Note préliminaire de la rédaction
Nous remercions les auteurs NS Nathwani & JE Gallagher qui ont autorisé la publication de leur article dans le Flyer.
Dans la version intégrale originale, les auteurs décrivent dans la première partie de cet article, le traitement par la méthadone lui-même et ses bénéfices dans la prise en charge des usagers de drogues. Nous avons choisi de ne pas publier ce paragraphe afin de nous intéresser plus particulièrement au regard posé par les auteurs (dentistes) sur l’état buccodentaire des usagers en traitement par la méthadone. Néanmoins, l’article entier est disponible auprès du Comité de rédaction du Flyer.
Les auteurs de cet article ont effectué une recherche bibliographique concernant la méthadone à base de sucre, la méthadone sans sucre, les caries, l’érosion dentaire, le sorbitol et les effets gastro-intestinaux. Ils se sont également intéressés à la politique sanitaire nationale et locale instaurée au Royaume-Uni, à la composition des différents médicaments, au cadre légal des prescriptions, etc….
Résumé
Depuis plusieurs années, les dentistes (notamment ceux du Royaume-Uni auxquels il est fait référence ici) ont réussi à promouvoir les bénéfices des médicaments sans sucre. On compte ainsi plus de 180 médicaments sans sucre commercialisés et prescrits. La méthadone, comme traitement de substitution opiacée, est également disponible, au Royaume-Uni, en préparation sans sucre mais la version à base de sucre est la plus couramment utilisée. Les auteurs, dans cette publication, ont étudié la composition de la méthadone et tendent à expliquer certains modes de prescription.
Cet article explore comment une approche multidisciplinaire peut être mise en place afin d’aider les patients en traitement par la méthadone dans leur réinsertion et minimiser les problèmes bucco-dentaires. Dans cette étude, les auteurs ont également analysé les communications grand public, et celles du ministère de la santé en Angleterre, ainsi que la littérature concernant l’utilisation de la méthadone.
Conclusion
Les dentistes sont les plus susceptibles d’être confrontés aux urgences dentaires chez les patients suivant un traitement par la méthadone et, il est important qu’ils soient informés que le mode de vie des usagers de drogues ainsi que le sucre dans le sirop de méthadone peuvent engendrer un risque de dégradation et d’érosion dentaire. Pour les dentistes, répondre aux demandes de soins buccodentaires des patients bénéficiant d’un traitement par la méthadone, peut contribuer à améliorer la qualité de vie de ces patients.
Risques de la méthadone sur la santé bucco-dentaire
Ndlr : Ce premier paragraphe évoque très distinctement les différentes formes de méthadone disponibles au Royaume-Uni. En France, contrairement au Royaume-Uni, il n’existe que deux formes galéniques de méthadone
Les risques pour la santé bucco-dentaire de la méthadone (à base de sucre et sans sucre)
En considérant la littérature et la composition de la méthadone, il semblerait que la méthadone puisse potentiellement contribuer à l’érosion dentaire pour 3 raisons :
- La forte teneur en sucre (par exemple 0,9 g/5 ml).
- Comme c’est un liquide acide, la méthadone peut provoquer une érosion directe de l’émail.
- La méthadone inhibe la sécrétion salivaire, l’une des défenses du corps contre la plaque dentaire.
Les différences concernant les risques pour la santé bucco-dentaire entre la méthadone à base de sucre et celle sans sucre sont résumées dans le tableau 1.
Les caries dentaires et la méthadone
Un contact prolongé avec le sucre contenu dans la méthadone a été associé à une dégradation dentaire et à des caries, particulièrement au niveau des dents de devant (1). Plusieurs cas de dégradation généralisée provenant de graves lésions carieuses ont été observés dans un programme de soins chez des usagers de drogues bénéficiant d’un traitement par la méthadone sirop (2), mais il y a peu de recherches formelles.
Cependant, il est peu probable que le sucre dans la méthadone soit l’unique cause de caries dentaires chez les usagers de drogues.
Il est évident que la mauvaise santé dentaire est endémique parmi les consommateurs d’opiacés et, la méthadone peut donc aggraver des problèmes préexistants plutôt que d’en engendrer de nouveaux (3).
Les problèmes dentaires préexistants chez les usagers de drogues peuvent être très graves car les usagers consultent tardivement (4,5). De plus, les patients se présentent au cabinet dentaire avec différents problèmes liés aux interactions médicamenteuses, à la gestion de la douleur et à des difficultés comportementales (6). La propreté bucco-dentaire semble moins bonne chez les consommateurs d’opiacés (4), ce qui provoque une accumulation de la plaque dentaire et des calculs (tartre), facteurs favorisant l’apparition de caries (1).
