Propos liminaire
« Les médicaments peuvent être des drogues. Certains sont en effet recherchés par les consommateurs pour leurs propriétés psychoactives, avec parfois un potentiel addictif, tandis que d’autres constituent des produits de substitution à des stupéfiants. Sans oublier les substances de dopage visant à améliorer les performances. Comment convient-il de gérer ces drogues légales, au sein des entreprises pharmaceutiques qui les commercialisent, mais aussi du côté des autorités sanitaires censées en contrôler la circulation ? Quels sont donc les mécanismes de régulation et d’autorégulation de ce marché si particulier ? ».
Les politiques du médicament – usages et mésusage.
C’était l’énoncé du webinaire organisé conjointement par l’IRePS et le CNAM, qui s’est tenu le 27 septembre 2022 et pour lequel les organisateurs m’ont sollicité.
C’est à titre personnel que je suis intervenu au cours de ce webinaire, compte-tenu de mon expérience professionnelle des trente dernières années, dans différentes firmes pharmaceutiques (1) directement impliquées dans le développement et ou la commercialisation de médicaments de l’addiction.
Ce n’est donc pas en tant que représentant de telle ou telle firme, et encore moins comme porte-parole de l’industrie pharmaceutique que je m’exprimais (et que je m’exprime ici) mais compte-tenu du vécu de différentes expériences, relatées dans cet article à la première personne.
Quelques constats et faits
Les firmes présentes sur les marchés des médicaments de l’addiction sont plutôt de petite taille (voire moyenne).
Effectivement, si l’on y regarde de plus près, pas de Big Pharma sur ces marchés vus comme délicats. Les seules exceptions sont les médicaments pour la dépendance tabagique, parmi lesquels on trouve Champix (Pfizer) et Zyban (GSK, autre géant de la pharma). Mais, le moins que l’on puisse dire, c’est que pour ces deux grosses entreprises, ces médicaments ne sont pas cruciaux pour leur développement et image ; leur visibilité auprès des acteurs de l’addictologie est réduite au strict minimum.
Pour le reste, Schering-Plough (puis Reckitt et Indivior), pour Subutex et Suboxone ; Bouchara-Recordati, pour Méthadone ; Ethypharm, pour Orobupré, Baclocur et Prenoxad ; Lundbeck, pour Selincro ; Lipha puis Merck Serono, pour Aotal, sont des firmes qui ne se positionnent pas parmi les géants du secteur du médicament.
Plusieurs éléments peuvent expliquer ce constat.
Des outils d’analyse des marchés souvent inopérants
Les firmes pharmaceutiques, surtout les très grosses, ont la culture des datas (données Gers, IMS…), qui permettent de mesurer très précisément la taille des marchés qu’elles convoitent. Les marchés des médicaments de l’addiction sont par nature imprévisibles (ce qui est peu engageant pour beaucoup de firmes), voire sous les radars. Je donne ici comme exemple une discussion avec différentes filiales d’une firme dans laquelle j’ai travaillé à propos de l’éventualité du développement et de la commercialisation d’un médicament pour traiter l’addiction à l’alcool. Le dirigeant de la filiale allemande n’était pas intéressé par le projet.
Selon lui, le marché n’existait pas (pas plus que les gains potentiels). La raison qu’il invoquait : les datas dont il disposait ne faisaient apparaitre aucune vente de médicaments pour l’alcoolo-dépendance. En effet, à cette époque, aucun médicament pour l’alcoolo-dépendance n’était remboursé en Allemagne et le marché de l’alcoolo-dépendance était donc égal à zéro. Pas de marché, pas de patient (n’y a-t-il vraiment pas de patients en difficulté avec l’alcool en Allemagne ?). Il a donné son véto au projet. Voilà comment un projet de développement européen peut s’arrêter pour une pathologie, l’addiction à l’alcool, où les médicaments manquent cruellement.
Ici aussi, des représentations !
Les dirigeants des firmes, les conseils administration et autres instances de direction ne sont pas épargnés par les mêmes représentations (souvent négatives) sur l’addiction (et leurs médicaments) que le grand public ou le corps médical, en tout cas dans des proportions très proches. Source d’ennuis plus que de bénéfices (trafic, mésusage, utilisation hors-AMM : autorisation de mise sur le marché) pour certains, image d’efficacité incertaine pour d’autres, alimentée par la « capacité » de rechute des patients avec une addiction, quel que soit le produit, quand ce n’est pas une méconnaissance totale du concept d’addiction en tant que maladie. La conséquence de ces représentations est un manque d’engagement de beaucoup de directions de firmes qui préfèrent ne pas s’aventurer dans des domaines qu’elles ne maitrisent pas, moins en tous cas que pour l’hypertension ou le diabète …
En addictologie en effet, les consensus en matière de traitement sont plutôt mous, souvent fluctuants et les controverses nombreuses. Je donnerai, comme exemple de représentations négatives (mais compréhensibles), celui de dirigeants à propos d’un projet de rachat et de commercialisation d’une spécialité à base de diacetylmorphine, mieux connue sous le nom d’héroïne.
