Chers Collègues
Bien que les auteurs de cette étude aient mis en avant le lien entre traumatisme durant l’enfance et consommation de benzodiazépines (BZD), leur analyse nous en dit encore plus au sujet des patients dépendants aux opiacés suivant un traitement en Suisse et au-delà.
De plus, la bibliographie sur l’utilisation de benzodiazépines chez les patients sous Traitements de Substitution aux Opiacés (TSO) est exemplaire et démontre clairement que l’approche actuelle ne fonctionne tout simplement pas.
Comme avancé par les auteurs : « Bien que l’abstinence aux BZD soit perçue comme l’objectif premier du traitement, comme cela a généralement été la norme dans le passé, ces résultats illustrent les limites de la prise en soin et des stratégies thérapeutiques actuelles ».
Selon plusieurs études, parmi lesquelles figurent des études australiennes, la prise concomitante de BZD par le patient sous TSO est rapportée pour 18 à 55% des cas à un instant donné et sur une vie entière pour 35 à 94% des individus.
Méthode
L’étude suivante a été menée au sein de deux programmes de substitution aux opiacés à Bâle, en Suisse.
Les traitements utilisés étaient les suivants : héroïne (forme orale et injectable), méthadone, morphine, buprénorphine et codéine.
Sur les 315 patients auxquels l’étude a été proposée, 193 (61%) ont accepté de participer à l’enquête qui évaluait les traumatismes durant l’enfance (mesurés par le Childhood Trauma Questionnaire – CTQ), la consommation de drogue ainsi que d’autres caractéristiques d’ordre médical et démographique. La consommation de substance a été confirmée par des analyses urinaires qui ont montré un haut niveau de concordance. Les diagnostics psychiatriques ont été obtenus à partir des dossiers médicaux actualisés régulièrement.
Résultats
Au sein de l’échantillon, 61% des individus ont rapporté une consommation de BZD au moment de l’étude, 47% ont eu consommation prolongée (supérieure à 2 mois) tandis que le taux rapporté sur une vie entière était de 85%. Par conséquent, près de la moitié des patients au sein de la cohorte a eu une utilisation prolongée durant les cinq dernières années.
Pour 67% des individus ayant complété l’enquête, il y a eu un score modéré ou sévère pour au moins une des sous-catégories de traumatisme durant l’enfance.
Tout comme pour la consommation de BZD, le niveau de traumatisme était corrélé de manière significative à la posologie de méthadone (ou posologie équivalente pour les autres opiacés).
Après analyse multi-variée, les auteurs ont noté une association entre consommation prolongée de BZD et (1) traumatisme excessif durant l’enfance, (2) hépatite C, (3) antécédents psychiatriques familiaux et (4) posologie de méthadone en milligrammes. Les odds ratio respectifs étant 1,5, 4,0, 2,3 et 1,01.
Discussion
Plutôt que d’employer le terme « mésusage », les auteurs ont utilisé à bon escient celui « d’usage ».
Ils ont effectué un classement selon quatre catégories avec :
- (1) l’usage hédoniste ou récréatif,
- (2) l’usage auto-thérapeutique pour compenser ou potentialiser les effets d’une drogue primaire (pour accompagner par exemple la descente pour les substances stimulantes),
- (3) la prescription pour prendre en soin l’anxiété, l’insomnie, les stress posttraumatiques ou les troubles paniques etc…, et
- (4) l’usage hors-AMM comme traitement de substitution de la dépendance aux BZD. La grande majorité des patients avaient obtenu leur BZD à partir de prescriptions légales (84% de ceux ayant une utilisation prolongée).
Les auteurs de l’étude précisent qu’aucun de ces points ne permet de faire émerger de causalités.
Ces dernières sont difficiles à déterminer quand tant de paramètres interviennent, pour les patients sous TSO tels quels les abus dans l’enfance, les stress post-traumatiques ou l’usage auto-thérapeutique. Néanmoins, les auteurs sont convaincus que la politique de « zéro tolérance » ne peut plus être tenue, tout comme cela n’a pas fonctionné pour la dépendance aux opiacés (ou pour l’alcool à une autre époque). Ils sont en faveurs d’une prescription, évaluée par des études cliniques, comme avancé par Librenz dans la revue « Addiction ».
Au cours de notre propre pratique, nous prescrivons du diazépam sous surveillance étroite et avec des posologies modérées pour les patients ne souhaitant ou ne pouvant cesser leur consommation de BZD et pour ceux qui, dans le contexte de leur TSO, sont d’accord pour arrêter leur consommation d’alcool.