Les deux principaux indices d’efficacité du traitement par la méthadone dans les programmes de maintenance sont, d’une part, le pourcentage de maintien des patients dans le programme et, d’autre part, la proportion d’analyses urinaires négatives pour les opiacés illicites. L’adéquation de la dose de méthadone administrée est également jugée d’après des critères cliniques tels qu’une absence de signes de manque, et l’absence d’usage illicite des opiacés. D’après certaines études (Shinderman), la dose de méthadone administrée est corrélée proportionnellement à l’efficacité du traitement, selon les critères précédemment cités, taux de rétention et taux d’abstinence. Ces doses s’avèrent être cependant variables d’un individu à l’autre et sont parfois très élevées (bien au-delà de 100 mg, et supérieures à 500 mg dans certaines études, notamment celle d’Eap).
Des études sur la méthadonémie ont alors été réalisées et ont révélé des résultats controversés : pour certains, il n’existe pas de seuil thérapeutique optimal de méthadonémie entraînant une stabilisation des patients, pour d’autres il est situé entre 50 et 600 ng/ml, ou encore suggéré idéal autour de 400 ng/ml (méthadonémie résiduelle, soit 24 heures après la prise, et dans les conditions rappelées ci-après). Le but de l’étude analysée ici, et réalisée dans un Centre de prise en charge des dépendances à BRATISLAVA en Slovaquie, où les doses de méthadone prescrites varient largement d’un individu à l’autre, était de déterminer s’il existe un seuil d’efficacité thérapeutique de la méthadonémie.
Matériel et méthode
69 patients choisis dans le programme de maintenance du Centre (taux de rétention des patients de 84 % sur un an) : 56 (81 %) hommes et 13 femmes (19 %) avec une moyenne d’âge de 26,9 ans. Tous ces patients étaient stabilisés, depuis au moins un an dans le centre, et tous avaient des analyses d’urine négatives pour les opiacés depuis au moins un mois. Les doses de méthadone s’échelonnaient entre 10 et 270 mg, avec une moyenne de 134 mg. La mesure de la méthadonémie a été réalisée 23 à 25 heures après la dernière prise de méthadone.
Résultats
Les taux de méthadone sériques s’échelonnaient de 44 à 1103 ng/ml, avec une moyenne de 376,6 ng/ml. Il existe une corrélation entre la dose ingérée et le taux plasmatique, et la majorité des patients stabilisés se situe entre 200 et 400 ng/ml. Cependant, l’utilisation de critères cliniques afin de déterminer la stabilité d’un patient et de sa dose nécessaire de méthadone fait qu’il existe une large variation inter-individuelle de ces mêmes doses, pour une même méthadonémie. Si l’on estime le seuil minimal à 200 ng/ml, et maximal à 600 ng/ml, il reste néanmoins 12 patients (17,4 %) en-dessous du seuil, et 11 (15,9 %) au-dessus. Dans certains cas, une méthadonémie très élevée est parfois nécessaire à la stabilisation (800-1200 ng/ml).
Une situation similaire s’observe de l’autre côté de la courbe. Il est également possible que « dose faible (ou forte) de méthadone » n’implique pas forcément « méthadonémie basse (ou élevée) ». Puisque la dose de méthadone et la méthadonémie requises pour la stabilisation d’un patient sont variables d’un individu à l’autre, la détermination de seuils pour ces deux paramètres ne constitue pas un critère fiable de jugement de la stabilisation des patients. En d’autres termes, on ne peut juger de la stabilité d’un patient d’après sa dose de méthadone ou sa méthadonémie. Seuls les critères cliniques sont fiables. Néanmoins ces paramètres restent utiles afin d’ajuster la dose en cas de non stabilisation, concluent les auteurs de cette étude.
Rappel : précautions à la pratique des méthadonémies et leur lecture
Il est d’usage de pratiquer des méthadonémies résiduelles, soit 24 heures après la prise de la méthadone. Celles-ci peuvent être couplées avec une méthadonémie au pic (3 à 4 heures après la prise) pour apprécier la pente d’élimination. Ces valeurs ne sont qu’indicatives de la concentration sérique de méthadone, permettant d’évaluer son métabolisme. Pour être interprétables, les méthadonémies doivent être réalisées 1 mois après l’initiation du traitement, et au moins 5 jours après la dernière adaptation posologique. Par ailleurs, il faut rappeler ici le risque de troubles du rythme pouvant être liés à des hauts dosages de méthadone et plus précisément à des méthadonémies très élevées. Dans une stratégie d’adaptation des posologies au plus près des besoins du patient, la prudence doit rester de mise, avec entre autres mesures, des méthadonémies chez ceux nécessitant des dosages supérieurs à 120 mg. « En raison des risques de torsade de pointe, nous formulons la recommandation de ne pas prescrire un dosage entraînant une méthadonémie à 24 heures de plus de 1000ng/ml, ce taux ayant fait la preuve de son innocuité cardiaque toutes ces dernières années chez de très nombreux patients » (J-J DEGLON, Méthadone à hauts dosages et risque de torsade de pointes, FLYER 8, juin 2002).