Auteurs :
Christophe Maritaz, Interne en Pharmacie, CSST Hôtel-Dieu, Lyon ; Dr Philippe Lack, Médecin PH, CSST Hôtel-Dieu, Lyon ; Dr Bernard Poggi, Biologiste PH, Laboratoire de biologie Hôtel-Dieu, Lyon ; Dr André Jolivet, Pharmacien Chef de service, Pharmacie Hôtel-Dieu, Lyon ; Frédéric Buathier, Infirmier, CSST Hôtel-Dieu, Lyon ; Annie Epinnat, Infirmière, CSST Hôtel-Dieu, Lyon ; Claudine Hoyet, Infirmière, CSST Hôtel-Dieu, Lyon ; Pr Christian Trepo, Médecin Chef de service, Hépato-gastro-entérologie Hôtel-Dieu, Lyon
Résumé
Le Centre de Soins Spécialisés pour Toxicomanes (CSST) de l’Hôtel-Dieu à Lyon a recensé une file active de 582 patients en 2007. Lors de l’entretien d’accueil, chaque patient a une analyse d’urine pour la recherche de toxiques, avec une prévalence de plus en plus fréquente d’amphétamines. Bien que de nombreux patients affirment avoir pris de la méthamphétamine, le rapport 2007 établi par l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies révèle la quasi-inexistence de celle-ci sur le territoire français.
L’étude par couplage chromatographie gazeuse et spectrométrie de masse des urines positives ou douteuses pour les substances amphétaminiques, reçues depuis le 1er janvier 2008 au CSST de l’Hôtel-Dieu, a mis en évidence 3 amphétamines et 4 MDMA. Les données fournies par les usagers de drogues (UD) en réponse à un questionnaire ont révélé que 5 UD disaient avoir consommé de la méthamphétamine, 5 autres UD disaient avoir pris du MDMA, et les 13 UD restants affirmaient n’avoir rien consommé.
Les résultats de cette étude, bien que sa puissance ait été diminuée par les importantes réactions croisées et le court délai de possible dépistage (moins de 48 heures), font ressortir que la substance amphétaminique la plus consommée est le MDMA suivi de l’amphétamine, vendus comme étant de la méthamphétamine.
Introduction
Le Centre de Soins Spécialisés pour Toxicomanes (CSST) de l’Hôtel-Dieu de Lyon recense une file active de 582 usagers de drogues dont 275 sont venus pour participer à un programme de substitution par Méthadone, 197 pour une substitution par Buprénorphine, 10 pour une demande de sevrage, et 100 pour d’autres demandes.
Lors de l’entretien d’accueil est effectuée une analyse d’urine qui recherche la présence de toxiques consommés récemment (opiacés, cocaïne, buprénorphine, benzodiazépines, amphétamines, méthadone).
Des analyses d’urine peuvent ensuite être réalisées afin de vérifier l’observance du traitement et la prise ou non d’autres psychotropes. Celles-ci sont obligatoires pour les patients entrés dans le programme Méthadone.
Depuis peu, nous constatons, dans notre centre, une recrudescence de la prise d’amphétamines, pour laquelle il n’est pas rare que l’usager de drogues affirme, lors de la consultation, avoir consommé de la méthamphétamine, alors que le recensement actuel de cette substance sur le territoire français, effectué par l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies, est en inadéquation avec cela (source MILDT (Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie) rapport 2007).
CHLORHYDRATE DE METHAMPHETAMINE
La méthamphétamine (figure 1) est un analogue illégal dérivé de la phényléthylamine qui n’est autre que le produit de base, qui par de nombreuses substitutions au niveau structural, aboutit aux différents analogues amphétaminiques (1).
La production artisanale est facile et dérive de l’éphédrine (figure 2).
Un peu d’histoire…
La méthamphétamine a été distribuée à large échelle dans les armées allemandes et japonaises durant la Seconde Guerre Mondiale (3).
Elle fut commercialisée comme médicament aux Etats-Unis, pour divers problèmes médicaux allant de l’obésité à la dépression, mais fut rapidement classée comme stupéfiant.
Dans les années 1970, la méthamphétamine a d’abord été la drogue des motards californiens qui l’utilisaient pour rester éveillés. C’était le speed ou le crank, souvent vendu en petites pilules. La forme plus pure, appelée crystal meth, est apparue ensuite et pouvait être fumée ou inhalée (4).