Une forte consommation de sucre raffiné, une faible hygiène dentaire, des visites peu fréquentes chez le dentiste et l’effet inhibiteur des opiacés sur la sécrétion salivaire, tous ces facteurs contribuent à augmenter le nombre de caries (7).
Les usagers de drogues tendent à avoir un régime alimentaire riche en hydrates de carbone puisqu’ils sont sujets à des contraintes économiques qui encouragent la consommation de plats préparés riches en sucre. Certaines publications ont mis en évidence que les opiacés engendrent une envie irrésistible (craving) de nourriture sucrée, bien qu’il n’y ait aucune preuve directe (1).
Il a été également rapporté que les consommateurs de cocaïne, qui sont également sous méthadone, testent la pureté de la cocaïne en la frottant sur leurs gencives (8).
Cela peut provoquer un engourdissement (9). Les usagers consommant de la cocaïne grincent des dents, ce qui use et sensibilise leur dentition (7) ; de plus, l’héroïne étant également un analgésique puissant, les usagers peuvent commencer à ressentir des douleurs dentaires uniquement à partir du moment où ils sont stabilisés sous méthadone (10).
Les médicaments à libération orale prolongée peuvent engendrer un risque dentaire s’ils contiennent du sucre et s’ils sont utilisés à long terme (11). Il est reconnu que les patients bénéficiant d’un traitement par la méthadone conservent le sirop dans la bouche pendant un certain temps, accentuant ainsi l’attaque sur les dents.
Il semble que cette pratique soit réalisée pour prolonger le temps d’absorption (12) ou, pour régurgiter la méthadone et la revendre ou, essayer de se l’injecter (1). L’injection est possible avec la méthadone sans sucre (13), c’est pour cette raison que beaucoup de professionnels de santé ne souhaitent pas la prescrire.
L’érosion et méthadone
L’érosion est un processus chimique dans lequel, il y a une perte progressive, en l’absence de plaque dentaire, du tissu à la surface de la dent (14). Il en résulte que le tissu dentaire dur se déminéralise, principalement à cause de la dissolution des cristaux d’apatite, ce qui ressemble à une attaque acide. L’érosion dentaire est favorisée par l’alimentation comme, les jus de fruits, les boissons gazeuses et alcoolisées, ainsi que la nourriture industrielle.
Les causes intrinsèques incluent les troubles alimentaires et les reflux gastro-œsophagiens (15).
La méthadone à base de sucre (et celle sans sucre au Royaume-Uni) a un pH acide, entre 3,5 et 5 (13).
La méthadone, en étant une source d’acide extrinsèque peut donc engendrer un effet néfaste sur les dents qui se combine à un style de vie où les reflux et les vomissements sont nombreux. La politique sanitaire recommande de se brosser les dents après la prise de méthadone (16), ce qui augmente le risque d’érosion (17) et elle devrait donc être remis en cause.
Xérostomie et caries
La salive est essentielle à la santé bucco-dentaire. Son rôle le plus évident et le plus important est d’humecter les aliments, d’humidifier les muqueuses de la bouche et de protéger les dents. La salive prévient les caries dentaires en servant de tampon ; elle modifie le pH de la plaque dentaire, et grâce à son action antibactérienne, elle lave la plaque et les débris alimentaires (18).
La sécheresse excessive de la bouche (xérostomie) est le problème salivaire le plus courant. Il existe plusieurs facteurs pouvant provoquer une sécheresse buccale. La consommation de drogues telle que celle des opiacés est l’une des causes de xérostomie et peut, par conséquent, provoquer des caries.
Prévention des risques attribués aux forme de méthadone
Après avoir mis en évidence les risques et les problèmes liés à la méthadone, le tableau suivant décrit comment les dentistes peuvent aider les patients bénéficiant d’un traitement par la méthadone dans leur réinsertion, en commençant tout d’abord par aborder l’histoire du patient y compris le détail de leurs ordonnances médicales. Il est important de rythmer les soins en clinique avec des conseils de prévention.
Soins dentaires
Accentuer les soins chez les usagers de drogues et aider à leur réinsertion. Il y a de grandes possibilités qu’ils viennent consulter car la douleur dentaire n’est plus masquée par les opiacés, ils ont alors besoin de soins dentaires en urgence. Les usagers sont également amenés à consulter un dentiste quand ils souhaitent améliorer leur apparence physique et leur qualité de vie afin de favoriser leur réinsertion.
Déterminer le profil du patient bénéficiant d’un traitement par la méthadone : la durée du traitement ? Par quel professionnel de santé le patient est-il suivi ?
Explorer tous les facteurs de risques bucco-dentaires : les autres médicaments conduisant à une xérostomie, le régime alimentaire contenant des éléments acides et sucrés, le tabagisme, et la consommation d’alcool.
Identifier et traiter les risques dentaires
- Prescrire une pâte dentifrice contenant du fluorure de sodium dosé à 2500 ppm ou 5000 ppm (DH and BASCD, 2007).
