Le Centre d’accueil et de soins Danielle Casanova accueille une population qui présente une précarité sociale s’accompagnant d’une précarité physique et psychologique. Une consultation d’observance thérapeutique nommée « Mieux vivre avec son traitement » a été ouverte en janvier 2006.
Pour mener l’évaluation de cette consultation, l’équipe travaille en lien avec un groupe de chercheurs de l’Université d’Aix-en-Provence intéressé par cette démarche de favoriser l’observance en lien avec la qualité de vie. Une convention a été signée pour 3 ans, cette évaluation est financée par la Ville de Marseille.
La première étape va consister à s’intéresser aux représentations, à mettre en évidence les modèles en actes. L’ensemble de l’équipe et 10 usagers du Centre ont été interviewés. Le traitement des données s’est fait en deux temps : une analyse linguistique faite par le logiciel « Alceste » puis une analyse compréhensive.
Nous vous communiquerons les résultats concernant les obstacles à l’observance thérapeutique.
Cette étude aborde aussi les modèles d’éducation à la santé et à l’accompagnement, la notion de qualité de vie et les attentes vis-à-vis de l’institution et du Centre. La totalité de l’étude est disponible, sur demande, auprès du centre.
Approche comparative des discours des personnes toxicomanes et des professionnels sur les obstacles à l’observance thérapeutique
En ce qui concerne les obstacles à l’observance, la représentation du traitement de substitution semble étroitement associée à la notion de dépendance, tant pour les professionnels de la santé que pour les personnes toxicomanes.
Les principaux obstacles déclarés par les professionnels sont liés à la précarité des personnes consultant le centre, c’est-à-dire à leurs conditions de logement et leurs situations financières, alors que les personnes toxicomanes ne mettent pas ces facteurs en avant mais les effets secondaires et la dépendance ainsi que la question des liens notamment familiaux. Leurs difficultés par rapport au temps, à la durée, à l’espace constituent aussi un obstacle majeur évoqué par les professionnels.
Ces notions sont en lien avec l’absence de repères due aux conditions de vie et à la toxicomanie.
Les obstacles à l’observance thérapeutique selon les professionnels de la santé
Deux critères majeurs apparaissent dans les discours des professionnels et des personnes toxicomanes en situation de précarité : l’image négative associée aux traitements de substitution et les contraintes liées aux médicaments.
L’image associée aux traitements de substitution
L’image associée aux traitements de substitution est toujours celle d’une drogue en opposition à l’idée d’abstinence. A l’idée de drogue s’associe la peur d’une dépendance : le passage d’un état dépendant à un autre. Cette façon de concevoir le traitement de substitution est aussi une idée dominante dans la société ; Ceci pouvant participer au fait que ces personnes déclarent ne pas se sentir normales en prenant un traitement de substitution.
Le regard des autres dans la société reste stigmatisant.
« …ça m’embêtai de toujours prendre un produit de substitution… » ; « …et moi dans ma tête je me dis je prends du S. ce n’est pas beau, je suis une toxicomane, c’est les toxicomanes qui en prennent… » ; « j’en avais marre ça fait des années que je prends, j’étais au S.., après je me suis mis à la métha, avant ça j’étais à l’héroïne, à la coke, enfin… et je voulais plus comment dire… absorber des produits… »
Contraintes par rapport à la régularité et à la complexité des prescriptions
La notion de contraintes par rapport à la régularité et à la complexité des prescriptions est évoquée par les personnes toxicomanes, comme par les professionnels. Selon les professionnels, la connaissance des produits induirait un détournement de la fonction curative des traitements vers une recherche d’effets. Ce qui conduirait les personnes toxicomanes à privilégier certains médicaments au détriment d’autres, en augmentant le risque de dépendance. La poly-prescription génère des obstacles pour les professionnels comme pour les personnes consultant le centre.
Les obstacles à l’observance thérapeutique selon les personnes toxicomanes consultant le centre
Les effets secondaires des traitements
Les effets secondaires des traitements d’ordre psychique et physique sont évoqués par les personnes toxicomanes et les professionnels. Ces effets sont autant d’obstacles à se situer dans le temps (désorganisation des rythmes de sommeil), à se déplacer (douleurs physiques), et donc à être en capacité de se projeter.
« ça leur donne des symptômes qu’ils ne peuvent pas maîtriser, qu’ils ne souhaitent pas : c’est toujours la faute du médicament » ; « vraiment le S, il me gênait beaucoup c’est-à-dire que j’étais mal dans ma peau … » ; « …j’ai fait des crises de paranoïa, quant j’ai arrêté la métha… » ; « je me rappelais plus avec l’A. c’est les trous noir…non je me rappelle plus, des fois je me demande quel jour on est… » ; « j’ai perdu le sommeil… mais alors complet… je prends mes somnifères et je me couche à 1H00, 2H00, à 4H00 je suis debout » ; « je suis toujours obligée de dormir, j’ai toujours une somnolence… … » ; « j’ai mal à la tête, je vomis, je suis fatigué» ; « j’ai tout dans les jambes, tout est redescendu dans les jambes et j’ai du mal à marcher…» ; « je me suis levé le matin j’avais mal partout… ».
