Introduction
L’injection de médicaments non prévus pour être injectés est associée à des complications qui, pour certaines, sont inhérentes à la présence de particules insolubles comme le talc ou l’amidon. Leur l’injection peut entraîner des complications telles que des abcès, ulcères, phlébites, embolies pulmonaires et la talcose [1].
La filtration peut prévenir ou retarder ces complications en éliminant les particules insolubles de la suspension avant injection.
Des filtres à membrane, tels que les Sterifilt ou les filtres de type toupie, sont plus efficaces pour éliminer les particules d’une solution que les filtres en coton ou à cigarettes [2]. En France, un des médicaments détournés par injection est le Skenan, une gélule à libération prolongée de sulfate de mophine, dont l’indication initiale est le traitement des douleurs sévères. En 2015, l’injection de ce médicament concernait 17% des injecteurs qui fréquentaient les CAARUD [3].
Pour préparer le Skenan, les personnes appliquent quasiment toujours de la chaleur après avoir ajouté la poudre ou les microbilles à la solution [4]. En raison de la présence d’amidon, lorsqu’elle est chauffée, la suspension devient très visqueuse. De ce fait, les filtres plus efficaces ont tendance à s’encrasser et ne sont pas souvent utilisés. Les personnes utilisent généralement des filtres à cigarette. La pâte, qui reste au fond de la cuillère après filtration, ainsi que le filtre en lui-même, sont gardés pour être réutilisés ultérieurement.
Seules, quelques personnes dissolvent la poudre écrasée dans l’eau froide, elles mentionnent récupérer un taux de morphine acceptable après une attente de 5 à 10 minutes [5]. Ce temps d’attente ne semble pas convenir à toutes les personnes.
Notre objectif était de trouver des « bonnes pratiques de préparation » pour le sulfate de morphine, à savoir des méthodes de préparation qui réduisent les dommages, permettant une filtration efficace, qui sont fondées sur des preuves et qui sont acceptables pour les personnes qui injectent des drogues, permettant d’obtenir la quasi-totalité de la substance active dans la seringue dans un temps relativement court.
Méthode
Nous avons préparé des gélules de Skenan selon 2 méthodes différentes :
- La méthode froide : les microbilles sont pilées, la poudre est ajoutée à la cupule, suivie de l’eau froide, on touille et on filtre.
- La méthode tiède : les microbilles sont pilées, on les met de côté. On ajoute de l’eau à une cupule, on chauffe cette eau puis on ajoute la poudre. On touille et on filtre. Les microbilles ne se trouvent donc pas dans la solution lorsque cette dernière est chauffée.
Pour filtrer la solution, 4 filtres différents ont été utilisés (filtre coton, Sterifilt Fast, Sterifilt + et un filtre toupie).
Les résultats suivants ont été comparés : la réduction en particules, le taux de morphine contenu dans la seringue et la facilité et le temps de filtration.
Résultats
La méthode tiède et un temps de contact de 1 minute (correspondant à une agitation pendant 30 secondes) ont été associés à un rendement supérieur en morphine.
La méthode froide, tout comme un temps de contact inférieur étaient beaucoup moins efficaces. La suspension obtenue par la méthode tiède était de surcroît facile à filtrer avec des filtres à membrane et la réduction en particules était importante avec les trois filtres à membrane testés.
En utilisant cette méthode (tiède), on a pu récupérer 86% de la morphine avec le filtre toupie, 89% avec le Sterifilt Fast et 99% avec le Sterifilt+.
Conclusion
Si nous comparons ces résultats avec ceux obtenus par d’autres [5], la méthode tiède reste la plus efficace :
Avec cette méthode, il est possible de dissoudre jusqu’à deux fois plus de morphine dans un même volume d’eau. Au lieu de garder « une pâte » et un filtre pour les réutiliser plus tard, les personnes qui le souhaitent pourraient garder la moitié des microbilles dans la gélule pour les préparer ultérieurement.
