Nous présentons ici une synthèse en deux parties du travail réalisé par l’APB (Association Pharmaceutique Belge). La première est consacrée à l’évaluation réalisée par le pharmacien d’officine. La seconde est une analyse de l’auto évaluation des patients eux-mêmes.
A. Evaluation réalisée par les pharmaciens
L’évaluation par les quelques 300 pharmaciens de plus de 1200 patients a mis en évidence
1. Les caractéristiques socio-démographiques des pharmaciens qui délivrent et celles des patients en cure substitutive.
Les différences entre Communautés sont majeures : patients plus jeunes avec donc une moindre ancienneté de la toxicomanie en Flandre (30,2 ans en moyenne pour 32,5 ans dans la Région Wallonie-Bruxelles). Les deux Provinces de Flandre (Occidentale et Orientale) ont une forte proportion (autour de 45 %) de patients de moins de 25 ans.
A l’autre extrême, les patients de la Région bruxelloise sont les plus âgés du pays (48 % ont plus de 35 ans). Etant donné la relation étroite entre l’âge des patients et l’ancienneté de la toxicomanie, la proportion de patients âgés (les plus de 41 ans, par exemple) fournit une indication sur les provinces dans lesquelles l’usage d’opiacés est le plus ancien : Bruxelles, Anvers, le Limbourg et Liège, alors que les deux Flandres auraient été concernées le plus récemment par un développement de l’usage d’opiacés.
2. La durée du contact du patient en officine
La durée du contact du patient en officine est en moyenne de 32 mois (plus du tiers des patients ont moins d’un an et 21 % plus de 4 ans de contact).
En Flandre, 45 % des patients ont moins d’un an de contact (10 % ont plus de 4 ans) et 32 % dans la Communauté française (25 % avec plus de 4 ans de contact). Une comparaison avec la durée du traitement avec le médecin actuel est indispensable : une durée moyenne de 44 mois est observée. Dans 44 % des cas, la durée en officine est inférieure à celle de la prise en charge médicale actuelle, mais dans près de 30 % des cas, le patient vient dans l’officine depuis plus longtemps que chez son médecin actuel. Dans ces situations, le pharmacien d’officine constitue donc un ancrage de la continuité des soins.
3. Le dosage de la méthadone prescrite
Le dosage de la méthadone prescrite (ndlr : nous préférons le terme de posologie plutôt que de dosage, le premier caractérisant mieux la pratique d’un médicament) est de 47,2 mg en moyenne (écart-type : 45,1 ; n=1042).
En Flandre, le dosage est plus faible avec 34,7 mg (48,9 mg dans la communauté française). Il s’agit donc de dosages faibles, que des experts étrangers ne manqueront pas de critiquer. Les effets bénéfiques de dosages de 60 mg ou plus sont relevés dans la plupart des études, tant au point de vue de la rétention en traitement, que de l’impact sur la réduction de la poursuite de l’usage d’héroïne. Un des paradoxes du traitement substitutif en Belgique ne serait-il pas que la « prudence » qui accompagne la libéralisation de cette orientation thérapeutique ne produise un effet pervers, en n’empêchant que trop faiblement la poursuite des comportements d’addiction ?
Les accidents mortels au Limbourg au début de l’année 2003, pour lesquels on a rapidement conclu à l’implication de thérapeutes ne peuvent-ils pas tout aussi bien s’interpréter à la lumière de dosages trop faibles ? Ce paradoxe de la prudence nous semble une dimension fondamentale de l’approche sociale de la clinique et de ses effets. Etant donné la nature de la toxicomanie, l’excès de rigueur et de contrôle dans la prise en charge de ces patients, motivée par le souci apparemment légitime de leur protection, conduit à un effet contraire : une recherche d’échappatoire (rupture de la relation thérapeutique), de détournement ou plus simplement l’usage d’autres substances. Les conséquences en sont parfois dramatiques. Sans tomber dans le « tout laisser faire », la prise en charge des problèmes d’addiction force à la souplesse, à la négociation et au compromis des professionnels. Tout effort pédagogique pour éviter une vision trop simpliste de la protection de l’usager mérite ainsi d’être poursuivi, malgré les résistances de nature essentiellement idéologiques.
4. Les modalités de supervision de la délivrance de méthadone
es modalités de supervision de la délivrance de méthadone, qui reflètent à la fois des représentations et attitudes de la profession de pharmacien, mais aussi celles du corps médical, n’échapperaient pas non plus au paradoxe de la prudence. Ceci ne sera cependant démontré que dans la suite de l’étude.
En attendant une analyse approfondie, le rapport actuel présente une approche descriptive des différences entre les Communautés dans les pratiques de délivrance du médicament qui permet néanmoins de prévoir une confirmation ultérieure du paradoxe de la prudence. Il ressort de la comparaison, le développement d’une supervision extrêmement forte en Flandre où 60 % des patients reçoivent la méthadone quotidiennement (moins de 9 % dans la Communauté française) et 41,3 % prennent le médicament sur place (3,1 % dans la Communauté française).
La forme de la préparation présente aussi une spécificité communautaire, avec 80 % de méthadone en sirop en Flandre et 77 % en gélules à Bruxelles et en Wallonie. L’étude met aussi en évidence l’existence d’un rôle de tiers dans la délivrance de la méthadone.
Quoique ces différences trouvent aussi leur origine dans les différences épidémiologiques de la toxicomanie entre les deux Communautés, un test de la forte supervision a été réalisé pour situer l’impact de l’âge et de l’ancienneté par rapport à l’appartenance communautaire : le rôle de cette dernière est neuf fois plus important que celui de l’ancienneté de la toxicomanie.
Autrement dit les aspects culturels de la politique des soins substitutifs sont plus fondamentaux que les aspects objectifs de la toxicomanie. De telles différences dans l’organisation de la délivrance de la méthadone devraient en toute logique avoir des effets sur la situation des patients. Or, nous sommes contraints de constater que, dans une acception traditionnelle qui privilégierait un contrôle plus strict de l’accès au médicament, les effets ne sont pas ceux attendus.
