A la lecture du Dr AF VANHOENACKER et de la réponse du Comité de Rédaction du FLYER (voir l’article « Une histoire belge qui fait réfléchir »), précisons que le déplacement en Belgique pour obtenir des gélules de méthadone de patients Français depuis les départements du Nord, n’est pas uniquement lié au rôle d’un seul médecin (comme souvent l’arbre du médecin déviant cache la forêt d’une pratique normalisée de la médecine). Leur nombre a dépassé les 1500 en 2001, pour se situer un peu en deçà actuellement, alors que le nombre de patients dans le Hainaut belge et y résidant se situe entre 2500 et 3000. En nombre de personnes concernées la situation n’est pas négligeable.
Elle correspond à une demande telle qu’elle nécessite une réflexion qui implique les tenants de l’offre : les intervenants français et belges, médecins, pharmaciens et centres spécialisés. Je tiens tout d’abord à préciser que la demande des patients français n’implique pas ipso facto qu’il s’agisse d’une déviance. La démarche du patient constitue, dans certains cas, le fondement d’un processus thérapeutique.
Au même titre que le processus thérapeutique de patients belges avec rendez-vous bi-mensuel auprès d’un praticien en pratique privée telle qu’elle se pratique « normalement » depuis le Consensus belge sur la méthadone de 1994, celui suivi par des patients français n’apparaît pas comme tellement singulier pour le praticien belge. Le rapport entre le médecin et le patient dans une approche chronique de l’addiction se développe dans le ‘colloque singulier’ en Belgique dans une majorité de cas. C’est ce qui distingue le prescripteur du thérapeute. Si une alliance thérapeutique parvient à s’établir avec le patient, alors la substitution aura pleinement opéré (en permettant « autre chose » dans une relation thérapeutique). Cette conjonction s’inscrit souvent dans la durée (20 % des patients ont plus de 5 ans de suivi avec le même thérapeute) et le praticien accompagne la « stabilisation » sous opiacé à des doses le plus souvent relativement faibles. Il faut donc s’attendre, bien que cela puisse ‘surprendre’, à ce que des patients français puissent être stabilisés dans le « système » libéral belge de prise en charge.
Toutefois, tout complément « d’âme » d’autres intervenants est certainement souhaitable pour de nombreux patients. C’est bien à cette coopération d’intervenants qu’il faut appeler au-delà des clivages frontaliers. Ceci doit, évidence à réaffirmer, s’organiser dans l’intérêt même du patient. Que ceci entraîne par ailleurs une réflexion sur le seuil de prise en charge, soit. A condition que l’accès à la méthadone soit reconnu comme gérable, « même » en pratique privée.
C’est d’ailleurs ce que le système belge montre sans accrocs majeurs depuis de nombreuses années. Même si dans la durée un essoufflement et parfois un désenchantement est perceptible chez certains. L’addiction en tant qu’affection chronique entraîne des soins d’amélioration de la qualité de vie du patient, de son entourage et pourquoi pas des intervenants eux-mêmes. Que la question rencontrée soit transfrontalière implique que la réponse le soit. Les ajustements devraient certes s’estomper dans un espace de santé européen, mais cela ne va pas de soi au quotidien. N’y aurait-il d’ailleurs pas d’autres exemples en Europe dans la prise en charge substitutive ? L’arrivée de patients de l’Est est une réalité qui va se développer dans diverses régions. Autant développer une concertation de praticiens autour de la situation de ces patients spécifiques, happés par l’effet ‘ballon de l’accès au médicament’.
L’Association Pharmaceutique Belge souhaite que se développe un tel processus tout en se donnant les moyens d’évaluer la situation. Une étude sur la situation de ces patients français doit être soutenue et l’APB*, chargée d’évaluer la situation fédérale belge (Services Scientifiques Culturels et Techniques – SSTC) souhaite contribuer à cette évaluation plus spécifique (une soixantaine de patients français ont répondu à un instrument auto-administré utilisé par plusieurs centaines de patients belges, ce qui fournira une première base empirique à l’évaluation). Nous souhaitons que les pratiques soient évaluées. Toutes les pratiques : avec méthadone, Subutex®, dans des cadres de fonctionnement cliniques divers, avec plus ou moins de compléments à la relation singulière thérapeute-patient, et ceci dans une concertation transfrontalière. Espérons poursuivre ensemble ce processus.
* APB : Association Pharmaceutique Belge, Bruxelles. L’APB est un organisme national, à laquelle sont affiliés 4400 officines dont plus de la moitié néerlandophones.
Lire aussi la réponse d’Eléonore de VILLERS (Citadelle, Tournai, Belgique) : Prescription et délivrance de méthadone dans une perspective transfrontalière – réflexions d’un service belge à la frontière française, publié dans Le Flyer N°15, Février 2004