La drogue a alors trouvée une clientèle surtout dans le Midwest américain : des femmes, souvent monoparentales et pauvres qui l’utilisaient comme antidépresseur, stimulant pour effectuer les tâches ménagères et comme amaigrissant rapide (5). L’explosion de la consommation de crystal a eu lieu dans les années 1990, en Californie, particulièrement dans le milieu homosexuel pour qui le crystal meth est souvent associé directement au comportement sexuel (6).
Prisée pour ses supposées vertus de stimulant sexuel, son usage par injection est également responsable d’un tiers des nouveaux cas d’infection par le VIH dans les milieux gays de San Francisco, selon une étude publiée à Prague (7). Au début des années 2000, elle fait son apparition sur le marché des drogues britanniques (8).
Son arrivée en France (Crystal) a été repérée par Act-Up en 2004 dans les soirées de clubbing organisées dans des boîtes de nuit parisiennes (9).
Propriétés et effets
Ce produit est lipophile et passe rapidement la barrière hémato-encéphalique. Son métabolisme est hépatique, sa demi-vie de 4 à 12h, et son excrétion est rénale.
Pure, elle se présente sous une forme solide cristalline, incolore et inodore qui peut rappeler du verre cassé ou de la glace.
Elle peut être fumée, ingérée, écrasée et aspirée par voie nasale ou dissoute et injectée dans une veine (3). Ses différentes appellations sont : crank, speed, go, pilule thaï, yaba, shabu, crystal, ice, crystal meth.
La méthamphétamine est un psychostimulant nooanaleptique (augmente la vigilance).
Ses effets sont superposables à ceux de l’amphétamine avec un effet plus prononcé sur le système nerveux central. Elle agit en augmentant la libération de dopamine et noradrénaline au niveau présynaptique. Cette libération de substances est croissante et proportionnelle à la dose utilisée. A forte dose, la méthamphétamine entraîne également la libération de sérotonine mais, en moindre importance que le MDMA (ecstasy = 3,4-méthylène dioxymethamphétamine).
L’accroissement de la noradrénaline entraîne une anorexie, une stimulation de la vigilance, une moindre sensibilité à la fatigue, et certains désordres locomoteurs comme une agitation et des tremblements.
L’augmentation de la dopamine (système de la récompense) induit des comportements stéréotypés, une euphorie, une stimulation de la libido, et d’autres comportements locomoteurs comme trismus (crispation des mâchoires).
La sérotonine libérée au niveau mésolimbique altère la perception et est à l’origine des comportements psychotiques à type de délires et hallucinations.
L’effet apparaît en moins de 30 minutes par ingestion, 2 à 5 minutes par inhalation ou injection, et peut durer jusqu’à 8-24h.
L’arrêt n’est pas suivi d’un syndrome de sevrage comparable à celui des opiacés, mais on observe une asthénie voire une léthargie, des déficits intellectuels (baisse de la concentration) et affectifs (anxiété, agitation), une perte de poids, et une destruction sévère des dents.
Chez les sujets en consommant depuis plusieurs mois, on décrit comme effets secondaires des phénomènes psychotiques avec hallucinations, délire de persécution, délire paranoïde, et parfois l’excitation est suivie d’un état dépressif avec risque suicidaire (10, 11).
En raison de son mode de fabrication, des contaminations importantes de la drogue par du plomb ou du mercure sont possibles (12).
Matériel et méthode
L’objectif de cette étude a été de rechercher une éventuelle corrélation entre une recherche urinaire de stupéfiants positive pour les amphétamines et la mise en évidence par spectrométrie de masse de méthamphétamine.
La cohorte de patients sélectionnés correspond aux usagers de drogues pris en charge par le CSST de l’Hôtel-Dieu et dont l’analyse urinaire d’accueil ou de contrôle s’est révélée positive ou douteuse entre le 1er janvier 2008 et septembre 2008 pour les amphétamines.
Cette sélection rétro- et prospective s’est faite en relation avec le laboratoire de biochimie de l’Hôtel-Dieu en fonction des échantillons urinaires qui y étaient conservés.
