Les patients présentant une comorbidité entre troubles addictifs et pathologies psychiatriques, encore appelés « Dual Diagnosis » (DDs), sont particulièrement nombreux à la fois dans les centres de soins spécialisés et dans les services de psychiatrie. Ils ne constituent cependant pas une population homogène. Ces patients sont souvent considérés comme ‘difficiles’ du fait des troubles du comportement qu’ils présentent. Une prise en charge adaptée aux besoins des patients, permet cependant, à moyen terme d’éviter des complications parfois dramatiques (overdose, suicide, mortalité somatique..) et l’exclusion encore trop fréquente de ces patients du système de soins.
DDs : des patients fréquemment rencontrés
L’association entre troubles addictifs et pathologies psychiatriques est un phénomène fréquent en population générale. Ainsi Regier et al. (1999), dans l’étude en population générale du Epidemiological Catchment Area Program (ECA), estiment la prévalence (sur la vie entière) d’un trouble lié à une substance de 29% (22% pour l’alcool) chez les sujets ayant un trouble psychiatrique. De même dans cette étude, chez les patients ayant un trouble lié à une substance psychoactive, la fréquence de la comorbidité avec un trouble mental est de 37%. On estime ainsi qu’en population générale, la présence d’un trouble mental est ainsi associé à un risque au moins deux fois supérieur d’avoir un trouble lié à l’alcool et plus de quatre fois supérieur à un trouble lié à l’abus de drogues.
Chez les patients souffrant de troubles mentaux ou chez les usagers de drogues, le nombre de patients DDs est beaucoup plus élevé qu’en population générale. Chez les patients souffrant de conduites addictives, trois principaux types de troubles psychiatriques sont rencontrés par ordres de fréquence décroissante :
- les troubles de l’humeur,
- les troubles de la personnalité
- et les troubles schizophréniques.
De même, chez les patients déprimés, la fréquence d’une comorbidité addictive varie de 20% à plus de 70% suivant la substance utilisée. Il est certain que le tabac constitue par ordre de fréquence la substance psycho-active la plus fréquemment rencontrée chez les patient souffrant de troubles psychiatriques et les patients présentant une addiction.
Enfin, les patients DDs sont ceux qui ont le pronostic le plus défavorable. Ils sont ceux qui ont le plus grand recours aux structures de soins (principalement sur le mode de l’hospitalisation en urgence), ceux qui présentent le plus de troubles du comportement et des conduites violentes (suicide….), enfin ceux pour lesquels les problèmes familiaux, les difficultés sociales et judiciaires ainsi que les complications somatiques sont les plus graves (infection par le VIH ou le VHC…).
DDs : comment mettre en évidence cette association
La mise en évidence d’une comorbidité psychiatrique chez les patients présentant des conduites addictives est un phénomène souvent difficile. En effet, de nombreuses substances psycho-actives peuvent induire à des degrés divers des tableaux psychiatriques. Ces troubles psychiatriques peuvent prendre le masque de l’ensemble de la symptomatologie psychiatrique (manifestations psychotiques, dépressives, anxieuses….).
Les substances psycho-actives sont diverses (tabac, cannabis, alcool..) et peuvent induire des états psychiatriques à la fois lors de l’intoxication mais aussi lors des phénomènes de sevrage. Il convient de rappeler ici que les diagnostics psychiatriques ne sont que des diagnostics d’élimination. Lors des phénomènes de sevrage, les troubles psychiatriques peuvent survenir dans les heures ou parfois les jours suivant l’arrêt de la substance. Par exemple, à l’arrêt du cannabis des troubles psychiatriques peuvent se rencontrer plusieurs semaines après. Il convient donc le plus souvent de poser un diagnostic de troubles psychiatriques associés à un usage de substances psycho-actives lors des périodes de stabilisation.
Pour les patients sous traitements de substitutions, il conviendra de s’assurer qu’ils ne sont pas dans une situation clinique de manque et que les posologies sont adaptées avant d’évoquer l’existence d’une comorbidité psychiatrique.
Il n’est pas inutile de se souvenir que les médicaments opiacés possèdent par eux même des propriétés psychotropes non négligeables et utiles pour contrôler bon nombre de manifestations psychiatriques à la condition que les posologies soient adaptées à l’état clinique.
Principes généraux de prise en charge des patients DDs
Face à l’existence d’une association troubles addictifs – pathologie psychiatrique grave, plusieurs courants de pensée s’opposent.
