Introduction
Malgré l’importance de la morbi-mortalité liée à la consommation de tabac, dont on sait qu’elle est particulièrement importante chez les patients dépendants des opiacés et de l’alcool, la prise en soins de l’addiction tabagique reste trop souvent négligée lors des hospitalisations des patients (1).
Cet état de fait tient à plusieurs facteurs : résistance du patient au changement (il ne lui « reste » souvent que ce « plaisir »), aspect secondaire pour l’équipe soignante (parfois fumeuse elle même, voir utilisant la cigarette comme un renforçateur positif lorsque les patients sont compliants), mauvaise prise en compte par le corps médical de la véritable dangerosité de ce produit par rapport aux toxiques ayant amenés le patient en hospitalisation.
Sur ce dernier point, il n’est pas inutile de rappeler que les patients alcooliques chroniques ont plus de chance de décéder de pathologies liées à leur consommation de tabac (dans le cas quasi-systématique d’une co-addiction) qu’à leur consommation d’alcool (2). Par ailleurs la persistance de la consommation de tabac peut être problématique pour le patient dans le cadre d’une co-addiction comportementale, entrainant une augmentation du risque de rechute.
Objectifs de l’étude
L’objectif de cette étude est d’évaluer la pertinence de proposer systématiquement une substitution nicotinique chez tous les patients hospitalisés en SSR addictologie. Il s’agit d’une étude rétrospective monocentrique réalisée en service d’hospitalisation accueillant des usagers de drogues (pour la plupart polytoxicomanes) en consolidation de sevrage alcool et/ou cocaine et/ou opiacés et/ou cannabis et/ou médicaments.
Les patients ont bénéficié s’ils le souhaitaient d’un traitement par substituts nicotiniques sous forme de patchs et/ou forme orale.
Nous avons évalué après 30 jours d’hospitalisation l’impact du traitement de substitution sur la consommation quotidienne de tabac à l’interrogatoire lors des consultations d’aide au sevrage tabagique. Nous avons voulu déterminer si le fait de proposer un traitement de substitution nicotinique associé à des consultations d’aide au sevrage tabagique avaient un effet bénéfique sur la réduction voire l’arrêt du tabac chez les patients hospitalisés en SSR addictologie.
Patients et méthode
Sélection des patients : Les 37 patients de l’étude proviennent des 60 patients recensés entre le 1/01/10 et le 20/11/10 suivis à la Polyclinique la Concorde et hospitalisés pour une période supérieure ou égale à 30 jours. Nous avons défini comme «fumeur» toute personne déclarant fumer plus de 5 cigarettes/j depuis au moins 5 ans.
Seulement 3 patients étaient non fumeurs , 14 dossiers étaient incomplètement renseignés (absence de résultat au test de Fagerström), 2 patients avaient été hospitalisés 2 fois.
Au total, 41 patients fumeurs auraient pu participer à l’étude. Cependant 4 patients fumeurs, après la première consultation d’aide au serage tabagique, n’ont pas souhaité être aidés par un traitement substitutif nicotinique.
37 patients ont donc été inclus dans l’étude.
Test de Fagerström (3)
Le test de Fagerström permet d’évaluer le degré de dépendance physique à la nicotine.
Il comporte 6 questions portant sur la quantité de cigarettes fumées, le temps qui s’écoule entre le réveil du matin et la première cigarette, la difficulté que le patient à s’abstenir de fumer lorsqu’il est malade ou dans les zones non fumeur. Les patients peuvent être classés en quatre catégories.

- Score de 0 à 2: Le sujet n’est pas dépendant à la nicotine. Il peut arrêter de fumer sans avoir recours à des substituts nicotiniques. Si toutefois le sujet redoute cet arrêt, les professionnels de santé peuvent lui apporter des conseils utiles.
- Score de 3 à 4: Le sujet est faiblement dépendant à la nicotine.
- Score de 5 à 6: Le sujet est moyennement dépendant. L’utilisation des traitements pharmacologiques de substitution nicotinique va augmenter ses chances de réussite. Le conseil du médecin ou du pharmacien sera utile pour l’aider à choisir la galénique la plus adaptée à son cas.