La méthode de détection utilisée par le laboratoire est la technique Syva EMIT® II Plus (système Dimension® Dade Behring), utilisant la compétition entre la drogue présente dans l’échantillon et la drogue marquée par la G6PDH pour les sites de fixation des anticorps monoclonaux (figure3).
Ainsi, plus l’AMPH-G6PDH actif augmente (donc l’absorbance augmente), plus il y a d’AMPH présent dans les urines, puisque l’affinité des anticorps monoclonaux pour l’AMPH est supérieure.
Il est à noter que les molécules amphétaminiques apparaissent dans l’urine 3 heures après n’importe quel type d’administration, et qu’elles peuvent être détectées par ce dosage jusqu’à 24-48 h après la dernière dose.
Les échantillons ont ensuite été transférés au laboratoire de Toxicologie de l’hôpital Edouard Herriot de Lyon pour confirmation absolue (figure 4) par couplage chromatographie gazeuse et spectrométrie de masse avec détecteur quadripolaire (CG-SM).
La procédure analytique classique suivie est la préparation de l’échantillon, l’extraction par solvant(s), la purification, l’identification et quantification par séparation en chromatographie gazeuse, puis détection et mesure par spectrométrie de masse haute résolution, en faisant intervenir des étalons internes au long des différentes étapes.
Les sujets positifs et douteux ont ensuite répondu à un questionnaire qui a permis d’établir un lien entre l’amphétamine détectée et l’amphétamine supposée consommée (figure 5).
Résultats
Sur les 582 usagers de drogues faisant partie de la file active du CSST de l’Hôtel-dieu, 23 (8 femmes + 15 hommes) ont eu un dépistage positif ou douteux aux amphétamines depuis le 1er janvier 2008. Sur ces 23 résultats, 17 proviennent d’analyses effectuées lors de l’entretien d’accueil, 6 d’analyses effectuées lors d’un contrôle de patients du programme Méthadone.
Ainsi 4% des usagers de drogues du CSST sont consommateurs d’amphétamines (figure 6).
Ce chiffre s’élève à 10% pour les nouveaux patients souhaitant une prise en charge par le centre, c’est-à-dire des patients encore dans une toxicomanie active (figure 7).
L’identification par CG-SM (figure 8) a révélé :
Les réponses au questionnaire ont été les suivantes (figure 9) :
Discussion
Lors de cette étude, nous avons été confrontés à différents problèmes et interrogations.
Tout d’abord le problème de la sélection initiale des usagers de drogues à inclure dans l’étude. En effet les 10% d’usagers consommateurs d’amphétamines sont certainement sous-estimés du fait de la limite de détection du dépistage qui ne reste possible que pendant 48 heures après consommation. De plus, les échantillons urinaires n’ont été conservés par le laboratoire qu’à partir du 1er janvier 2008, ce qui a fortement diminué la puissance de l’étude puisqu’il nous a été impossible de vérifier des échantillons antérieurs positifs pour lesquels le questionnement du patient nous avait évoqué la prise de méthamphétamine.
D’autre part on constate que tous nos échantillons (9) ayant eu un résultat de dépistage douteux se sont avérés n’identifier aucune amphétamine par CG-SM.
Se pose alors la question d’éventuelles réactions croisées, de faux positifs lors du dépistage, de défaut de sensibilité de la CG-SM, ou de consommation d’autres amphétamines non répertoriées par la méthode comme :
- TAM-2 = 2,4,5-triméthoxyamphétamine
- DOM = 4-méthyl-2,5-diméthoxyamphétamine
- PMA = paraméthoxyamphétamine
- DOB = 4-bromo-2,5-diméthoxyamphétamine
- 2CB MFT = 4-bromo-2,5-méthoxyphényléthylamine methcathinone
La technique utilisée répertorie un risque important de faux négatifs, ce qui a pu diminuer le nombre de dépistages positifs à inclure. Un nombre important de substances, additionnées à une certaine concentration, négativent la détection des amphétamines par la méthode utilisée, ce qui est le cas de la buprénorphine >100µg/ml, la codéine >500 µg/l, la fluoxétine >500 µg/l…
Tous les patients ayant eu un résultat douteux pour la recherche des amphétamines affirment, dans leur questionnaire, ne pas avoir consommé d’amphétamines et suspectent alors un « coupage » de l’héroïne. L’analyse des dossiers médicaux a permis de constater que l’on retrouvait systématiquement chez ces patients la prise de psychotropes : Athymil® (x2), Cymbalta® (1), Risperdal® (x2), Effexor® (1), Stresam® (1), Seroplex® (1), Benzodiazépines (x4) qui, peut-être auraient pu interagir. Cependant les patients ayant eu un résultat positif ne correspondent pas à des usagers de drogues exempts de psychotropes.
