Des patients
La création de la modalité de séjour en détresse était à l’origine destinée aux toxicomanes.
Cette population est fortement désocialisée par sa pratique illégale de consommation de substance et par sa revendication identitaire du personnage du toxicomane, entraînant souvent une malnutrition, une présentation dégradée et s’accompagnant parfois d’un recours à la prostitution, d’infections liées à la pratique de l’injection…
L’hospitalisation offre alors une mise en contact avec des professionnels aguerris au mode de vie de ces patients, leur permettant de réfléchir à leur pratique.
Ainsi, ce séjour leur permet de nouer ou renouer avec le soin en reprenant un rendez-vous avec une structure ambulatoire spécialisée (C.S.A.P.A.) avant de quitter le service.
Cette démarche de court séjour se réfère à une vision tri-factorielle de la toxicomanie selon T. Leary que nous résumerons ainsi : la toxicomanie est la conjonction de trois facteurs que sont : un sujet, une substance et un environnement.
La mise à distance des sollicitations extérieures et de l’objet drogue permettrait à l’individu de se recentrer sur lui-même et d’ainsi avoir l’opportunité de formuler un désir autre que celui de consommer de la drogue.
Les patients en situation de détresse ne recherchent pas une inscription immédiate dans un processus de sevrage.
Nous pensons notamment aux trop fréquents séjours de sevrage programmés en urgence pour des patients en état d’ébriété, qui, en général, rompent leur hospitalisation le lendemain, dès qu’ils ont dégrisé. Si l’hospitalisation n’est pas fondamentalement inutile pour ces patients, elle est mal vécue par le personnel soignant qui se sent floué par un départ précipité et par le patient lui-même qui se rend rapidement compte qu’il ne souhaitait pas réaliser une cure et est, de fait, mis en situation d’échec.
Formuler une démarche de mise à distance de la situation ambulatoire, sans contrainte de durée, évite le malentendu de l’inscription cavalière dans une cure pour certains patients afin de pouvoir se mettre à l’abri des sollicitations environnementales.
Des lits
Notre service propose depuis plusieurs années la possibilité d’hospitaliser des patients en situation de souffrance socio-psychique sur un séjour court sans autre contractualisation que le respect des règles de fonctionnement de l’unité de soins (pas de violence, pas de contact direct avec l’extérieur et pas de consommation de drogue).
Ce séjour de courte durée (24 à 48 heures) permet à un public de patients dépendants de prendre du recul par rapport aux sollicitations environnementales.
Dans notre pratique clinique, cette modalité de fonctionnement a montré un avantage indiscutable en termes de réduction des risques et de mortalité, même s’il n’existe pas de statistique à ce sujet, car rare sont les services proposant des lits de crise en addictologie.
Les patients rapportent souvent un sentiment de « mieux être » dès les premières heures du séjour alors que leur situation à l’extérieure paraissait inextricable. Notre fonctionnement cadrant a une vertu rassurante.
Cette offre est à l’évidence économique en termes de morbidité et de mortalité, et donc de coût sociétal à long terme, mais peu attractive dans une logique comptable à brève échéance.
L’hospitalisation en détresse est à l’évidence peu rentable car le séjour n’est comptabilisé qu’à partir de minuit et nous fait ainsi perdre jusqu’à 50% de la durée du séjour alors même que sur cette période se concentre l’ensemble de notre travail (admission, surveillance infirmière intensive liée au risque d’overdose, entretien avec le référent médical et infirmier pour faire le point sur la situation).
Face aux logiques administratives nous engageant sur le chemin de la rentabilité, nous avons réfléchi à une prolongation du séjour sur 72 heures ce qui nous permettrait de compenser la perte de la première journée sur les deux jours suivants, mais l’expérience clinique nous montre qu’il ne s’agit alors plus de la même dynamique de soins.
Organisation du séjour
La détresse demande des prérequis afin que le patient puisse se projeter sur ce séjour :
La durée est annoncée avant l’admission pour qu’il n’y ait pas de confusion.
Il est essentiel de proposer cette limite afin de préserver le caractère d’urgence et de spontanéité. Ce séjour vient compléter les autres modalités d’hospitalisations contractualisées que sont le sevrage, le calage thérapeutique ou l’initialisation à un traitement de substitution.
La modalité d’hospitalisation est également énoncée pour qu’il n’y ait pas de confusion avec une démarche de sevrage, sur le principe de l’absence d’urgence en addictologie en dehors des décompensations organiques.
Certains patients, sous la contrainte d’une injonction de soins de la part de la justice, de la famille, d’un professionnel de soins… voudraient utiliser ce prétexte d’hospitalisation pour réaliser un « sevrage bref » et en apporter la caution à l’extérieur.
Nous sommes néanmoins souvent contraints, au cours du séjour du patient, de prescrire un traitement afin de limiter les conséquences physiques du sevrage.
