Introduction
En l’absence de données comportementales chez les UD (Usagers de Drogues) depuis 1998, l’Institut de Veille Sanitaire a proposé de mener avec le soutien méthodologique de l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED) et le financement de l’Agence Nationale de Recherches sur le Sida (ANRS), une étude transversale sur les fréquences et les déterminants des pratiques à risque vis à vis du VIH et de l’hépatite C (VHC) chez les UD. Une phase pilote a été réalisée à Marseille entre avril et juin 2002. En plus de tester sa faisabilité (recueil de sang au doigt, recours à des enquêteurs professionnels et aux médecins généralistes), les objectifs de cette étude étaient de décrire les situations à risque liées à la consommation de drogues et aux comportements sexuels, d’identifier les principaux déterminants de la prise de risque, et d’estimer la prévalence du VIH et du VHC chez les UD. Bien que la taille de l’échantillon (N=166) et la nature de cette étude (phase pilote) incitent à une certaine prudence dans l’interprétation des résultats, son originalité principale est de procéder à une mesure objective de la prévalence du VIH et du VHC chez les UD grâce à un prélèvement de sang capillaire sans restitution des résultats.
A partir de 2004, l’étude Coquelicot a été étendue à 5 villes (Lille, Strasbourg, Paris, Bordeaux, Marseille) auprès d’un échantillon de 1500 personnes toujours sous la responsabilité scientifique de l’InVS avec un financement de l’ANRS. Les résultats seront disponibles en 2006. L’étude Coquelicot devrait connaître une troisième édition en 2007-2008. Cette pérennisation du dispositif devrait permettre de suivre la dynamique de l’épidémie de VIH et de VHC chez les UD en France.
Résultats
La collecte des données s’est déroulée sur Marseille auprès de 166 UD recrutés auprès de 15 structures de prévention, de soins et d’hébergement pour UD et de 10 cabinets de médecine de ville (1) (CMV) entre le 22 avril le 3 juin 2002. Le taux de participation est de 71%. Le taux d’acceptabilité du prélèvement sanguin est de 83%.
L’échantillon est constitué de 70,5% d’hommes, l’âge moyen est de 34,1 ans. Les répondants ont fait de la prison au moins une fois dans leur vie pour 60% d’entre eux (99/166) dont 9% ont poursuivi les injections en prison. L’habitat peut être considéré comme stable pour 61,2% d’entre eux (101/166). Enfin, 37,3% des répondants tirent leurs ressources économiques du RMI (62/166), tandis que 8,4% se disent sans ressource.
Respectivement 15,6% (26/166) et 14,5% (24/166) des UD disent avoir injecté ou sniffé des produits dans le mois précédant le recueil des données. Durant cette période, les produits de substitution (méthadone, Subutex®) ont été consommés par 80% des UD, les benzodiazépines par 50% et les produits illicites par 25%. 70% des répondants sont polyconsommateurs avec un nombre moyen de produits consommés dans le dernier mois de 2,6.
Trente-six pour cent des UD injecteurs (8/25) disent avoir partagé leur seringue et 23% (5/25) avoir utilisé le récipient, le filtre ou l’eau de nettoyage déjà utilisé par un autre ou laissé un autre utiliser leur filtre usagé au moins une fois dans le dernier mois. Un tiers des UD sniffeurs disent avoir partagé la paille de snif durant le dernier mois. Les risques de partage de la seringue sont significativement plus importants chez les UD illicites, chez les consommateurs d’hypnotiques et chez ceux qui déclarent avoir consommé plus de 2 produits.
Soixante dix-neuf pour cent des répondants (131/165) déclarent avoir eu des relations sexuelles dans les six derniers mois. Les relations sexuelles non protégées entre personnes de statuts sérologiques VIH différents ou inconnus concernent 16,5% des personnes déclarant avoir eu des relations sexuelles dans les six derniers mois (14/131). Cette prise de risque sexuel global est significativement plus élevée chez les personnes qui s’estiment en mauvaise ou assez mauvaise santé.
Résultats relatifs à l’hépatite C
95% des UD étaient testés pour le VHC et 96% pour le VIH.
La prévalence déclarative et biologique du VIH est de 22% (36/156).
Chez les moins de 30 ans, on note l’absence de toute séropositivité (0/35). La prévalence déclarée du VHC est de 51,6% (81/157) contre 72,6% par le test sérologique sur buvard (93/128). 30% des sujets positifs au VHC sur le sang capillaire (27/91) ont ainsi déclaré ne pas être contaminés par ce virus. Contrairement au VIH, la prévalence du VHC chez les UD de moins de 30 ans est de 43% (13/28). Un peu plus de la moitié des sujets séropositifs au VHC sont suivis médicalement.