C’est un projet que j’avais porté en interne, afin de la commercialiser en France puis dans d’autres pays. Nous avions pris soin avec mon compère du jour, responsable des acquisitions du groupe en question, de ne jamais prononcer le mot « héroïne » et de toujours parler de diacteylmorphine aux dirigeants qui allaient décider du sort du projet. Nous avions pris soin également de nous appuyer sur l’Evidence Base Medecine, qui place sans aucun doute l’héroïne médicalisée comme une option valable dans une offre de soins variée en direction des usagers, comme l’attestent de nombreuses publications, en Suisse notamment (2).
Lorsque les dirigeants du groupe, une respectable famille d’industriels du médicament et leurs directeurs, ont compris que nous projetions d’associer le nom de l’entreprise (et de la famille) à la mise sur le marché d’une « drogue dure », même si celle-ci allait se présenter sous la forme d’un médicament avec AMM, la réponse fut bien sûr négative, avec un brin d’ironie, comme si nous marchions sur la tête.
En France, à ce-jour, l’héroïne médicalisée n’est toujours pas disponible, alors qu’elle s’intégrerait parfaitement dans une approche de Réduction des Risques, en complément des substituts actuellement autorisés, méthadone et buprénorphine.
Une communication singulière autour des médicaments de l’addiction
La communication sur les médicaments de l’addiction est très souvent « hors contrôle » et fait intervenir de nombreux acteurs, pas toujours d’accord entre eux : associations de patients (voire d’usagers de drogues), pouvoirs publics, sociétés savantes, médias grand public en quête de sensationnel (plus facile à trouver qu’avec des médicaments hypotenseurs ou anti-inflammatoires). D’emblée, les firmes qui s’aventurent sur le marché des médicaments de l’addiction savent (ou sauront) qu’elles ne contrôleront pas la communication autour de leurs médicaments. Celle-ci pourra servir à populariser leur médicament ou, à l’inverse, le marginaliser. Parfois, ce sera l’un et l’autre en alternance.
La saga du baclofène, tantôt présenté comme médicament miracle pour lutter contre l’addiction à l’alcool, puis traitement dangereux pour les patients, par les mêmes journalistes à quelques semaines d’intervalle, est un bon exemple de communication dont les firmes n’avaient absolument pas le contrôle (3). Dans la saga du baclofène, la justice a été sollicitée par des associations de patients, à la suite d’une décision de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) visant à restreindre la prescription du médicament, quelques mois après en avoir permis la prescription. Ce feuilleton a fait les choux gras de la presse médicale et grand public. Là-aussi, un long feuilleton judiciaire à l’issue incertaine, dont les sociétés concernées n’étaient que spectatrices.
L’usage de la substance précède souvent, sinon systématiquement, le développement pharmaceutique du médicament.
Une des particularités dans le domaine des addictions est que les substances ou molécules sont souvent largement utilisées, avant même le développement pharmaceutique visant à obtenir l’AMM. Plusieurs exemples peuvent aisément illustrer ce propos :
- La méthadone était utilisée par les junkies new-yorkais dès les années 50 aux USA, avant son utilisation par les équipes médicales (Dole et Nyswander en 1963). En effet, la méthadone était présente sur le marché américain, sous forme de Dolophine, destinée à la prise en charge de la douleur. Les usagers de drogue qui s’en procuraient via la prescription médicale ont vite constaté qu’une prise quotidienne leur permettait de tenir 24 heures sans signes de manque. C’est ce constat qui a donné l’idée à l’équipe de Dole et Nyswander d’une substitution opiacée qui permettrait d’abolir la prise aliénante d’héroïne toutes les 4 à 6 heures.
- Le baclofène, utilisé en France depuis 2008, notamment pour l’addiction à l’alcool, dans ce qu’on appelle une utilisation hors-AMM via la prescription d’un médicament disponible sur le marché dans des indications qui n’ont rien à voir avec l’addiction, a vu son développement pharmaceutique débuter en 2013.
- Subutex, dont la mise sur le marché officielle en février 1996 a été précédée pendant plusieurs années par la prescription hors-AMM de Temgésic (médicament antalgique contenant la même molécule, la buprénorphine, à des dosages 10 à 40 fois inférieurs à la spécialité Subutex) (4).
