : scolarisés jusqu’à la troisième.
- 50 % : séjour en prison (nombre moyen d’incarcérations proche de 4).
Situation par rapport au VIH et aux hépatites :
- 26 % de VIH +
- 57 % de VHC +
- 25 % de VHB +
La pénibilité des traitements de substitution s’ajoute aux effets secondaires générés par les traitements VIH et/ou VHC. 87 % des personnes traitées pour le VIH et/ou le VHC déclarent des effets secondaires, majoritairement pénibles à très pénibles (il n’est pas possible de distinguer ce qui relève des traitements VIH, VHC ou de substitution).
Données par rapport aux traitements de substitution
Durée moyenne de prescription du traitement de substitution : 29 mois. Cette durée est intéressante pour mesurer l’impact des traitements de substitution.
Doses moyennes prescrites :
- Subutex®: 11 mg
- Méthadone : 70 mg
- Sulfates de morphine : 343 mg
50 % des répondants au questionnaire ont une autre prescription de médicaments, dont 33 % par un autre médecin que celui qui prescrit la substitution.
Observance
- 67 % déclarent une observance stricte de leur prescription au cours du mois qui a précédé l’enquête.
- Les non observants se répartissent de la façon suivante : 14 % ont sur-consommé ; 19 % ont sous-consommé. 30 % des personnes ayant une prescription de Subutex® déclarent s’en être procuré hors prescription (trafic de rue) et une des raisons majeures invoquées est la sur-consommation.
Injection
- 27 % déclarent injecter leur traitement de substitution, dont 15 % systématiquement.
- 40 % des personnes sous Subutex® injectent leur traitement.
- 60 % des personnes sous sulfates de morphine injectent leur traitement.
Deux profils d’injecteurs se dégagent, en fonction des raisons de l’injection : pour le Subutex® : ennui, quand cela ne va pas, mauvais goût du traitement. pour les sulfates : recherche d’effets se rapprochant de ceux des opiacés (rapidité des effets, mieux sentir les effets du produit).
Poursuite de consommation
32 % poursuivent des consommations de produits illicites et/ou de médicaments détournés de leur usage. Parmi les personnes qui poursuivent une consommation de produits illicites, 23 % les injectent.
Les profils des personnes en substitution
L’analyse des résultats a permis une classification des répondants à cette enquête en plusieurs profils. Ces profils permettent de décrire et de comparer la population par rapport aux traitements de substitution et d’ouvrir des pistes de réflexion. Il ne s’agit pas d’une interprétation.
Profil des répondants en fonction des caractéristiques socio-démographiques :
- 1° groupe [44 %] : peu insérés, 40 ans et plus -> CSST, méthadone
- 2° groupe [32 %] : insérés, 30/40 ans ->Î cabinet libéral, pas de traitement associé
- 3° groupe [14 %] : jeunes, précarisés, incarcérés -> pas de cadre associé, Subutex®
- 4° groupe [10 %] : hommes, très précarisés -> pas de caractéristiques associées
Profil des répondants en fonction de l’impact sur les consommations associées et le maintien de l’injection
- 1° groupe [68 %] : non-consommateurs, non-injecteurs -> peu de Subutex®
- 2° groupe [23 %] : consommateurs (sauf crack), injecteurs -> Subutex® fortement représenté
- 3° groupe [6 %] : consommateurs de crack -> sulfates fortement représentés
- 4° groupe [3 %] : consommateurs de médicaments et de drogues de synthèse, injecteurs -> pas de caractéristiques associées
Profil des répondants en fonction de l’impact sur la satisfaction
- 1° groupe [15 %] : satisfaction très élevée et impact ressenti très positif -> méthadone
- 2° groupe [43 %] : satisfaction modérée et impact ressenti positif -> moins de sulfates
- 3°groupe [31%] : satisfaction modérée à faible et peu d’impact ressenti -> moins de méthadone
- 4° groupe [11 %] : détérioration de la situation -> pas de caractéristiques associées
Profil des répondants en fonction des attentes et des besoins
1° groupe [83 %] : en faveur de
- plus grande diversification de l’offre de soins
- clarification du projet thérapeutique
- prise en charge globale de la santé et de la personne
- un médicament aux effets psychotropes plus prononcés
2° groupe [17 %] : en faveur de
- relation avec le médecin plus distante
- recherche d’un produit-drogue
Attentes en fonction du médicament prescrit :
- Sulfates -> produit-drogue
- Méthadone -> logique de maintenance
- Subutex® -> profils mitigés
Conclusions
Bon impact des traitements de substitution et satisfaction relative (de modérée à très satisfait).
Une sous-population pour qui cela ne marche pas ou difficilement (3 personnes sur 10).