Parmi les 14 résultats positifs restants (« hors douteux »), 3 se sont révélés négatifs par la technique CG-SM, on peut donc supposer à nouveau une éventuelle réaction croisée ou une amphétamine consommée non identifiable par CG-SM.
En ce qui concerne la corrélation entre le questionnaire et l’identification urinaire, il est très fréquent de voir que bon nombre d’usagers de drogues supposent avoir pris de la méthamphétamine qui, par analyse, se révèle être du MDMA (ecstasy).
Ces résultats concernant la consommation d’ecstasy sont d’ailleurs plus en accord avec les informations fournies par l’Institut National de Police Scientifique section Stupéfiants à propos des produits psychostimulants circulant sur le territoire français (tableau I).
Conclusion
Ce travail rétro- et prospectif nous a permis d’éclaircir le point d’une éventuelle émergence de la méthamphétamine sur le territoire français.
Il s’avère que les amphétamines les plus consommées par les usagers de drogues du CSST de l’Hôtel-Dieu sont dans 18% des cas de l’ecstasy (MDMA), 13% de l’amphétamine classique, et jamais de la méthamphétamine ; alors que 21% affirmaient prendre de la méthamphétamine.
Si nul ne remet en doute aujourd’hui en France que circule de la méthamphétamine, on peut néanmoins affirmer que les toxicomanes achètent fréquemment des comprimés ou autres formes galéniques sous l’appellation de méthamphétamine, qui ne sont autres que du MDMA ou de l’amphétamine. Pour un utilisateur occasionnel, la substitution entre les 2 substances est indétectable du point de vue des effets, puisqu’il faudrait alors connaître la quantité de substance pure contenue, étant donné que l’effet-dose a une importance sur les différentes conséquences organiques et psychiques.
Nos observations « amphétamines consommées par les usagers de drogues » versus « amphétamines circulant en France selon les pouvoirs publics » vont donc dans le sens des anciennes études qui affirment que l’arrivée de la méthamphétamine en Europe de l’Ouest est très probablement imminente, mais qu’actuellement le MDMA est l’amphétamine la plus usitée et la plus produite de manière artisanale par nos laboratoires clandestins, et revendue ensuite sur le marché noir.
BIBLIOGRAPHIE
- (1) Mols P, Dedecker N, Taton G, Amuli Itegwa M. Accidents aigus des nouvelles toxicomanies. Consensus d’actualisation SFAR 1999.
- (2) Dujourdy L. Les Stupéfiants. Laboratoire de Police Scientifique 2007 ; 54-67.
- (3) Wikipedia. Methamphetamine 2008.
- (4) Kempfer J. La consommation de méthamphétamine sous toutes ses formes. SWAPS 1998 ; 3 (1) : 11-12.
- (5) Kempfer J. Méthamphétamines, ice, crystal meth : mythes et réalités. SWAPS 2005 ; 48 (1) : 14-19.
- (6) Trend. Phénomènes émergents liés aux drogues en 2005. OFDT 2007. 56-57
- (7) Lestrade D. Survivre au Sida. Liberation 2005.
- (8) Volkow ND. Methamphetamine, Abuse and Addiction. National Institute on Drug Abuse 2006.
- (9) Kempfer J, Klein S. A la Techno parade, « dis-moi ce que tu gobes… ». SWAPS 1999 ; 15 (1) : 22-24.
- (10) Centre l’Etape. Amphétamine Méthamphétamine. Centre communautaire d’Intervention en Dépendance 2008.
- (11) Chiang WK. Amphetamines. Toxicologic Emergencies 1998 ; (6) : 1091-1103.
- (12) Kempfer J. Santé. Réduction des Risques. Usages de Drogues. SWAPS 2005 ; 47 (1) : 7-9.