Dans certains cas, l’expérience hors-AMM, en vie réelle et peu encadrée par les Autorités de Santé, produit des résultats et des modalités d’utilisation différentes qu’à l’issue d’un développement pharmaceutique qui doit surtout s’embarrasser de contraintes réglementaires. La pratique des premiers utilisateurs (médecins et patients) produit souvent des résultats discordants. Le baclofène est un bon exemple d’une grande distorsion entre l’avis et la pratique des utilisateurs et l’avis des évaluateurs et instances en charge d’accompagner la mise sur le marché d’un médicament, y compris la firme pharmaceutique.
Cela n’arrive jamais pour des médicaments qui suivent la voie habituelle : identification d’une molécule candidate par une firme, études de phases 1 et 2, chez l’animal et le sujet sain, puis études phase 3 dans des services référents de la spécialité médicale. Puis, une fois l’AMM obtenue, les leaders d’opinion de la spécialité organiseront, avec le soutien des entreprises, une communication à destination des futurs prescripteurs dans la continuité de l’expérience acquise dans leurs services.
Pour en revenir à la saga baclofène, l’histoire s’est déroulée tout à fait autrement, à rebours de la voie habituelle. Entre 2008 et 2020, des patients, puis leurs médecins généralistes, ont commencé l’utilisation du baclofène à la suite de la publication du livre d’Olivier Ameisen qui narrait son expérimentation réussie du médicament pour arrêter sa consommation problématique d’alcool. Sans l’impulsion d’aucune firme, ni le soutien des services spécialisés qui voyaient pour beaucoup dans cette utilisation sauvage un court-circuitage des règles en vigueur et de leur expertise.
Quant aux pouvoirs publics, et notamment l’ANSM, ils ont tour à tour découragé cette utilisation, puis l’ont encadrée (par une procédure temporaire d’utilisation – la RTU), puis ont refusé l’AMM, puis l’ont accordée sous la pression des cliniciens, puis restreint l’utilisation du médicament (plafonnement de la posologie), puis enfin levé les restrictions suite à une décision de la justice, saisie par des associations de patients (3)…
Un système de vigilance accrue pour les médicaments de l’addiction
Classiquement, les médicaments font l’objet, dès leur mise sur le marché, d’un suivi de pharmacovigilance visant à mesurer en utilisation réelle la fréquence des effets indésirables connus, ou encore identifier des effets indésirables non encore observés pour ces mêmes médicaments. C’est une tâche menée par les firmes mais surtout par les CRPV (Centres Régionaux de PharmacoVigilance). Les données de pharmacovigilance ont pour but de modifier les notices des médicaments, émettre des signaux vers les prescripteurs et, dans certains cas, restreindre l’utilisation du médicament.
Pour les médicaments de l’addiction, voire pour des médicaments antalgiques détournés de leur usage pour devenir parfois des « drogues », ce système classique de vigilance est systématiquement complété par un suivi d’addictovigilance, mené par les CEIP (Centres d’Évaluation et d’Information sur la Pharmacodépendance). Vient s’y greffer également, notamment pour les opioïdes (morphine, méthadone…), un suivi de toxicovigilance, mené par les CAPTV (Centre AntiPoison et de Toxico-Vigilance). Enfin, pour avoir le cocktail idéal en matière de surveillance, on ajoute des dispositifs comme OSIAP (pour les ordonnances falsifiées), des enquêtes comme DRAMES (pour les décès par abus de substance), Oppidum (pour évaluer les mésusages, surtout des médicaments de substitution opiacée comme la méthadone) et d’autres encore…
C’est bien sûr une excellente chose que d’être vigilant et de tenter d’identifier des signaux. Mais, ces systèmes de vigilance relèvent souvent d’une comptabilité d’évènements détachés de tout contexte clinique. Et dans le domaine des addictions, le contexte clinique, voire le contexte d’utilisation des produits, compte pour beaucoup.
J’ai pu vivre pendant des années la comptabilité morbide du nombre de décès annuels liées à l’ingestion de méthadone. Dans cette comptabilité, jamais de référence à la situation clinique du patient pour l’interpréter au mieux : était-il expérimentateur occasionnel ou patient traité régulièrement par une prise de méthadone ? Quasiment aucune allusion à un éventuel contexte de comportement suicidaire d’un patient qui a pris volontairement trop de méthadone pour la dernière fois…
Ces enquêtes sont souvent menées par des vigilants, certes méritants, mais hors-sols, qui tirent des conclusions à partir de données toxicologiques (résultats biologiques post-mortem). Tout le monde sait pourtant que la méthadone (comme la buprénorphine) réduit considérablement la mortalité des usagers de drogue. Ils meurent au moins 4 fois moins quand ils y ont accès que lorsque ce n’est pas le cas. Bien sûr, on sait aussi qu’à partir de 60 mg en une prise, le médicament est mortel, à condition toutefois de ne pas être toxicomane régulier et tolérant aux effets des opiacés… Pour les usagers de drogue dépendants aux opiacés et consommateurs quotidiens, le risque est quasiment nul.