Malgré les limites méthodologiques :
- biais de sélection (Brest et Clermont : situation monopolistique de l’offre de soins ; Montpellier : mises en examen autour de la prescription des sulfates),
- représentativité de l’échantillon (si l’étude ne prétend pas à la généralisation des résultats sur l’ensemble des personnes en traitement de substitution en France, elle tend à une représentativité raisonnable du fait de son mode de recrutement à la fois dans les CSST et dans les cabinets libéraux et de la comparabilité de notre échantillon à d’autres études observationnelles menées en France auprès des mêmes populations), nous avons procédé à des profils permettant de mieux décrire les difficultés.
Ces profils font apparaître des populations hétérogènes sur les conditions de vie, les parcours, les modes de consommation et l’impact et les attentes en matière de traitement de substitution et doivent nous amener à nous interroger sur la difficulté de la substitution telle qu’elle est organisée aujourd’hui (traitement, cadre de prescription) à répondre à ces populations hétérogènes.
La poursuite de consommation de produits illicites et de médicaments est loin d’être négligeable (32 %).
Parmi ces personnes, 23 % poursuivent une pratique d’injection ; en outre, 40 % des personnes sous Subutex® et 60 % des personnes sous sulfates injectent leur traitement.
La méthadone semble ressortir comme étant ‘au-dessus’ des autres médicaments et ces observations posent la question de la place du Subutex® comme traitement de première intention.
Sur la comparaison entre les traitements par rapport à la question de l’injection et de la poursuite de consommations illicites, les analyses ne permettent pas de conclusions probantes. Toutefois, les résultats montrent le faible potentiel du Subutex® à répondre aux troubles psychologiques. De plus, la possibilité de recourir à l’injection et la poursuite de consommations associées pourraient en faire un médicament parfois contre-productif quant à ses fonctions de réduction des risques sanitaires (dont des complications loco-régionales sévères – abcès) et d’abandon de consommation de produits illicites.
Il est donc nécessaire de clarifier ces questions ; une exploration plus fine en ce sens est actuellement en cours.
Commentaires de le rédaction du FLYER
AIDES réalise la revue REMAIDES, un trimestriel destiné aux personnes séropositives et à leurs proches, mais aussi aux personnels sanitaires et sociaux. Un numéro spécial consacré aux usages de drogues a été édité en avril 2002, avec un article sur cette enquête). Il est disponible sur demande. Vous pouvez aussi choisir de vous abonner à la revue. Pour toute information sur le numéro spécial et les abonnements, merci de contacter Cyrille Leblon au 01 41 83 46 10 ou à cleblon@aides.org (documentaliste de la revue REMAIDES). Ce travail inédit apporte une base de données irremplaçable sur la connaissance des traitements de substitution, vus par les usagers eux-mêmes.
Concernant ce travail, et la place respective des traitements de substitution mentionnés, nous émettons toutefois la réserve suivante. La comparaison de l’efficacité des deux médicaments de substitution autorisés est délicate dans le contexte français, où pour des raisons de choix politique, le dispositif légal de mise à disposition de ces 2 médicaments est différent. L’un et l’autre ne se situent pas au même moment, dans la trajectoire des usagers de drogue. Il est un fait que la méthadone est plus volontiers un traitement de seconde intention, et s’adresse alors à un public de patients plus motivés, et peut-être également plus éloignés de ce fait de leurs périodes d’usage actif de drogue. Cela étant dit, nous rejoignons l’une des conclusions de l’enquête, qui considère discutable la place de traitement de première intention de la buprénorphine haut dosage. Ce qui se passe dans les pays où la méthadone est largement disponible et depuis longtemps, et qui voient arriver la buprénorphine plutôt comme un traitement de seconde intention après la méthadone, ou pour une pratique de sevrage progressif, montre l’impact du cadre historique et législatif dans la notion (normalement) clinique de première ou seconde intention.
Il reste donc aux cliniciens, après une évaluation scientifique rigoureuse, de se prononcer sur ce sujet. Les études comparatives déjà réalisées laissent entrevoir que dans un milieu identique, l’efficacité en terme de rétention et d’urines négatives est comparable pour les deux traitements, si l’on prend la peine d’adapter au mieux les posologies. Mais peut-on raisonner de la sorte, sans tenir compte des effets à court-terme et à long-terme sur d’autres critères, du milieu naturel des patients substitués différent du cadre d’une étude, et sans tenir compte de l’avis des usagers, leurs ressentis et leurs attentes ?
L’idéal serait que chaque patient puisse bénéficier, après ‘discussion’ avec son médecin, du traitement le plus adapté en terme d’effets pharmacologiques, de profil de tolérance, d’acceptabilité, de possibilité de détournement, de transport… ? C’est en pratique, ce que fait tout clinicien sur la plupart des pathologies qu’il rencontre (au moins sur les 3 premiers critères). Quand chaque patient aura alors son traitement dans ces conditions de choix thérapeutique normal, l’évaluation comparative des deux modalités de traitement sera plus pertinente, mais il faudra aussi prendre en compte les différents profils de patients recrutés dans les deux groupes, s’il y a lieu (âge, durée de la période d’addiction, comorbidités associées, etc.).