L’auteure de cet article ne déclare aucun lien d’intérêt avec la firme qui commercialise le médicament concerné.
Références
- [1] Darke S, Duflou J, Torok M. The health consequences of injecting tablet preparations: foreign body pulmonary embolization and pulmonary hypertension among deceased injecting drug users. Addiction. 2015;110(7): 1144–51. / Del Giudice P. Cutaneous complications of intravenous drug abuse. Br J Dermatol. 2004;150:1–10. /Hopkins GB, Taylor DG. Pulmonary talc granulomatosis. A complication of drug abuse. Am Rev Respir Dis. 1970;101(1):101–4. / Paré JP, Cote G, Fraser RS. Long-term follow-up of drug abusers with intravenous talcosis. Am Rev Respir Dis. 1989;139(1):233–41.
- [2] McLean S, Patel R, Bruno R. Injection of pharmaceuticals designed for oral use: harms experienced and effective harm reduction through filtration. Curr Top Behav Neurosci. 2017;34:77–98. / Roux P, Carrieri MP, Keijzer L, Dasgupta N. Reducing harm from injecting pharmaceutical tablet or capsule material by injecting drug users. Drug and Alcohol Rev. 2011;30:287–90 / Scott J. Safety, risks and outcomes from the use of injecting paraphernalia. Edinburgh, U.K. Scottish Executive; 2008.
- [3] Cadet-Taïrou A, Gandilhon M, Toufik A, Evrard I. Phénomènes émergents liés aux drogues en 2006. Huitième rapport national du dispositif TREND, OFDT; 2008. / Lermenier-Jeannet A, Cadet-Taïrou A, Gautier S. Profils et pratiques des usagers des CAARUD en 2015. Tendances 120. OFDT; 2017.
- [4] Cadet-Taïrou A, Gandilhon M. L’usage de sulfate de morphine par les usagers de drogues en France. Tendances récentes 2012-2013. Note 2014- 10 du dispositif TREND de l’OFDT à destination de l’ANSM ; 2014. / Keijzer L, Imbert I. The filter of choice: filtration method preference among injecting drug users. Harm Reduct J. 2011;8:20.
- [5] Psychoactif, Skenan, chauffer ou pas ?
- [6] Cabeças A, Xavier L, Herviou P, Gauffrier M, Richard D, Pinguet J, Libert F, Mialou M, Perrin N, Eschalier A, Authier N. Dosage des seringues de « shoot » de sulfate de morphine. Year unknown ; http://www.addictauvergne.fr/ recherche-addiction-douleur/ accessed 15 Janv 2017.
Commentaire de la rédaction
Cet article initie une série de contributions à venir dans le domaine de la réduction des risques liés à l’usage de substances, licites ou illicites, visant à promouvoir la RdR. Nous invitons tous ceux qui voudraient communiquer sur leurs pratiques, via nos canaux, à nous adresser leurs propositions d’article.
Le détournement des sulfates de morphine, et en particulier le Skenan, est le reflet de l’absence en France d’une substitution injectable. Si la mise sur le marché d’une telle substitution injectable a été encouragée par la Mildeca, il est plus souvent question de la buprénorphine. Si la buprénorphine IV pourra être utile aux injecteurs de comprimés sublinguaux, elle ne remplacera pas le besoin d’héroïne injectable, qui a fait la preuve de son intérêt, notamment chez nos voisins suisses. L’injection de sulfate de morphine est bien ce qui se rapproche le plus de l‘injection d’héroïne. C’est à ce titre qu’elle en signe la non-accessibilité.
Et, pour être complet, il faut également avoir à l’esprit que de nombreux usagers, plutôt suivis dans certains CSAPA ou en médecine générale, bénéficient d’un traitement de substitution opiacée par sulfate de morphine par voie orale, modalité de traitement elle-aussi disponible dans certains pays (Autriche, Suisse, Allemagne). C’est un sujet, lui-aussi, toujours « à l’étude » depuis de nombreuses années.