- Score de 7 à 10: Le sujet est fortement dépendant ou très fortement dépendant à la nicotine. L’utilisation de traitements pharmacologiques de substitution nicotinique est recommandée. Ce traitement doit être utilisé à dose suffisante et adaptée. En cas de difficulté, orienter le patient vers une consultation spécialisée.
Résultats
Evaluation de la dépendance selon le test de Fagerström

Impact des traitements de substitution sur la consommation journalière de cigarettes.
Dans premier temps nous avons retenu comme réduction notable de la consommation de tabac une diminution de moitié de la consommation de tabac après 30 jours de traitements de substitution nicotinique. Plus de 70% des patients ont réduit ainsi leur consommation de plus de 50%.

Diminution moyenne de la consommation : 47,3% par rapport à la consommation initiale
Impact des traitements de substitution en fonction du degré de dépendance des patients
Un deuxième objectif était de calculer l’importance de la diminution de consommation en fonction du degré de dépendance des sous-groupes de patients.

Nous avons analysé la significativté des résultats obtenus par la réalisation d’un test de Spearman. Dans cette étude sur 37 patients, l’importance de la diminution de la consommation n’est pas liée de manière significative au degré de dépendance exprimée par le score de Fagerström (Test de Spearman, p = 0,6638).
Conclusion
Nous avons retenu de cette étude qu’ aucun patient n’a arrêté sa consommation de tabac. Cependant, alors qu’à la première consultation d’aide au sevrage tabagique, aucun patient n’était motivé pour arrêter le tabac, il s’est avéré que 70,2% des patients ont diminué au moins de moitié leur consommation quotidienne de tabac et 37,8% ont déclaré fumer moins de 5 cigarettes /jour après un mois sous traitement de substitution nicotinique.
La part de réussite imputée aux traitements de substitution nicotinique seuls est difficile à évaluer car les patients ont été régulièrement vu en consultation d’aide au sevrage tabagique par le médecin addictologue (au minimum 1 consultation/semaine). De plus, l’envie de plaire ou de faire plaisir à son médecin a pu, pour certains, les amener à déclarer une consommation inférieure à celle qui ne l’est en réalité.
Dans notre étude 37,8% des patients étaient fortement dépendants à la nicotine, 35,1% étaient moyennement dépendants et 21,6% étaient faiblement dépendants selon le test de Fagerstrôm.
L’analyse statistique des données ne retrouve pas de corrélation entre le degré de dépendance et la l’importance de diminution de consommation. Cependant notre étude est limitée par la taille de l’échantillon et la durée de suivi. Une autre limite de notre étude est l’absence de suivi à long terme des patients. Ainsi dans la revue de littérature de Rigooti et al. (4) l’aide au sevrage tabagique n’était efficace que dans le cadre d’un suivi supérieur à un mois après l’hospitalisation. Malgré ses limites, notre étude semble confirmer les résultats résultats obtenus par Prevost et al. (5) dans le cadre des sevrages alcool et appelle à de nouvelles études.
Discussion
Même si aucun patient n’a arrêté de fumer à 30 jours d’hospitalisation, la réduction de la consommation de tabac dans un premier temps nous apparait comme un excellent résultat. Bien sûr, de nouvelles études sont nécessaires pour évaluer le devenir de la consommation de tabac des patients au-dela de ces 30 premiers jours et confirmer l’intêret de cette proposition d’aide au sevrage tabagique en systématique.
Mais, cette étude nous conforte dans notre determination à proposer de manière volontaire et systématique une aide à ceux qui souhaitent réduire leur consommation de cigarettes lorsqu’ils sont hopsitalisés pour consolidation de sevrage en SSR d’addictologie.
Cette intervention se place résolument dans le cadre d’une mesure de réduction des risques, en l’occurrence des risques liés au tabagisme. Il nous semble qu’en tant que soignants en addictologie, il est de notre devoir de proposer aux patients que nous accompagnons des interventions qui peuvent les aider à s’investir dans une diminution de leur consommation de tabac (s’ils le peuvent et s’ils le souhaitent) et ce, quel que soit le produit qui a justifié initialement une prise en soins.
