Déficiences des facultés cognitives
L’utilisation de la méthadone comme traitement de la dépendance à l’héroïne est maintenant répandue et a prouvé son efficacité. Pour beaucoup de patients cependant, la question se pose de savoir si ce traitement aurait une influence sur leurs facultés intellectuelles et constituerait alors un handicap à leurs activités professionnelles (1). La possibilité d’une déficience des facultés cognitives parmi les patients en MMT (Methadone Maintenance Treatment) pourrait avoir des implications importantes sur la prise en charge de ces patients. Par exemple, ils seraient alors moins capables de se souvenir des règles du traitement (2).
Cependant, la méthadone et l’héroïne n’étant pas neurotoxiques, il existe d’autres raisons qui font que les sujets en MMT ont plus de lésions cérébrales qui entraînent alors un déficit des fonctions cognitives (2) :
- l’overdose entraîne une hypoxie à l’origine de lésions cérébrales. Celles-ci peuvent entraîner un déficit permanent des fonctions cognitives (traitement des informations, mémoire…).
- la dépendance à l’alcool, fréquente parmi les héroïnomanes induit des déficits de l’attention, une perte des capacités à gérer de nouvelles informations, une perte de la mémoire et des capacités d’apprentissage.
- la fréquence des traumatismes crâniens liée à la criminalité et parfois à un comportement agressif entraîne également un déficit des fonctions cognitives.
Il est donc important de considérer d’emblée que ce n’est pas le fait d’appartenir au groupe MMT qui entraîne un déficit des fonctions cognitives, mais que ces patients constituent des sujets à risque de part leur plus grande exposition à des situations entraînant cette déficience (alcool, héroïne, criminalité) (2). Certaines études déjà réalisées sur le sujet sont parfois difficilement interprétables, en raison de l’impossibilité de comparaison à un groupe témoin, de la petite taille des effectifs, et de résultats inconstants et contradictoires (1).
L’étude de Specka and al.
Les buts de l’étude de Specka and al. (1) étaient de réaliser les mêmes tests que ceux d’études antérieures mais sur un effectif plus important, et d’établir si la différence observée entre les deux groupes testés pouvait s’expliquer par des facteurs émotionnels, pharmacologiques ou liés à la motivation : 54 patients en MMT et 54 sujets normaux servant de contrôle ont été inclus dans l’étude et questionnés entre autre sur d’éventuels troubles psychiques et l’utilisation d’autres médicaments, d’alcools ou de substances illicites. Il y avait 35 hommes pour 19 femmes chacun des deux groupes avec une moyenne d’âge de 29 ans et des degrés d’éducation variés mais similaires entre les deux groupes.
Tous les participants à l’étude ont subi un examen comportant 6 tests de performance cognitive mesurant la capacité des individus à conduire un véhicule, mesuré par la vitesse de réponse et/ou la précision :
- LL5 : test mesurant les capacités visuelles
- DR2 : test du choix simple
- Q11 : évaluation de l’attention
- CORT : simulation de conduite
- TT15 : perception tachistoscopique et orientation visuelle
- RST3 : réaction à choix multiple en situation de stress
Résultats et conclusions
- Les patients en MMT ont réalisé des performances inférieures à celles du groupe contrôle pour les test Q11, TT15 et RST3.
- Sur le test du choix simple DR2, les patients en MMT ont répondu plus vite et ont fait plus d’erreurs. Mais, lorsque les deux variables sont analysées en même temps, la différence n’est pas significative.
- Lors du test de simulation CORT, les patients en MMT ont mis plus de temps mais ont moins dévié de la route.
- Lors du test de visualisation LL5, dans le groupe MMT, plus d’entre eux avaient 100% de réponses correctes, mais ils étaient beaucoup plus lents. .
Les résultats montrent que les fonctions visuelles et de réaction des patients en MMT ne sont pas atteintes, alors que le degré d’attention, l’orientation visuelle et la coordination œil/main est affectée. Il n’a pas pu être démontré si ces résultats étaient liés à la méthadone ou à d’autres causes. Aucune corrélation n’a été trouvée entre le niveau de performance des tests et la dose de méthadone ingérée, sauf pour le test LL5 pour lequel les résultats étaient meilleurs lorsque les doses de méthadone étaient plus élevées. La différence entre les groupes en ce qui concerne les tests LL5, TT15 et RST3 peut également s’expliquer, selon les auteurs, par des différences socio-démographiques.
L’étude de Darke et al
La seconde étude, celle de Darke and al.(2) a été réalisée afin de déterminer l’importance du déficit des fonctions cognitives chez les patients en MMT et le lien possible avec certaines situations à risque fréquentes chez les toxicomanes (overdose, alcoolisme, traumatismes crâniens). Deux groupes ont été formés : 30 patients en MMT et 30 individus sélectionnés au sein d’une population non toxicomane. Une interview concernant les caractéristiques démographiques, des commémoratifs d’usage de drogues, d’overdose d’héroïne et de traumatisme crânien a été rempli et le degré de dépendance à l’alcool a été évalué pour chacun des individus. Ils ont ensuite subi des tests d’une durée de 90 minutes évaluant des paramètres liés à la fonction cognitive : l’intégration de l’information, l’attention, la capacité d’apprendre, la mémoire et la capacité à solutionner des problèmes. Un test de vocabulaire a été utilisé afin d’estimer l’intelligence pré-morbide, qui s’est révélée comparable dans les deux groupes.
En ce qui concerne la prévalence des facteurs de risque d’altération des fonctions cognitives :
- 73 % des patients en MMT ont été victimes d’une overdose contre 0% du groupe contrôle.
- 63 % des patients en MMT furent inclus dans la catégorie des dépendants à l’alcool contre 10 % dans l’autre groupe.
- les patients en MMT ont été trois fois plus victimes de traumatismes crâniens que les individus de l’autre groupe.
Les patients du groupe MMT ont eu des résultats inférieurs à ceux du groupe contrôle, quelque soit le test utilisé. Afin de déterminer la relation entre les facteurs à risque identifiés et les résultats des tests, une mesure globale de la fonction cognitive a été calculée. La différence fut significative entre les deux groupes. Une corrélation négative existe entre la fonction cognitive et le nombre d’overdoses et entre la fonction cognitive et la dépendance à l’alcool.
Conclusions
On peut déduire de ces deux études que :
- l’appartenance au groupe MMT n’est pas une condition suffisante pour expliquer une déficience des fonctions cognitives et psychomotrices. Notamment, il faudrait également prendre en compte la consommation d’alcool ou d’autres drogues par chaque patient (1).
- les patients en MMT réalisent de moins bonnes performances des tests évaluant les facultés cognitives (à l’exception de celui déterminant l’intelligence pré-morbide) (2).
- certains facteurs à risque sont incriminés dans la baisse des facultés cognitives : les patients ayant une dépendance à l’alcool, ou ayant été victimes d’overdose ont des fonctions cognitives défectueuses (2).
- d’une manière générale, il n’y a pas d’influence de la dose de méthadone sur les résultats des tests (1,2).