Les conclusions hâtives sur la dangerosité de la méthadone ont certainement eu un impact sur le projet d’accès à la méthadone en ville, voulu pourtant par les pouvoirs publics, attendu depuis le rapport Kouchner (5) et les plans gouvernementaux qui ont suivi, souhaité par la majorité des spécialistes de l’addiction. Ce projet d’accès élargi à un médicament indéniablement utile, dans les cartons depuis plus de vingt ans, semble désormais définitivement enterré sous les coups de boutoir de données de mortalité annuellement répétées, faute d’avoir appréhendé ces données, à l’aune de ce qu’est l’addiction aux opioïdes et de ses conséquences morbides et mortelles.
Je retiendrai l’observation d’un médecin de santé publique œuvrant il y a quelques années au ministère de la Santé, au cours d’une de ces réunions où l’on passait en revue les méfaits des médicaments de substitution (injection de buprénorphine, overdose avec la méthadone). Elle avait rappelé, avec calme et détermination, que les « toxicos », bien avant de prendre l’un ou l’autre des médicaments, s’injectaient des substances et mouraient d’overdoses. Les « vigilants » n’ont pas toujours de formation solide en addiction. La plupart de temps, ils n’ont accès qu’à des notifications assez peu précises depuis leur bureau. Il leur est alors difficile, voire impossible, de faire la part des choses entre ce qui relève du produit (sa toxicité, son potentiel addictif), de la maladie addictive (pathologie de l’excès, recherche de sensations, d’effets psychotropes…) ou encore de comorbidités psychiatriques. Si la comptabilité est exacte, les enseignements à en tirer peuvent être erronés.
Les médicaments de l’addiction, flops ou succès commerciaux ?
Plutôt des flops. Hormis le lancement de Subutex en 1996 et des gélules de méthadone en 2006, qui ont connu un succès indéniable, très peu de réussite pour les laboratoires qui ont commercialisé des médicaments de l’addiction (6).
- Selincro (Lundbeck), médicament destiné aux patients en difficulté avec l’alcool, promu comme un blockbuster en puissance, avec une débauche de moyens à laquelle les acteurs du champ spécialisé n’étaient pas habitués. Aujourd’hui, le médicament n’est plus promu et tend progressivement à disparaitre des rayons des pharmaciens. Beaucoup de médecins ont qualifié ce médicament comme un « me too » de la naltrexone (plus ancien), avec des effets indésirables plus fréquents.
- Suboxone (Indivior), et les génériques de Subutex. Pour Suboxone, la diffusion reste anecdotique (7). Quant aux génériques de Subutex, ils n’ont jamais conquis les parts de marché qui sont attendues lorsqu’un médicament tombe dans le domaine public.
- Baclofène : la demande s’est effondrée quelques mois avant la mise sur le marché de la spécialité Baclocur (Ethypharm) fin 2020. Des débats incessants et stériles sur la limitation de la posologie entre professionnels de santé, mais aussi entre l’ANSM et les associations de patients par le biais d’un feuilleton judicaire à rebondissement… Tout ceci a fini par décourager les patients eux-mêmes qui pourtant, quelques mois plus tôt, attendaient encore sa mise à disposition (3).
Conclusions
Les exemples de contre-performances commerciales confirment ce que j’ai appris au cours de mon expérience dans l’industrie pharmaceutique, en particulier pour les médicaments des addictions : « Ce sont les patients (ou usagers) qui choisissent leur traitement. Ce sont eux et eux seuls qui font le succès commercial d’un médicament de l’addiction. Ce sont leurs attentes et leurs besoins qui vont générer la demande de prescription ».
C’est une spécificité des médicaments de l’addiction. Aucun patient hypertendu ne va chez un médecin pour demander la prescription de tel ou tel hypotenseur, antidiabétique ou autre traitement chronique. Pour ce type de médicament, c’est la promotion auprès des prescripteurs, et principalement elle, qui fera grimper les chiffres de vente.