L’étude permet, dans sa deuxième partie consacrée à l’analyse du protocole auto-administré, de mettre en évidence une tendance des patients de Flandre à conserver au moins autant que ceux de Wallonie-Bruxelles des comportements à risque tels que la poursuite de l’usage d’héroïne ou même plus fréquemment que ceux-ci, un usage par injection. L’usage de cocaïne est aussi très prévalent chez les patients de Flandre.
Bref, il ne semble pas que les restrictions à l’accès au médicament en Flandre se traduisent par un effet particulièrement favorable sur la situation des patients. Nous affirmons ceci sans volonté polémique aucune, mais dans un souci de souligner le paradoxe fondamental, spécifique au problème de l’addiction.
5. Les difficultés rencontrées dans l’accueil en officine des patients avec cure substitutive ne peuvent être éludées.
Certains pharmaciens sont très réticents à accueillir ces patients. Sur 800 pharmaciens qui ont répondu au questionnaire descriptif, une trentaine ont indiqué ne pas vouloir (ou ne plus vouloir) accueillir ces patients. Les raisons évoquées sont surtout l’insécurité et les perturbations engendrées dans la clientèle.
Ceci n’est pas le propre de la profession puisque le nombre de médecins qui prescrivent un traitement de substitution reste aussi relativement faible en Belgique (selon nos estimations, entre 1500 et 2000), malgré une prise en charge d’un seul patient chez de nombreux praticiens. L’APB comme les autres organisations professionnelles encouragent toutefois l’accueil en officine des patients en cure substitutive. Pour analyser la situation vécue par les pharmaciens, un indice des problèmes présentés par le patient (ne paie pas normalement, gêne les autres clients…) a permis de mettre en évidence qu’un tiers de l’échantillon est concerné. Un nombre optimum de patients par officine, qui réduit la probabilité de rencontre de problèmes comportementaux, est observé : avec de 4 à 5 patients en cure substitutive, les problèmes rencontrés sont significativement moins fréquents.
La co-prescription de benzodiazépines (Risque relatif : 1.66) et surtout celle de flunitrazépam constitue un facteur de risque (Risque relatif : 2.39) de tels problèmes comportementaux. La mesure de l’existence de problèmes comportementaux est un indicateur qui n’épuise pas l’évaluation de la situation du patient, mais constitue un indicateur intéressant, car il se situe en dehors des cadres usuels de l’évaluation.
6. Le type de rapports qui s’établissent entre le pharmacien et le patient a été étudié ici pour la première fois.
Il n’y a en effet pas d’exemple dans la littérature de prise en compte de ces relations.
En réalisant une analyse à partir du point de vue du pharmacien, son attitude se caractérise en première instance par une dimension d’empathie envers le patient en cure substitutive. A cette attitude répond en écho (avec une corrélation de r = .24), la dimension première de celle du patient, obtenue dans le protocole auto-administré, que nous avons qualifiée de reconnaissance du rôle du pharmacien dans la cure. Ceci souligne l’existence d’une relation entre pharmacien et patient, qu’il faut qualifier, faute d’un vocabulaire spécifique, de relation d’aide ou thérapeutique. De façon inverse au « désenchantement » des pharmaciens vis-à-vis de certains patients, répond le « malaise » de ces derniers ainsi que leur « absence de fidélité » ou de « compliance (ou observance) » (avec une corrélation de r = .18) dans leur fréquentation de l’officine. Bref, il existe un parallélisme en positif ou négatif entre les attitudes des uns vis-à-vis des autres.
L’attitude des pharmaciens de Flandre se distingue par une tendance à plus vouloir intervenir dans la prise en charge et ils se définissent aussi plus par une relation thérapeutique avec le patient. On notera que des distinctions d’attitudes apparaissent aussi jusqu’au niveau de la localisation par Province. Les pharmaciens de la Région de BruxellesCapitale ont ainsi la plus forte empathie envers leurs patients, suivis de ceux du Brabant flamand. Les pharmaciens les plus « désenchantés » se retrouvent au Luxembourg, à Anvers et en Flandre Occidentale. En ce qui concerne l’attitude selon le degré de supervision, la prise quotidienne en officine ne garantit pas plus d’empathie de la part du pharmacien, mais bien plus de désenchantement. Bien entendu ? les pharmaciens sont alors plus proactifs et ont une relation qu’ils définissent comme plus thérapeutique, et une configuration identique s’observe avec les patients qui prennent le médicament dans l’officine. Une forte supervision s’accompagne donc d’un set d’attitudes congruent chez le pharmacien qui tend à soutenir et renforcer cette pratique.
La situation dans la Communauté française est très éloignée de ce modèle de stricte supervision, malgré des recommandations d’autorités médicales ou de la pharmacie, la pratique des intervenants tend à valoriser la relation de confiance et, en tout cas, à ne pas poser à priori la défiance comme base de la relation avec le patient. Ceci n’empêche pas des déceptions et l’étude confirme un accroissement du désenchantement selon la durée de la prise en charge. Toutefois, l’empathie ou la proximité affective du pharmacien croît, elle aussi, avec la durée. L’évolution des attitudes du pharmacien selon la durée du contact respecte ainsi la réalité des améliorations ou détériorations des situations individuelles des patients, sans qu’il ne soit possible d’observer, par exemple, de lassitude généralisée chez les pharmaciens.
7. Appréciation des patients
Nous réservons pour la suite de l’étude, l’analyse de l’estimation de la proportion de patients pour lesquels les pharmaciens ont une appréciation défavorable ou favorable, avec des mesures de l’évolution des patients dans les suivis qui seront réalisés.