Lorsqu’il s’agit d’un patient héroïnomane, la situation est simplifiée par la possibilité de prescrire un traitement de substitution aux opiacés.
La règle reste le refus de réaliser une ordonnance de sortie pour éviter toute confusion avec une autre démarche de soin sachant qu’un relais leur est offert en ambulatoire.
Lorsqu’il s’agit d’un collaborateur ambulatoire qui initie la demande, nous insistons sur la nécessité de programmer un rendez-vous à la suite du séjour afin d’inscrire la démarche dans une continuité.
Un compte-rendu est établi et transmis par le référent infirmier au terme du séjour à l’intervenant extérieur afin que celui-ci puisse avoir notre avis sur la disposition psychique du patient durant son hospitalisation.
L’écart est parfois saisissant entre une situation extérieure délétère et la rapide perception de confort dès la présence dans le service.
La durée de séjour peut être prolongée sur avis du médecin ou de l’infirmier référent.
Cette possibilité doit être réservée à notre appréciation afin de préserver, encore une fois, la dynamique d’une offre réservée aux situations de détresse.
Quelques chiffres
En 2009, nous avons accueilli 345 séjours dont 38 situations de détresse ce qui correspond à environ 10 % (un pourcentage observé habituellement chaque année). Cela concernait 32 patients dont 9 femmes, avec une moyenne d’âge de 29 ans.
Ces patients provenaient essentiellement des services des urgences de Metz et Thionville (18 séjours) puis de nos centres de consultation (8), de nos partenaires spécialisés dans le champ de l’addictologie (8), d’un centre médico-psychologique (1) et des médecins traitants (3).
En dehors de la filière des urgences par l’intermédiaire des services de psychiatrie, d’urgence et de liaison (S.P.U.L.), ce sont donc essentiellement les centres spécialisés en addictologie qui utilisent cette modalité.
La médecine de ville est très peu concernée, malgré une information régulière à propos de nos offres par notre implication dans les réseaux de soins et la formation continue. Cette modalité de prise en charge ne semble pas adaptée à la demande des patients en cabinet à moins que ce soit les praticiens qui n’envisagent pas cette modalité de soin comme utile dans leurs prises en charge des personnes dépendantes.
Commentaires
Le profil psychique des patients correspond bien aux résultats des études sur les comorbidités psychiatriques en addictologie avec une forte proportion de patients souffrant de pathologies de l’axe I (psychose, trouble de l’humeur et trouble anxieux) et de troubles graves de la personnalité (états limite, personnalités narcissiques psychopathiques). Cette observation nous conforte dans la défense de notre spécificité en tant que psychiatre spécialisé dans les problématiques addictives.
Les traitements de substitution figurent en bonne place dans nos stratégies thérapeutiques puisqu’ils concernent deux tiers des patients. Durant ces séjours, nous avons procédé à une initialisation à la méthadone avant une incarcération pour trafic et deux à la buprénorphine dont une dans l’attente d’intégrer un programme méthadone.
Nous avons également eu à organiser deux transferts en secteur psychiatrique : l’un pour syndrome dépressif majeur et l’autre pour reprise d’un suivi régulier par la psychiatrie de secteur.
Enfin, un séjour a été prolongé en sevrage alcool assorti d’une reprise des démarches de postcure initiées en ambulatoire et transfert direct en postcure à la fin du séjour.
L’abord médicamenteux
Il s’agit d’un choix thérapeutique délicat lorsque le patient ne bénéficie pas d’une prise en charge médicamenteuse antérieure. La mise sur le marché des traitements de substitution aux opiacés a permis de répondre aux situations de consommation d’héroïne, avec la possibilité d’introduire un traitement par buprénorphine sans être dans l’obligation de recourir à une forme de contractualisation puisque celui-ci peut être prescrite sans programme de soin.
La stabilisation des symptômes de manque nous permet d’envisager, dans des conditions plus clémentes, le questionnement sur la situation socio psychique du patient. Il s’agit d’un confort appréciable pour celui-ci à tel point que nous nous sommes questionnés sur un recours à la méthadone lorsque le traitement par buprénorphine est mal toléré.
La prescription s’appréhenderait selon une modalité de bas seuil avec la possibilité pour le patient d’envisager un programme méthadone après son séjour. Ce choix devait se concevoir de la même manière qu’un recours aux substitutions nicotiniques lorsqu’un fumeur est immobilisé dans un service hospitalier.
Lorsque la substitution n’est pas envisageable, nous devons recourir à une thérapeutique équivalente à celle du sevrage avec tous les inconvénients d’un choix qui leurre le patient sur nos intentions thérapeutiques. De plus, bien que nous l’informions de l’effet néfaste d’un tel choix, l’utilisation des benzodiazépines l’expose au risque de co-dépendance lorsque la prescription est relayée par son médecin traitant. Nous refusons de réaliser une ordonnance de sortie d’un traitement que nous estimons devoir réserver au sevrage hospitalier.