Fig 1 : Prévalences de la séropositivité VIH et VHC par mode de recueil et par classe d’âge (étude Coquelicot, 2002)
L’étude Coquelicot qui a consacré quelques questions à la perception de l’hépatite C par les UD.
Ces résultats montrent que l’hépatite C représente une maladie grave pour 92,3% des répondants (153/166) et que 77% (128/166) pensent que cette maladie peut être traitée efficacement avec des traitements. Parmi les raisons qui peuvent expliquer pourquoi les usagers qui en ont besoin n’accèdent pas à ces traitements (plusieurs réponses possibles étaient proposées), la moitié des personnes interrogées (80/166) évoquent des craintes autour du protocole thérapeutique : crainte des effets secondaires liés à l’interféron (62/166), crainte des examens à subir (44/166) et/ou crainte des injections (18/166). Douze pour cent (19/166) évoquent également les perceptions globalement négatives du traitement et 19% (31/166) l’absence de confiance dans l’efficacité du traitement.
Seize pour cent (27/166) estiment que cette difficulté tient aussi à la « personnalité des UD » : manque de volonté, de motivation ou d’envie de se soigner, sentiments de peur ou de honte qui empêchent de faire les démarches ou de parler du problème, indifférence ou négligence qui fait que la maladie n’est pas considérée comme une priorité de santé ou comme un problème tout court. Le manque d’information concernant la maladie et les traitements sont cités dans 3% des cas (5/166). Il est intéressant de noter les distinctions entre les représentations que les usagers déclarent avoir eux-mêmes de l’hépatite C et celles qu’ils attribuent aux autres usagers, qui peut être interprétée comme une volonté de se distinguer du reste de la population des UD.
Fig 2 : Raisons de la difficulté d’accès au traitement du VHC d’après les UD etude Coquelicot, 2002
Recommandations
Ces résultats préliminaires suggèrent un impact notable des actions et messages de réduction des risques sur le VIH (absence de séropositivité avant 30 ans) mais de portée très limitée sur le VHC dont la prévalence élevée chez les jeunes UD laisse supposer un risque de contaminations important dès le début de l’usage. Au-delà de biais de déclarations probables, ils confirment également l’évolution des tendances récentes chez les UD : chute des consommations des produits illicites au profit des produits de substitution et des médicaments psychotropes, et baisse importante de l’injection.
En plus de maintenir un niveau d’accessibilité suffisant au matériel d’injection stérile, ces premières données incitent d’ors et déjà à mettre un accent particulier sur l’accès au dépistage et aux soins qui prennent en compte les réticences des usagers à se faire tester pour le VHC et à se faire soigner pour leur hépatite.
En effet, le dépistage VHC en Consultation de Dépistage Anonyme et Gratuit est souvent appréhendé comme une démarche « longue et fastidieuse », une proposition de test réalisé au sein même des structures fréquentées au quotidien pourrait avantageusement remplacer cette démarche.
Dès lors, il est important d’envisager les modalités d’utilisation de ce test dans le cadre des programmes de prévention afin d’améliorer la prise en charge globale des publics exposés. Ce test doit être préalablement évalué non plus dans une optique de recherche épidémiologique, mais dans une optique de dépistage de santé publique. Une fois les performances de ce test évaluées dans une optique de dépistage, il faut réfléchir aux ressources logistiques nécessaires pour le recueil et l’analyse des buvards. Enfin, il est primordial de s’interroger sur les conditions de restitution des résultats. Ce screening de première intention peut paraître séduisant pour les équipes, mais il doit être manipulé avec précaution vis-à-vis des UD.
Concernant la prise en charge du VHC, les UD peuvent hésiter à se faire soigner en raison de représentations négatives autour du protocole thérapeutique, et ce d’autant plus que la co-infection fréquente VIH-VHC et les conditions de vie précaires de la plupart de ces personnes rendent complexe leur prise en charge médicale.
Références : Emmanuelli J, Jauffret-Roustide M. Epidémiologie du VHC chez les usagers de drogues, France, 1993-2002. BEH n° 16-17/2003, p. 97-99
Nous remercions les dispositifs qui ont participé au recueil de l’étude Coquelicot : Centre de soins AMPTA, Hébergement AMPTA, Bus méthadone MDM, Local MDM Mission réduction des risques, Equipe de rue MDM Centre-ville, Equipe de rue MDM quartiers, AIDES PES, Protox, Unité de substitution hôpital St Marguerite, Point Marseille – SOS DI, Entracte – SOS DI, Sleep’in consultation, Sleep’in équipe de rue, Centre Casanova, Intersecteur des Pharmacodépendances et Autres Regards.
Et les médecins généralistes : Dr Arnoulet, Dr Berria, Dr Betti, Dr Chiappe, Dr Fédérici, , Dr Martin, Dr Mattéi, Dr Nusimovici, Dr Philibert. Martine Quaglia, Pascal Arduin de l’INED