8. Patients domiciliés en France
L’étude fournit pour la première fois des précisions sur une population qui a échappé jusqu’à présent à tout recensement : les patients domiciliés en France qui traversent la frontière et, avec une prescription d’un médecin belge, obtiennent la méthadone dans une pharmacie du Hainaut (essentiellement). Le nombre de ces patients a fluctué selon la réaction des autorités face à la concentration de ces patients chez quelques praticiens. Autour de l’année 2000, le nombre a certainement atteint près de 2000 patients et actuellement, il a sans doute diminué de moitié. L’évolution de la politique des soins en France, avec une plus grande disponibilité de la méthadone, serait, bien entendu, propre à réduire ce phénomène. Le soutien de réseaux transfrontaliers avec une conjonction d’efforts de praticiens belges et français reste à l’ordre du jour.
B. Auto-évaluation des patients en cure substitutive
Une auto-évaluation, grâce à un protocole très détaillé (étant donné son volume, il n’a pas été joint à ce travail de synthèse, mais peut-être obtenu en écrivant à yves.ledoux@coditel.net), a été réalisée par 400 patients en cure substitutive. Cette partie importante de l’étude nécessitait un effort particulier de la part des répondants pour remplir une telle anamnèse transmise par leur pharmacien. Le protocole utilisé a été testé par deux « focus groups » de pharmaciens et de patients.
Il a fort bien été accueilli par les patients et on peut même parler d’un rôle « thérapeutique » de l’instrument qui a permis au patient de faire le point et de prendre du recul sur sa situation tout en lui donnant une parole souvent confisquée. Certains accents des commentaires rédigés dans les parties « ouvertes » du questionnaire ont révélé une dimension humaine de l’expérience de la « maladie » et fait surgir un autre paradoxe de la cure substitutive ou de la « maintenance » : le dilemme de la maladie chronique. Autant pour les experts de la toxicomanie, celle-ci est à classer parmi les maladies chroniques, les perturbations biochimiques de la prise d’héroïne se révélant rapidement avoir des effets irréversibles, autant pour le patient qui s’est engagé dans une cure, il apparaît impensable de se considérer comme voué à « maintenir » à vie l’utilisation d’un substitut opiacé. En cela, le traitement dans le sens que lui donne le patient, diffère profondément des autres maladies chroniques (le diabète, par exemple).
Les arrêts de cure sont souvent illustratives, moins d’une « rechute » au sens habituel, que, dans un premier temps en tout cas, d’un sursaut volontaire à tenter de s’en sortir en quittant le cercle perçu comme fermé sur lui-même de la substitution. Environ 30 % des patients ont tendance à se plaindre de la longueur du traitement ou d’une difficulté à arrêter celui-ci. Certains adressent sous forme de supplique une demande « d’autre chose », en fait de trouver un autre médicament. Ceci permet de légitimer, pour un nombre non négligeable de patients, la substitution de la méthadone par un médicament hybride (agoniste et antagoniste) tel le Subutex®. Un suivi des passages de la méthadone au Subutex® mériterait de se développer, ainsi que la précision des facteurs spécifiques favorables à une telle orientation clinique, les études scientifiques étant encore muettes à cet égard.
1. Qualité des relations avec le médecin et le pharmacien
En donnant la parole aux patients, la méthode utilisée dans l’étude se conforme à la réalité observée dans la pratique thérapeutique : ce qui signe le succès d’un traitement dépend en grande partie de l’implication du patient, de son observance et de la qualité de la relation avec le médecin. Quant à l’impact de la relation avec le pharmacien, aucune étude ne l’avait encore abordée. Or le développement en Belgique de l’accès en médecine libérale à la méthadone nécessite une présence de première ligne du pharmacien d’officine. Il fallait donc se donner les moyens méthodologiques d’étudier les relations du patient en cure substitutive avec le médecin mais aussi avec le pharmacien.
Pour mesurer « ce qui se passe » entre le patient et le médecin, un instrument proposé (disponible en français et traduit en néerlandais par Jan Lagrain) par l’Institute for the Study of Therapeutic Change de Chicago a permis de quantifier l’Alliance thérapeutique du patient. Cette notion clé est largement mise à l’épreuve dans l’évaluation des psychothérapies et fournit de façon synthétique la mesure du succès d’un traitement dans lequel l’implication du patient est cruciale.
L’étude confirme de façon étonnamment forte le rôle joué par l’Alliance thérapeutique dans l’apport de la cure pour le patient (voir plus loin « Douzième constat »). A tel point que la mesure de cette Alliance peut quasiment se substituer à toute autre pour indiquer si le traitement est plus ou moins une réussite ! La relation avec le pharmacien, et notamment la dimension de la reconnaissance de son rôle par le patient, se situe immédiatement à la suite de l’Alliance avec le médecin pour « expliquer » l’apport de la cure pour le patient. Ce travail sur la relation avec le pharmacien, qui ponctue en point d’orgue le rapport, est encore exploratoire et le développement d’une échelle propre, semblable à celle de l’Alliance thérapeutique est envisagée. Quoi qu’il en soit, l’étude démontre qu’il est impossible aujourd’hui d’évaluer l’impact d’une cure substitutive sans tenir compte de « ce qui se passe » entre le patient et le pharmacien.
Ceci devrait contribuer à légitimer la reconnaissance sociale du pharmacien pour son rôle dans le traitement de substitution, ce qui se traduirait concrètement par un honoraire spécifique.
2. Nouveautés concernant les caractéristiques des patients en cure substitutive
Les aspects historiques individuels antérieurs et postérieurs au développement de la toxicomanie ont été repérés avecprécision. Il est apparu fondamental de reconstruire l’origine sociale des patients, de comprendre son lieu et mode de vie, mais aussi de retracer le parcours souvent complexe des personnes au travers des institutions « totales » (c’est-àdire celles qui prennent complètement en charge le vécu quotidien, du « home » à la prison en passant par l’hôpital psychiatrique) dans lesquelles de nombreux patients ont vécu et de suivre leur parcours thérapeutique, avec une chronologie des types de soins entrepris.