Dans la réalité des faits, la majorité des patients présentant une telle association, surtout si elle est source d’importants troubles du comportement, se retrouvent dans les dispositifs de soins à bas seuil d’exigence. Souvent, la prise en charge s’est effectuée dans des structures différentes (une pour les troubles addictifs et une pour les troubles psychiatriques) ; chaque intervenant espérant trouver une aide improbable auprès des partenaires potentiels d’une autre spécialité. La majorité des études disponibles montrent cependant que les services « classiques » (psychiatriques ou dédiés aux conduites addictives), sont mal adaptés pour prendre en charge ce type de patients. Confrontés à des réponses parfois inadaptées à leurs besoins, les patients DDs échappent souvent aux soins ce qui a pour conséquences d’aggraver encore la morbidité et la mortalité liées à ces troubles.
Les programmes appelés « intégratifs », associant une prise en charge concomitante des troubles psychiatriques et des conduites addictives sont, dans la majorité des études, plus efficaces que les prises en charge « conjointes » (réalisées parallèlement en psychiatrie et en centre d’addictologie).
Il existe de nombreuses modalités de prise en charge intégrative dans la littérature. Certains principes guident toutefois l’organisation de ces dispositifs. Cette organisation ressemble souvent à la mise en place de centres méthadone à bas seuil d’exigence tels qu’ils peuvent être développés en France. Le premier principe est celui de la Flexibilité ; flexibilité de la part des soignants et dans l’offre de soins. Le corollaire de cette flexibilité est la notion d’accompagnement personnalisé (le plus souvent en dehors de la structure de soins..).
Associé à la flexibilité des soins, il convient de pouvoir répondre rapidement aux besoins des patients. Ces besoins concernent le plus souvent la recherche rapide d’un soutien social (au travers de recherche d’un logement stable ou d’une occupation régulière et ludique) et la prise en compte rapide des besoins en matière de santé physique. Cette prise en compte rapide de ces besoins doit permettre de renforcer la motivation aux changements chez les patients DDs trop souvent habitués de la part du système de soins à un niveau d’exigence trop élevé (le sevrage n’est qu’un objectif lointain). Les objectifs de traitements doivent être personnalisés et s’appuyer sur les besoins du patient.
Les programmes « intégratifs » doivent pouvoir garantir la continuité de la prise en charge, bien souvent sur plusieurs années. Les améliorations sont parfois longues chez ce type de patients et nécessitent une grande adaptabilité des structures. Les changements sociaux précédent souvent les changements dans les conduites addictives. L’arrêt des substances psycho-actives ne peuvent constituer qu’une étape du traitement.
Le modèle le plus souvent proposé dans ce type de prise en charge « intégrative » est le modèle transthéorique de changement comportemental développé par DiClemente et Velasquez (2002). Les différentes étapes de motivation aux changements décrites dans ce modèle sont aussi applicables aux patients DDs. Il convient toutefois de tenir compte que les motivations pour les conduites addictives et pour les troubles psychiatriques ne sont généralement pas parallèles.
L’organisation de la prise en charge, dans ce type de programmes « intégratifs » est très dépendante des moyens humains disponibles dans les structures. On décrit différents types possibles de prise en charge allant de prises en charge hospitalières strictes à des prises en charge ambulatoire. Le recours à l’hospitalisation ne semblent pas apporter, dans la littérature, de gain majeur en terme d’efficacité. Deux éléments d’organisation semble toutefois important à prendre en compte : le recours à des réponses de crise (surtout en début de prise en charge) doit toujours être intégré à l’organisation de ce type de programme et l’hospitalisation doit être de courte durée centrée sur la gestion de crise.
Quelques références utiles :
- DiClimente CC, Velasquez MM. Motivational interviewing and the stages of change. in SR
- Rollnick & WR Miller eds. Motivational interviewing (2nd ed .). New York. Guilford Press. 2002.
- Drake RE, Mercer-Mc Fadden C, Mueser KT, Mc Hugo GJ, Bond GR. Review of integrated mental health and substance abuse treatment for patients with dual disorders. Schizophrenia Bulletin. 1998, 24 : 589-608.
- Onken LS, Blaine JD, Genser S, Horton AM. Treatment of drug-dependent individuals with comorbid mental disorders. NIDA Research Monograph 172. 1997.
- Prochaska JO, DiClimente CC. Stages of change in the modification of problem behaviors. Progress in Behavior Modification. 1992, 28 : 183-218.
- Regier CA, Narrow WE, Rae DS, Manderscheid RW, Locke Z, Goodwin FK. The de facto US mental and addictive disorder service system : epidemiologic catchment area prospective 1-year prevalence rates of disorders and services. Archives of General Psychiatry. 1993, 264 : 85-94.
- Rounsavile BJ, Weissman MM, Crits-Critoph K. Diagnosis and symptoms of depression in opiate addicts. Archives of General Psychiatry. 2001, 39 : 151-156.