- Employer une solution de rinçage fluorée (2,2% F-) – en fonction des risques.
- Communiquer avec les médecins / spécialistes afin que la méthadone sans sucre soit prescrite si cela est approprié.
- Recommander aux patients d’utiliser une paille pour avaler la méthadone sirop, de ne pas se brosser les dents juste après une prise de méthadone mais plutôt de se rincer les dents avec de l’eau.
Eviter de surcharger les patients avec trop de recommandations : l’objectif est de réduire plutôt que d’éliminer les risques.
Prévention des caries dentaires
Les récentes recommandations décrivent les mesures à prendre dans la prévention des caries dentaires chez les adultes (17). Il est conseillé de se brosser les dents 2 fois par jour avec de la pâte dentifrice au fluor (dont une fois le soir) puis, de cracher après le brossage plutôt que de se rincer la bouche, afin de réduire la quantité et la fréquence d’ingestion de sucre.
Faire appel à un professionnel pour appliquer sur les dents un vernis fluoré permet également de prévenir les caries. Une pâte dentifrice riche en fluor est reconnue pour aider les patients présentant un risque élevé de problèmes dentaires (caries, couronnes…). Celle-ci remplace la pâte dentifrice quotidienne. Les patients âgés de 16 ans et plus, présentant un risque élevé de carie du fait d’un régime cariogène et d’une consommation de médicaments (tels que les patients traités par la méthadone), devraient donc utiliser une pâte dentifrice dont la teneur en fluorure de sodium est de 5000 ppm (17). Les patients dont l’âge est inférieur à 8 ans peuvent également utiliser un liquide de rinçage riche en fluorure de sodium (à 0,2% pour une utilisation hebdomadaire ou à 0,05% quotidiennement) (17).
Prévention de l’érosion
Les recommandations anglaises indiquent qu’il est possible de prévenir l’érosion dentaire en « limitant l’ingestion de nourriture et de boissons sucrées », « en réduisant le grignotage » et en « évitant le brossage des dents directement après la consommation de boissons ou de nourritures acides » (17). Toutefois, les dentistes ne devraient pas avoir des attentes irréalistes concernant les patients bénéficiant d’un traitement par la méthadone. Il est plus important de travailler avec ces patients pour réduire au minimum le risque.
Conclusion
La méthadone joue un rôle important dans la prise en charge des usagers de drogues. Cependant, elle est susceptible d’augmenter les problèmes dentaires de cette population qui présente déjà un risque élevé dès le départ.
En s’appuyant sur la littérature générale, les auteurs recommandent aux médecins, de prescrire dans la mesure du possible des médicaments sans sucre, d’identifier les risques pour la santé bucco-dentaire, et de favoriser l’assistance dentaire comme élément de réinsertion du patient. Les pharmaciens lorsqu’ils délivrent la méthadone peuvent aider à réduire au minimum les risques dentaires, en renforçant ces messages.
D’autres études pourraient être mises en place pour démontrer l’impact de la méthadone à base de sucre sur la santé bucco-dentaire et pour encourager les industries pharmaceutiques à développer des substituts appropriés. Le ministère de la santé est encouragé à corriger les contradictions dans la politique nationale sanitaire anglaise, concernant la prescription de médicaments à base de sucre. Nous espérons que cette approche multidisciplinaire, soutenue par de nombreuses recherches, puissent contribuer à résoudre certains des problèmes auxquels les patients sous méthadone doivent faire face.
Commentaire de la rédaction
Comme le soulignent les auteurs de cet article, les pathologies carieuses sont fréquentes chez les usagers de drogues, qu’ils soient ou non sous traitement de substitution opiacée.
Le fait que le traitement par la méthadone ait potentiellement pour effet secondaire de favoriser l’apparition de caries ou d’aggraver celles existantes ne saurait donc être un argument susceptible de remettre en cause l’instauration ou le maintien de ce traitement.
Pour autant, tout doit être mis en œuvre pour limiter ce type d’inconvénient car il peut être à l’origine d’une demande d’arrêt de traitement prématuré.
Les patients sous méthadone (ainsi que leurs soignants) doivent être attentifs à leur santé bucco-dentaire en respectant certaines règles d’hygiène :
- le rinçage de la bouche après la prise de méthadone,
- un brossage régulier des dents et de préférence avec un dentifrice riche en fluor,
- un régime alimentaire équilibré et limité en aliments (industriels) ou boissons sucrées,
- des visites fréquentes chez le dentiste et une observance aux soins dentaires.
Rappelons également, qu’en France, les gélules de méthadone (ne contenant aucun sucre) représentent une alternative particulièrement intéressante pour les usagers qui entreraient dans le cadre légal de prescription et dont l’état bucco-dentaire est inquiétant.
Références bibliographiques
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