Premier constat : Origine sociale des patients
L’origine sociale des patients, contrairement à ce que l’on entend souvent sur la toxicomanie qui toucherait tous les milieux sociaux, est très fortement marquée par une appartenance au milieu ouvrier (près de 2/3 des patients ont un père ouvrier). Cette origine ouvrière constitue, par sa prévalence massive, une découverte importante de l’étude. Elle permet d’envisager de nouvelles hypothèses sociologiques sur l’origine de la toxicomanie à l’héroïne, notamment la fragilisation des familles ouvrières après la période des « trente glorieuses », avec une décomposition des solidarités sociales de la classe ouvrière et un repli familial. Les rapports entre l’origine sociale et le niveau scolaire atteint indiquent une forte « reproduction » pour les francophones alors que les patients de Flandre semblent parvenir à une mobilité ascendante. Il y aura lieu de vérifier dans la poursuite de l’étude si cela correspond à une dimension sociologique différente de ce qui est observé dans la population générale.
Deuxième constat : Vie de couple
Près de la moitié des patients vivent en couple, et dans ce cas pour 38 % le partenaire est « toxicomane » mais presque toujours en cure substitutive lui aussi. Il y a donc chez près de 18 % de l’ensemble des patients une dimension « de couple » dans le traitement. Dimension qui ne devrait pas échapper aux cliniciens. Le soutien d’un partenaire abstinent est apporté fort heureusement pour 43,5 % des patients. L’étude vérifie aussi à quel point l’entente avec le partenaire constitue une dimension de la qualité de vie et de l’amélioration vécue grâce au traitement. Ici comme à d’autres moments, il est difficile de trancher sur l’origine causale. Est-ce l’amélioration qui favorise l’entente avec le partenaire ou celle-ci qui soutient l’amélioration ?
La comparaison inter-communautaire fait ressortir un plus grand isolement (40 %) des patients de Wallonie-Bruxelles, en partie lié à leur âge et à une évolution de la toxicomanie qui pousse aux ruptures affectives.
Troisième constat : situation sociale
La situation sociale actuelle des patients est dominée par l’absence d’insertion professionnelle pour 64 % avec une forte différence selon la Communauté. 74 % des patients de Wallonie-Bruxelles et 55,6 % des patients de Flandre sont sans emploi. La situation d’exclusion sociale est donc assez virulente pour les patients francophones.
Les patients de France (que nous évoquerons plus loin) se distinguent de façon spectaculaire en étant seulement 25 % à ne pas travailler. Le fort taux d’occupation de ces patients caractérise donc les patients qui recherchent depuis la France une maintenance à la méthadone. Le dispositif de soins français devrait tenir compte de la situation de ces personnes, qui, insérées socialement, recherchent une possibilité de sauvegarder leur statut, en adoptant une procédure beaucoup plus souple de délivrance de la méthadone à leur égard.
Un premier résultat négatif de la cure substitutive est l’absence d’évolution favorable de l’insertion professionnelle des patients selon la durée de la cure. Si la cure substitutive ne contribue pas à l’acquisition d’un emploi, il reste néanmoins possible, qu’elle évite de le perdre au patient qui en a déjà un. Des efforts importants devraient toutefois encore se développer pour favoriser l’emploi des patients, puisque la cure elle-même n’y contribue pas directement.
La situation se complique encore malheureusement, par l’existence d’une proportion importante de patients, 31,5 % du côté francophone et 25 % des patients flamands, qui ne se sentent pas en état de travailler et 12 % des francophones et 13,6 % des patients flamands qui déclarent ne pas souhaiter travailler. Cette désaffection du travail augmente même avec la durée du traitement. Le sentiment d’exclusion sociale croît ainsi avec la durée de la cure substitutive. Ceci rétrécit d’autant plus la marge de manœuvre pour favoriser l’emploi des patients.
Quatrième constat : Les patients ont un lourd passé de prise en charge totale en institution fermée.
La moitié a connu soit la prison ou le « home », avec 19 % qui ont connu les deux. 40 % ont connu la prison et 28 % le home. La prévention la plus efficace doit donc s’orienter dans les institutions de protection de la jeunesse, pour éviter l’emballement comportemental qui conduit à la toxicomanie. Si on considère la prison comme une « école du crime », l’école de la toxicomanie se déploie certainement dans ces institutions. Beaucoup plus, nécessairement (voir le phénomène de « reproduction », évoqué plus haut), que dans les écoles secondaires (et surtout en section humanités), où trop de campagnes de prévention ont tendance à disperser leurs efforts. Toute proposition structurée de prévention de l’usage de drogues dans les institutions de protection de la jeunesse devrait donc recevoir un soutien des autorités compétentes.
3. Situation actuelle du traitement en Belgique
Premier constat : La médecine générale en cabinet privé est devenue la modalité majoritaire où se prescrit la méthadone.
Pour adopter une formule imagée : la méthadone est soluble en médecine générale. Plus dans la Communauté française (56,4 % – sans tenir compte des patients de France qui sont presque tous pris en charge en médecine générale) qu’en Flandre (34,4 %). Dans cette dernière communauté, les Maisons d’Accueil Socio-Sanitaire (M.A.S.S.) constitueraient ma prise en charge modale avec 37 %.
Précisons que nous parlons par extension de médecine générale, puisque dans 10 % des cas il s’agit d’un spécialiste en cabinet privé. Les maisons médicales avec près de 16 % jouent un rôle non négligeable en Communauté française. Nous n’avons pas été en mesure de distinguer la prise en charge par des médecins en réseau ou pratiquant de façon isolée. Les réseaux de médecins en cabinet privé constituent cependant une modalité fondamentale pour favoriser la formation continue et les échanges entre praticiens. Les conclusions émises en 1997 lors du Suivi de la Conférence de Consensus (Ministère de la Santé) ne sont pas obsolètes à cet égard.