Si cette proposition permet, même à quelques-uns, de réduire au long cours leur consommation de tabac, voire de l’arrêter complètement, nous considérons que cette démarche aura été utile. Une expérience positive de la réduction de la consommation de tabac au cours d’une hospitalisation, avec l’aide de l’équipe soignante et de substituts nicotiniques peut donner confiance à nos patients dans leurs propres capacités à sortir de consommations dans lesquels ils se reconnaissent parfois empêtrés.
Concernant les patients sous TSO dont la co-dépendance au tabac est quasi-systématique, suivis au long par des équipes soignantes pluridisciplinaires, il parait inconcevable qu’une proposition de substitution nicotinique ne soit pas répétée à plusieurs reprises tout au long du parcours de soins. Elle peut être refusée par le patient mais elle doit être formulée par le soignant à chaque fois qu’il entrevoit une possibilité.
Bibliographie
- (1) Richter KP, Choi WS, McCool, RM, Harris KJ Ahluwalia JS, Smoking cessation services in US methadone maintenance facilities, Psychiatric services, Nov 2004, vol5, n 11.
- (2) Hurt RD, Offord KP, Croghan IT, Gomezdahl L, Kottke TE, Morse RM et al. Mortality following inpatient addictions treatment: Role of tobacco use in a community- based cohort. JAMA 1996; 275: 1097- 1103.
- (3) Heatherton TF, Kozlowski LT, Frecker RC, Fagerstrom KO. The Fagerstrom Test for Nictoine Dependence: A revision of the Fagerstrom Tolerance Questionnaire. British Journal of Addictions 1991;86:1119-27
- (4) Rigotti A, Munalfo MA, Stead LF. Smoking cessation interventions for hospitalized smokers. A systematic review. Archives of Internal Medicine, 2008, Oct 13, p1950-1960
- (5) Prevost C, Dilmi N, Dally S. La substitution nicotinique lors du sevrage alcoolique. Alcoologie et Addictologie, 2009; 31(2) : 141-144
Commentaire de lecture adressé à la Rédaction par le Dr Dominique BLANC (Marseille)
Publié dans le Flyer n° 52 (Sept. 2013)
Dans l’article mentionné : la dépendance physique n’est qu’une partie de la dépendance, il est donc normal que le degré de dépendance physique ne soit pas corrélé à la baisse de consommation du tabac ; il aurait fallu évaluer les dépendances psychologiques et comportementales.
On ne sait pas quels SN ont été utilisés. On nous dit timbres et/ou SNO : or les SNO aident aussi à gérer la dépendance psychologique et comportementale.
N’a pas été évaluée l’aide au sevrage amenée par les consultations spécialisées : 2 groupes seraient nécessaires pour tester l’impact des SN versus SN + TCC.
Enfin on nous indique qu’on ne sait pas la réelle consommation de tabac à la fin, car déclarative.
La mesure du CO aurait aidé en début et fin pour évaluer non seulement la consommation mais aussi l’éventuelle auto-titration des patients, et mesurer l’impact réel de la prise en charge.
Pour finir, le suivi est indispensable puisque la baisse temporaire est presque toujours suivie de retour à la consommation antérieure si on ne maintient pas le suivi au long cours.
Quoi qu’il en soit, cette expérience est intéressante puisque de fait le tabac est négligé par la majorité des soignants alors que les patients vont, dans leur majorité, mourir de pathologies liées au tabac !
Ndlr : Concernant les critiques méthodologiques formulées par le Dr Dominique Blanc, nous en prenons acte. En l’occurrence, ce qui nous a paru pertinent dans le travail des Drs Lupuyau et Pitrat, c’est plus la démarche de réduction des risques liés au tabagisme par une offre de soin que la nature de l’évaluation scientifique de leur démarche qui, bien évidemment présente des biais méthodologiques. Ce travail a été fait à coût zéro, sur la base du bénévolat des auteurs et sans soutien institutionnel (équipes de recherche, industriels, PHRC…). Ils n’ont pas cherché à mesurer l’efficacité des substituts nicotiniques, connue par ailleurs, mais à évaluer simplement leur démarche de soins, sans préjuger du résultat ni se prévaloir de la rigueur scientifique d’une étude contrôlée.