Situation clinique
Chaque situation reste singulière car nous avons toujours voulu placer le sujet au centre de notre offre de soin. Cette position se justifie par la situation d’assujettissement de l’individu du fait de son comportement addictif. Nous avons cependant choisi de vous en présenter une, qui illustre bien le bénéfice de maintenir cette offre de l’hospitalisation en détresse dans notre dispositif.
Gérôme et la politique de « la porte tournante »
Gérôme, 33 ans, nous est adressé par un confrère addictologue parisien pour le relais de sa substitution méthadone initialisée durant un séjour en traumatologie pour une chute liée à une surconsommation de benzodiazépines, alcool et drogues. Il était également sous substitution par buprénorphine haut dosage qu’il surconsommait et détournait périodiquement par voie intra-nasale.
Lorsque nous le rencontrons, Gérôme nous fait part d’un long parcours d’hospitalisations pour des passages à l’acte auto vulnérants en lien avec une situation de forte dépendance affective à ses parents et un conflit latent. Les parents sont divorcés depuis de nombreuses années et ont chacun repris une vie en couple.
Gérôme est le benjamin d’une fratrie de trois et le seul à être identifié comme ayant un comportement addictif. La période de la séparation de ses parents fut traumatisante pour lui avec une difficulté de positionnement dans le conflit parental et un sentiment d’avoir été pris en otage.
N’ayant pas de demande de démarche de soin et semblant stable au plan psychique, nous lui proposons rapidement un relais de la prescription par son médecin traitant qui le connaît depuis de nombreuses années et qui s’implique dans le suivi des problématiques addictives. Notre service est sollicité à de nombreuses reprises par ses parents pour une demande de prise en charge qui n’aboutit pas car elle n’est aucunement relayée par l’intéressé.
Gérôme sera de nouveau hospitalisé à de nombreuses reprises dans des établissements psychiatriques en séjour libre ou contraint pour des troubles du comportement liés à des surconsommations de psychotropes.
A l’occasion de l’un de ces séjours, le psychiatre en charge de Gérôme nous demande de reprendre le suivi sur le constat de sa méconnaissance du domaine des addictions et de son impuissance à élaborer un projet de soin adapté. Les passages à l’acte en lien avec la relation familiale conflictuelle se succèdent, attisant la discorde. Nous acceptons, à la condition d’assumer à nouveau la prescription de la méthadone afin de limiter les occasions de co-prescription et de pouvoir nous appuyer sur le contrat de soin encadrant le programme méthadone.
Gérôme finit par adhérer au projet et nous nous trouvons très rapidement en situation de gérer les surconsommations et les conduites à risques de celui-ci. Hormis une forte immaturité affective, nous n’observons pas de trouble psychique justifiant d’une thérapeutique psychotrope spécifique.
La problématique familiale semble insoutenable pour le patient, mais il continue de la subir en choisissant de vivre alternativement chez l’un ou l’autre des parents sans prendre la décision de les quitter autrement que par des passages à l’acte auto vulnérants nécessitant des séjours en situation d’urgence.
Nous lui proposons d’avoir la possibilité de demander un séjour en détresse dans notre service, lorsqu’il en ressent le besoin, sans être obligé de devoir surconsommer pour justifier d’une hospitalisation, conscient du risque d’engager un jour son pronostic vital par ses conduites à risque.
Nous lui annonçons que notre principal objectif est de le maintenir en vie puisqu’il nous a formulé ce souhait, restant ouvert à d’autres propositions s’il lui venait l’envie d’engager autre chose. Les passages à l’acte nous semblaient être liés à la réactivation de l’angoisse liée à l’impossible choix dans le conflit de loyauté à l’égard de ses parents. Le choix de l’hospitalisation avait pour objectif d’aménager ce conflit par une mise en acte.
Gérôme est d’abord passé par les urgences pour demander un séjour dans notre unité et a finalement accepté de nous faire cette demande directement, ce qui lui permettait de venir dans de meilleures conditions. Nous avons appelé ce principe de succession d’hospitalisations la « porte tournante » car chaque séjour est justifié par une situation de détresse et nous savons qu’il est impossible d’envisager l’accès aux soins autrement, tant que le patient ne formule aucune autre demande.
Gérôme finira par élaborer un projet de cure de sevrage de sa consommation d’alcool et de benzodiazépines suivie d’une post-cure afin de rompre avec sa situation de dépendance et d’emprise de ses parents.
Conclusion
Nos modalités d’hospitalisation en détresse permettent d’apporter un cadre au séjour. Celui-ci nous a permis de pouvoir l’adapter en fonction de la singularité de chaque situation clinique.
Le patient reste bien au centre de nos préoccupations et ce sont nos pratiques et non pas l’individu qui doit s’adapter. Nous sommes par ailleurs conscients qu’un tel dispositif nécessite des équipes sensibilisées à une approche psychique de l’individu et formées pour les problématiques addictives.