Deuxième constat : Les cures en Centre spécialisé (mais pas dans les M.A.S.S.) ont des patients avec le passé institutionnel le plus chargé, avec près de tiers qui ont déjà eu un séjour en institution totale.
Il n’y a quasiment pas de différence sur ce point entre la médecine générale et les M.A.S.S. (environ 45 % de passé institutionnel lourd), ce qui peut surprendre.
Troisième constat : le passé thérapeutique
En ce qui concerne le passé thérapeutique selon la modalité actuelle, l’étude tente diverses approches méthodologiques pour étudier la dynamique du recours aux soins. Une telle analyse n’ayant encore jamais été tentée en Belgique, il s’agit donc de résultats à manier avec prudence et nécessitant une confirmation avec d’autres échantillons.
Dans un premier temps, on peut tenir compte de l’ensemble des types de soins antérieurs. En comparant les modalités de soins actuelles selon la présence ou l’absence dans le passé des types de soins effectués on constate que les différences sont peu significatives. Ce qui signifie qu’en adoptant cette approche qui cumule tous les traitements suivis, les circuits de soins ne se distinguent donc pas de façon nette les uns des autres.
En comparant par communauté, on notera toutefois globalement en Flandre une prise en charge plus fréquente antérieure en Communauté thérapeutique (42 % pour seulement 22 % chez les francophones) et aussi en centre spécialisé (33 % pour 20 % en communauté française). On dira alors que le « circuit » en Flandre est composé d’instances de soins plus « lourdes » ou si on préfère d’institutions de prises en charge plus totales. N’oublions pas que les patients de Flandre sont plus jeunes et ont moins d’ancienneté dans la toxicomanie que les francophones. Ceci aurait pu entraîner une prise en charge cumulée moins importante en Flandre, or c’est l’inverse qui se produit, à la fois en types d’instances de soins fréquentées et aussi en nombre. Donc : plus de traitements différents et plus « lourds » en Flandre que chez les francophones alors que les patients sont plus jeunes. A moins de considérer que malgré tout les patients de Flandre seraient différents par leur « gravité » de la toxicomanie, ce qui ne se vérifie pas sur des mesures sociales, il faut bien se rendre à l’évidence d’un « effet de dispositif de soins ». On peut faire l’hypothèse qu’il s’agit d’une conséquence du retard dans la diffusion de l’utilisation de la méthadone et de la moindre volonté d’implication des médecins généralistes flamands dans la prise en charge substitutive de patients toxicomanes.
Pour revenir à l’analyse du passé thérapeutique selon les types de soins actuels, les résultats incitent en tout cas à la prudence avant d’affirmer que les patients de telle ou telle modalité sont des patients plus « lourds ». La situation est très embrouillée et on assiste à des circulations entre les modalités thérapeutiques qui ne semblent pas répondre à une rationalité particulière ; un peu comme si beaucoup de patients « essayaient » ce qui existe, poussés par des opportunités plus que par quelque schéma organisé. Il nous semble donc assez illusoire de vouloir construire des circuits de soins ou en tout cas, on constate que la réalité ne correspond pas à une telle rationalité (voir le cinquième constat).
Quatrième constat : Médecine générale et soins spécialisés
Si la médecine générale est majoritaire, en regardant l’ensemble des traitements à un moment donné, elle l’est presque tout autant avec 48 % au niveau de l’entrée dans le « circuit de soins » au début de la carrière thérapeutique des patients. Autrement dit, la médecine générale est à la fois dans un cas sur deux la première ligne et dans plus d’un cas sur deux tout autant la troisième ligne ! De plus, l’entrée dans le circuit de soins s’est fait directement par une cure substitutive pour 2/3 des patients. Ceci suffirait à démontrer l’importance acquise par la méthadone en Belgique dans le traitement de la toxicomanie aux opiacés.
Cinquième constat : Complexité des trajectoires de soin
En poursuivant l’analyse des trajectoires de soins, nous avons observé que plus d’un quart (27 %) des patients sont au moment de l’étude à leur première prise en charge, 31 % à leur deuxième, 22 % à leur troisième et 20 % en ont eu quatre ou plus. Mais ce qui est important à souligner, c’est surtout le rapport observé entre la porte d’entrée dans le « circuit » et le nombre de prises en charge différentes ultérieures ou encore la nature de celles-ci.
Tout d’abord en ce qui concerne la complexité des trajectoires, une entrée par une maison médicale ou par un médecin en pratique privée favorise une moins grande variété de soins ultérieurs. Ensuite, en ce qui concerne la poursuite des soins selon leur type, 73,5 % des patients qui ont commencé en pratique privée sont au moment de l’évaluation toujours en pratique privée. Il est 4 fois plus probable d’être entré par la pratique privée, si on y suit une cure au moment de l’évaluation. Un tiers de l’ensemble des patients a ce type de trajectoire. Par ailleurs, la force d’attraction de la pratique privée est encore manifeste avec 19 % qui y aboutissent en commençant par un autre type de prise en charge. De même, les maisons médicales ont aussi une très forte auto-attraction : il est près de sept fois plus probable en étant suivi actuellement en maison médicale, d’y avoir commencé son parcours de soins. Par contre la pratique privée et les maisons médicales ne « s’attirent » pas et au contraire il est deux fois moins probable de se trouver dans l’un(e) en ayant débuté par l’autre.
En ce qui concerne les centres spécialisés ou les M.A.S.S., nous observons une forte attraction mutuelle (4 fois plus probable de passer de l’un à l’autre), alors que c’est l’inverse vis-à-vis de la pratique privée. On pourrait à première vue estimer que cela reflète une gravité différente de la toxicomanie, qui découpe le champ thérapeutique en institutions « lourdes » (M.A.S.S, centres spécialisés), maisons médicales et cabinets privés. Nous ne pouvons pas confirmer sur base de l’étude cette conception de bons sens. En effet, nous ne constatons pas une « gravité » spécifique des patients des M.A.S.S., par exemple.