Manque d’étayage du point de vue de l’environnement familial
Le manque d’étayage du point de vue de l’environnement familial est souvent en lien avec des ruptures socio-affectives liées aux toxicomanies.
« ils sont toxicomanes, avec souvent des problèmes de psychiatrie, de pathologies somatiques… » ; « ..des gens qui sont vraiment dans l’errance… » ; « …il n’y a pas d’étayage familial, pas de relation amoureuse stable… » ; « …il y a tout le contexte social, qui est d’être en centre d’hébergement, d’être sans famille, sans soutien, tout cela ça ne favorise absolument pas la prise de traitement ».
Les discours des personnes consultant le centre permettent d’identifier qu’un certain nombre d’évènements marquants (décès, ruptures, perte emploi), sont déclencheurs de comportements à risques.
« j’ai fait une dépression parce que j’avais perdu mon emploi, mon chien qui est mort, enfin plein de choses qui…et puis un accident de voiture… » ; « j’ai pris des cachets quand ma mère et mon frère sont décédés… » ; « quand je suis mal je ne veux pas leur imposer …ma… détresse… » ; « il y a pas longtemps, j’ai perdu une dame, je tenais beaucoup à elle et elle aussi…elle est morte donc ça m’a fait quelque chose et j’en ai pris une boite entière… ».
Le regard des autres – le rejet du groupe d’appartenance
Dans les dimensions sociale et psycho-sociale, les personnes toxicomanes que nous avons rencontrées évoquent le regard des autres, ce qui engendre une perception des possibles ressentis des autres à leur égard, portant essentiellement sur les notions de confiance, de trahison et de déception. Le contexte dans lequel elles évoluent, leur renvoie une image négative des autres toxicomanes. Il y a rejet du groupe d’appartenance, peur et désir d’éloignement de tout ce qui peut représenter de près ou de loin la drogue.
« quand je voyais dans la salle des gens comme ça, je me disais je suis tombée bien bas… » ; « je ne veux pas rencontrer des gens en dépression, qui sont dans des mauvais moments, des gens qui peuvent monter tellement la tête que si tu es faible » ; « des fois y a des gens qui font n’importe quoi, des disputes, des filles qui pètent un câble, je ne veux pas que les enfants voient tout ça… » ; « je ne reste pas parce que ça me fait peur…et je ne veux pas avoir de contact avec ces personnes… ».
Conclusion à propos des obstacles à l’observance
La multiplicité des obstacles à l’observance thérapeutique des personnes toxicomanes sous traitement de substitution met en évidence des sphères différentes qui interagissent : médicales, sociales, interpersonnelles et affectives. Elle invite à considérer l’accompagnement du processus d’observance dans une connaissance du soi sujet et groupal évoluant dans un environnement social.
Cette pluralité de facteurs contribue à accroître considérablement les difficultés pour un public en situation de grande précarité. De plus, l’image associée aux traitements de substitution est toujours celle d’une drogue pour les personnes toxicomanes, les confrontant inlassablement au rapport de dépendance. Ce qui appuie la difficulté de maintenir un comportement d’observance sur du long terme.
Les pratiques professionnelles déclarées oscillent entre recherche de compliance aux prescriptions et accompagnement du processus d’observance et de la qualité de vie des personnes toxicomanes.
La prise en compte des conditions de vie et des situations dans une approche biopsycho-sociale de la santé laisse la place à d’éventuelles négociations quand à la prise des traitements.
Les professionnels ont tendance à se centrer sur les besoins de ces publics et principalement sur le logement, la nourriture et les soins.
Ainsi, deux logiques distinctes semblent coexister laissant supposer une certaine dualité : la recherche de compliance aux prescriptions et l’accompagnement à une meilleure qualité de vie. L’intelligence des situations semble primer face à l’imprévu et l’adaptation au contexte : public, organisation et moyens.
L’ »agir professionnel » d’une éducation en santé relève d’une combinatoire de savoirs théoriques et d’habiletés en situation. « La fonction critique des patients dans la relation éducative, produit certainement des régulations de positionnement» (Eymard, 2005, p.128).
Le processus d’accompagnement s’inscrit dans une éducation en santé multi professionnelle (toutes les catégories de professionnels de la santé), et multidisciplinaire (sciences sanitaires, sociales, psychologiques et sciences de l’éducation). Il nécessite, comme l’exprime ces professionnels un travail collectif et en réseau.