A contrario, les exemples de succès commercial pour Subutex et les gélules de méthadone sont limpides : ces deux médicaments correspondaient concrètement à des attentes ou des besoins clairement exprimés par les patients. Dans ces exemples, il y avait également une attente des pouvoirs publics et des médecins engagés. C’est l’alignement des planètes idéal pour un succès commercial. La promotion en faveur de la prescription de ces médicaments fut très accessoire pour le gain de parts de marché (6).
Par ailleurs, les espoirs des firmes et leur niveau d’investissement ne peuvent suffire au succès si l’attente des patients n’est pas manifeste. La mise sur le marché de Suboxone et de Selincro le confirme. Beaucoup d’argent investi par les firmes pour un trop maigre résultat.
Les attentes des pouvoirs publics, quant à elles, paraissent aussi, parfois, accessoires. Pour exemple, le soutien manifeste des différentes structures publiques en faveur de la diffusion des kits naloxone (kits anti-overdose) : ANSM, ministère de la Santé, MILDECA, Direction Générale de la Santé … Résultat : la diffusion des kits permettant de réduire la mortalité des usagers reste bien en-deçà d’objectifs que l’on pourrait qualifier e raisonnables. La raison : très peu relayé par les Sociétés Savantes (ou de façon extrêmement confuse) (8), pas d’attente du milieu spécialisé, qui globalement ne s’est pas approprié l’outil. Mais, surtout, pas de véritable attente ou demande des usagers qui, dans leur majorité, ignorent encore jusqu’à l’existence de ces kits anti-overdose.
Voilà de quoi décourager de nombreux dirigeants de firmes pharmaceutiques à s’engager dans le domaine de l’addiction. Les méthodes de marketing traditionnelles et mainstream ne s’appliquent pas ici. Notamment celles qui consistent à mettre la pression sur les prescripteurs. Les médicaments mis sur le marché vont être parfois mésusés, utilisés hors-AMM, voire détournés de leur utilisation à des fins récréatives. Votre médicament pourra être qualifié lui-même d’addictogène si un dispositif de surveillance interprète trop simplement une notification. La communication débordant souvent vers la presse grand public sera hors contrôle…
Le succès commercial ne peut être au rendez-vous que si les planètes sont alignées (attente des médecins et des pouvoirs publics, mais surtout demande des patients).
Aller dans le domaine des addictions passe donc obligatoirement par un changement de logiciel, que très peu de cadres et de dirigeants de l’industrie sont prêts à expérimenter.
Dans certains cas, c’est la vision personnelle d’un dirigeant d’une firme qui sera à l’origine d’un développement pharmaceutique dans le domaine des addictions : sa perception de l’addiction comme une maladie comme une autre, un proche concerné, voire une vision humaniste…
Bibliographie et notes
Revue Politiques des drogues du Conservatoire national des arts et métiers
- (1) Schering-Plough pour la mise sur le marché de Subutex de 1995 à 1999 ; Bouchara-Recordati pour la commercialisation de la méthadone et son développement (forme gélule et indication douleur) de 2000 à 2014 ; Ethypharm pour la commercialisation de Skenan et Actiskenan, la mise sur le marché d’Orobupré, de Prenoxad et le développement et la mise sur le marché de Baclocur (spécialité à base de baclofène) de 2015 à 2022.
- (2) Office fédéral de la santé publique OFSP. Traitement avec prescription de diacétylmorphine (héroïne)
- (3) Lowenstein et al., « Les derniers rebondissements dans la saga Baclofène ! (été-automne 2020) Quelles perspectives pour les patients ? », Revue Le Flyer n°78, 2020.
- (4) Tous les médicaments pour la substitution opiacée, qu’ils aient une AMM ou non en tant que tels, sont des substances opioïdes (morphine, codéine, buprénorphine, méthadone). Dans tous les cas, l’utilisation en tant qu’antalgique est antérieure à l’utilisation en tant que substitution opiacée.
- (5) Rapport AUGÉ-CAUMON, J., BLOCH-LAINÉ, J-F, LOWENSTEIN, W, MOREL, A., L’accès à la méthadone en France. Bilan et Recommandations. 2001
- (6) Lopez, Peybernard, Donzel. Addiction et marketing : les liaisons dangereuses. 7 janvier 2020, Baclofène.org
- (7) La rédaction du Flyer, E-dito du Flyer n°3, Médicaments et addictions, les tops et les flops des années passées et à venir (2) ! Juillet 2014.
- (8) Jehanne, Benslimane, Schuurman, Favatier, Gautré. Chroniques de la mise à disposition des kits naloxone (Nalscue, Prenoxad et bientôt Nyxoid), échec ou succès en demi-teinte ? Le Flyer on line – Juin 2021.