Ceux-ci se distinguent des autres modalités de cure par :
- Une proportion de patients plus réduite d’incarcération antérieure (22,4 % , alors qu’elle est de 53,2 % dans les autres centres spécialisés).
- Une moindre proportion d’usage de la méthadone au noir (24,4 % pour 51,2 % dans les maisons médicales).
- Pour les autres caractéristiques qui distinguent les types de prise en charge : la latence de la première prescription de méthadone, l’usage actuel d’amphétamines ou de XTC ou l’indice des problèmes comportementaux en officine, les patients des M.A.S.S. sont dans la moyenne (alors que ceux des maisons médicales ont les situations les plus défavorables). Si tendance à la gravité de la situation de patientèles il y a, quoi que ces éléments ne constituent pas une échelle de gravité, ce serait plutôt pour ces patients des maisons médicales.
On doit donc sortir d’une vision de bon sens qui classerait les types de soins selon des critères à-priori de « lourdeur » ou de gravité. Il y aurait une relative uniformisation des patientèles, et la circulation des patients dépendrait de facteurs externes, ou d’une attirance pour un type de structure d’accueil, indépendamment de la « gravité » de leur cas.
Ce résultat, ne simplifie pas la politique des soins dans le domaine ! Toutefois, cette étude ne prétend pas clore le débat. Il serait souhaitable de réaliser une étude évaluative des différences à l’admission des patientèles des différentes modalités de soins avec un bon instrument incluant un indice de gravité (Evolutox (1), par exemple) et sur un échantillon plus vaste.
Sixième constat : Le nombre de médecins prescripteurs de méthadone depuis la première rencontre avec le médicament est réduit
73 % des patients n’ont pas eu plus de deux médecins (35 % n’en ont eu qu’un seul). Seuls 4,5 % ont connu plus de 6 médecins. Le « papillonnage » entre de nombreux médecins pour obtenir la méthadone est donc un phénomène rare et la « fidélité » est très nettement la règle. Au cours d’une année (l’année écoulée), 86 % des patients n’ont eu qu’un seul médecin prescripteur. Autrement dit, 14 % de patients ont changé de médecin dans l’année et seulement 2,6 % en ont eu 3 ou plus.
Nous ne confirmons donc pas des inquiétudes souvent exprimées de « shopping » médical et de situation anarchique dans le recours au corps médical pour obtenir des prescriptions. Si ceci existe, c’est de façon marginale, ce que seul un enregistrement national des patients parviendra à délimiter et à éviter en avertissant les praticiens concernés. Par rapport à la stabilité de la fréquentation de l’officine de pharmacie, la situation ne semble pas se distinguer fortement de ce qui est observé par rapport au médecin. Au cours de l’année écoulée, 85 % des patients n’ont fréquenté qu’une seule officine et 1,3 % des patients 3 officines ou plus.
Septième constat : Caractéristiques de la carrière de l’usage de la méthadone
La carrière de l’usage de la méthadone se caractérise comme suit : Le début de l’usage de méthadone est de deux ans plus précoce en Flandre (24 ans en moyenne) que dans la Communauté française (26 ans). Une analyse détaillée de la distribution permet de constater 10 % de patients flamands avec un début avant 18 ans (2 % seulement chez les francophones). 11 % des patients en Flandre ont commencé après 30 ans, mais 28 % des francophones. Ceci est d’autant plus remarquable que le début de l’usage d’héroïne est identique dans les deux Communautés, c’est-à-dire à 20,4 ans en moyenne. Les premiers soins (quels qu’ils soient) sont aussi beaucoup plus précoces en Flandre (21,4 ans pour 23 ans dans la Communauté française). La latence des premiers soins en Flandre est donc moitié plus courte que celle des patients francophones. Ceci complète donc le portrait des soins en Flandre par rapport à la Communauté française : non seulement les patients y ont un nombre plus important d’épisodes thérapeutiques, plus de soins en institutions, mais aussi un début de carrière thérapeutique plus précoce. Au moment de l’évaluation, la durée de l’usage d’héroïne est de 9 ans en Flandre pour plus de 12 ans dans la Communauté française. L’expérience de la méthadone (sans les arrêts éventuels) est de 5,4 ans en Flandre et 6,7 ans chez les francophones.
Huitième constat : Accès à la méthadone
Nous avons divisé la population en deux groupes selon un début de la toxicomanie avant et après la Conférence de Consensus sur la méthadone, pour dégager de façon grossière une périodisation historique de la toxicomanie et mettre en évidence le rôle de l’extension de la disponibilité de la méthadone. Une première différence épidémiologique importante surgit selon la Communauté : chez les francophones le début de l’usage d’héroïne est passé de 19,4 ans avant 1994 à 22,3 ans après. Cette évolution est, bien entendu, très favorable. En Flandre, aucune évolution significative de l’âge de début (20.5 ans après 1994) n’est constatée. Les usagers d’héroïne les plus récents ont donc commencé plus jeunes en Flandre que dans la Communauté française.
Avant le Consensus sur la méthadone, il fallait à un patient francophone 7 années après le début de la toxicomanie pour avoir accès à la méthadone (5 ans et demi pour un patient flamand), moins de 2 ans et demi depuis (2 ans pour un patient flamand).
Neuvième constat : La poursuite de l’usage d’héroïne constitue une part incontournable de toute évaluation des cures substitutives.
L’usage d’autres substances est aussi souvent abordé. Dans l’étude, il s’agit bien entendu des réponses données spontanément par les patients et non de résultats de prélèvements biologiques. La question portait sur l’usage au cours des 3 derniers mois et 46 % des patients de Belgique – en excluant les 2,5 % de données manquantes- ont répondu qu’ils avaient utilisé de l’héroïne (42 % au total en incluant les patients originaires de France). Les résultats sont moins favorables pour les patients de Flandre avec 56,2 % d’utilisateurs et 42,5 % pour les francophones. Le risque relatif est de 1,74 pour un usage d’héroïne par un patient flamand comparé à un francophone. On notera que la fréquence de l’usage rapportée par les patients est hebdomadaire ou quotidienne pour 21 % de l’ensemble (55 % de ceux qui ont utilisé depuis 3 mois). Par ailleurs 5,6 % déclarent consommer moins d’une fois par mois.
S’il faut comparer ces résultats à d’autres études dont l’usage est demandé pour le mois écoulé, on prendra comme base 42 % – 5,6 %, soit 36,4 %. Ceci semble un résultat global honorable de la cure, mais nous réservons une analyse comparative pour des prolongements de l’étude. Par ailleurs, seuls 5,6 % des consommateurs d’héroïne ont déclaré que leur consommation n’avait pas diminué ou avait augmenté (1,9 %), tous les autres mettent en avant une diminution de l’usage d’héroïne. Etant donné les préoccupations justifiées de réduction des risques, le mode d’usage actuel par voie intraveineuse ou non a été vérifié : 16,3 % des patients belges qui poursuivent un usage d’héroïne ont recours à l’injection, ce qui représente 7,5 % de l’ensemble des patients belges. Toutefois, ceci ne comprend pas les patients qui continuent à utiliser un usage par IV pour la cocaïne, alors que l’héroïne est consommée en fumette. En tenant compte de ces patients, le taux d’usage par IV se situe à 11,5 % de l’ensemble des patients de Belgique (avec les patients de France, la proportion globale est de 9,8 %).
Comparé aux données fournies par les unités de soins sur la prévalence de l’usage par voie intraveineuse des patients au moment de leur admission qui se situe entre 40 % et 50 %, le résultat présenté ici indique donc une forte réduction de ce mode d’usage.
Nous avons vu que les patients de Flandre poursuivaient plus que les francophones un usage d’héroïne et il faut aussi souligner que ces patients recourent plus au mode d’usage par IV. 14,6 % des patients de Flandre utilisent l’héroïne par IV pour 5 % des francophones. Le risque relatif est de 3,24 pour un tel mode d’usage chez les patients de Flandre par rapport à ceux de la Communauté française.
L’usage de cocaïne concerne 29 % de l’ensemble des patients. Une tendance à une plus forte prévalence s’observe aussi en Flandre avec 37,1 % pour 27 % dans la Communauté française. Toutefois aucun patient de Flandre n’utilise la voie intraveineuse seulement pour la cocaïne.
Les autres substances sont utilisées avec les prévalences suivantes (au cours des 3 derniers mois) : tabac, 92,4 % ; cannabis, 60,8 % ; alcool, 55,8 % ; benzodiazépines, 36,6 % ; antidépresseurs, 24,1 % ; ecstasy, 7,2 % ; flunitrazépam, 5,9 % (différence significative entre communautés : 7,8 % pour les patients francophones et seulement 1,1 % en Flandre) et Amphétamines, 4,3 %. Pour la consommation d’alcool, des mesures plus précises en terme de Quantités/Fréquences seront présentées dans les prolongements de l’étude. Si près d’un patient sur deux utilise 3 drogues ou plus (en excluant le tabac), il y a néanmoins 10 % qui n’en consomment aucune.
Dixième constat : Une absence de relation significative a été vérifiée entre le dosage de méthadone et l’usage (47,7 mg) et l’absence d’usage (48,2 mg) d’héroïne.
Ce résultat est très surprenant par rapport à ceux des études internationales et à l’hypothèse souvent confirmée d’un blocage du recours à l’héroïne à des dosages élevés de méthadone. De plus, nous faisons un constat tout aussi troublant vis-à-vis de l’usage par voie intraveineuse (66,7 mg chez les injecteurs et 44 mg chez les non injecteurs) ou aussi une tendance envers de la consommation de cocaïne (54,3 mg chez les usagers et 45,2 mg chez les non-usagers de cocaïne – p=0.07). La relation n’est totalement significative qu’en Flandre (45,7 mg pour les usagers de cocaïne et 32 mg pour les autres), tandis que chez les francophones, c’est l’usage de cocaïne par injection qui est lié à des dosages plus élevés de méthadone.
Face à de tels résultats, cohérents dans une direction inattendue, certains trouveront une explication dans l’hypothèse que des cas « plus lourds » reçoivent des dosages plus élevés. Mais alors, où se trouverait l’effet bénéfique d’un dosage plus élevé ? Etant donné la nature transversale de ces données, tous les patients à des niveaux divers d’évolution sont étudiés de façon simultanée, nous mélangeons des situations opposées, car selon ce que nous connaissons des pratiques cliniques, certains patients en voie de stabilisation bénéficient d’une réduction de dosage, alors que d’autres face à de nouvelles difficultés reçoivent un dosage augmenté. De plus, des augmentations ou diminutions à partir de niveaux de base différents n’ont sans doute pas une signification identique.
Peut-être que la « moyenne » de toutes ces situations produit une image globale qui n’a plus de sens ? Nous avons tenté, pour surmonter notre malaise, de dynamiser les données en tenant compte du dosage en début de contact avec l’officine et du dosage actuel, en divisant la population (valable uniquement pour 247 patients évalués par le pharmacien qui ont aussi répondu au questionnaire auto-administré) en deux groupes selon une réduction du dosage depuis le début de la cure actuelle ou une augmentation (et stabilisation) du dosage de la méthadone. Contrairement à la perspective admise que réduire le dosage accompagne une amélioration, nous observons au contraire qu’elle se traduit par un usage d’héroïne plus prévalent (47,8 % par rapport à 32,5 % d’usage d’héroïne chez ceux qui ont eu une augmentation ou un maintien du dosage de méthadone). Ceci alerte sur les risques liés à la réduction du dosage et représente un résultat plus conforme, en fait, aux études existantes.
Nous n’avons pas encore poursuivi l’analyse en détaillant les niveaux de dosage de départ. Le problème du dosage est donc encore loin d’avoir trouvé une explication satisfaisante. On peut en tout cas se demander si globalement les dosages en général sont bien ajustés en Belgique. Ou alors le mode de prise en charge est si important que l’explication d’une amélioration pour le patient se situe tout simplement ailleurs que dans un effet de dosage de la méthadone. Cet « ailleurs » c’est selon nous la relation thérapeutique entretenue entre le patient et son médecin (soutenue par celle avec le pharmacien). Ce serait alors au niveau de l’Alliance thérapeutique qui se crée entre thérapeute et patient que tout se joue vraiment. L’intérêt porté au dosage ne serait qu’une façon trop mécaniciste d’appréhender la clinique, car un dosage élevé non accompagné par une bonne alliance thérapeutique, ne donnerait, de toute façon pas de résultats satisfaisants.
Onzième constat : Les mesures du bien-être des patients
Les mesures du bien-être des patients font apparaître des différences entre communautés avec une satisfaction globale et une mesure des tendances dépressives, telles que les patients de Flandre ont des niveaux significativement plus favorables. Nous ne pensons pas que le bien-être du patient ne se réduise ici à l’effet de la cure, mais reflète aussi une dimension culturelle beaucoup plus générale. Une comparaison avec la situation en population générale, prévue dans la poursuite de l’étude devrait permettre de confirmer notre position.
Douzième constat : L’Alliance thérapeutique
L’Alliance thérapeutique a déjà été évoquée, mais nous tenons à souligner son importance pour aider à la compréhension du traitement et de ses difficultés. La mesure qui en a été faite permet de distinguer de nombreuses situations favorables ou non au traitement. Ainsi, l’usage passé de la méthadone au noir et surtout lorsque le sens donné à cet usage est une auto-médication, les anciennes pratiques à risques d’échanges d’ustensiles d’injection, la poursuite de l’usage d’héroïne sont tous liés à un déficit de l’Alliance thérapeutique actuelle. Par contre, le décès du père correspond à une meilleure Alliance avec le médecin, ce qui ouvre des perspectives de réflexion sur la figure paternelle du médecin.
Une analyse de régression de l’Alliance a aussi résumé un ensemble de facteurs dont le plus favorable est l’apport de la cure substitutive sur le plan de la santé mentale. Elle est donc très nettement liée au bien-être ressenti par le patient grâce à la cure. D’où notre souhait de voir s’étendre l’utilisation de cet instrument dans l’évaluation de la clinique.
Treizième constat : l’échelle d’apport de la cure
Pour mesurer le vécu de la cure substitutive par le patient, un instrument original a été créé l’échelle d’apport de la cure (à partir d’une transformation en auto-passation pour le patient d’un instrument élaboré pour une évaluation par des médecins). Cet instrument permet de situer les patients sur 3 dimensions de la cure : 1. L’apport en Santé mentale 2. Le recul vis-à-vis des drogues et 3. La mise en ordre avec la Justice. Grâce à son utilisation, nous avons montré que :
- Les patients de Flandre se distinguaient par un moindre recul par rapport aux drogues, alors que les patients de Wallonie-Bruxelles par un moindre apport en santé mentale.
- Les patients les plus jeunes (moins de 25 ans) ressentaient un apport global plus important, mais qu’il n’y avait pas de progression selon l’âge.
- Le fait de vivre avec une personne abstinente ou de vivre avec ses enfants améliore le recul vis-à-vis des drogues.
- L’apport global de la cure est lié à une amélioration des relations avec les parents.
- L’apport global de la cure et toutes ses dimensions sont liées positivement à l’Alliance thérapeutique.
- Ni l’Apport de la cure, ni aucune des ses dimensions ne sont liés au dosage de la méthadone, ni de façon significative à l’évolution de celui-ci. Ceci confirme les observations précédentes et l’absence de lien entre le dosage et l’amélioration (ici celle ressentie par le patient).
Quatorzième constat : Les rapports du patient avec le pharmacien
Les rapports du patient avec le pharmacien ont été décomposés en plusieurs dimensions :
- la reconnaissance du rôle du pharmacien dans la cure,
- le malaise ressenti dans la fréquentation de l’officine,
- la critique de l’organisation de la délivrance,
- la compliance (observance),
- les difficultés relationnelles,
- la pression exercée sur le dosage,
- l’absence de fidélité.
Ces dimensions constituent une première étape pour la construction d’un indice global, sur le modèle de l’alliance thérapeutique. En attendant, nous avons tenté de situer la relation avec le pharmacien par rapport à l’Alliance thérapeutique. Une analyse de régression de l’apport de la cure a mis en évidence que la reconnaissance du rôle du pharmacien se situe en deuxième position après l’Alliance thérapeutique avec le médecin.
Elle a un impact supérieur à l’indice de bien-être, l’indice de satisfaction globale, l’entente avec les parents ou encore l’absence de prise de méthadone au noir en tant que drogue… Le rapport entretenu avec le pharmacien d’officine constitue donc une dimension méconnue de la cure substitutive.
L’étude a ainsi contribué à faire surgir l’importance de cette relation dans le vécu du patient. Ceci doit permettre à la profession de faire enfin reconnaître son rôle complémentaire à celui du thérapeute dans l’amélioration de la par les patients. Il s’agit certainement d’une spécificité du dispositif développé en Belgique, qui encouragera les pharmaciens qui hésitent encore à participer à la prise en charge de toxicomanes et donnera aux collègues dans d’autres pays une perspective nouvelle sur la profession et sa dimension de santé publique ou tout simplement humaine.
Note :
(1) Rémy C. et Ledoux Y., 2001
L’étude complète est disponible sur le lien http://www.belspo.be/belspo/organisation/publ/pub_ostc/Drug/rDR02_fr.pdf