L’étude
Quatre femmes enceintes (22-30 semaines), stabilisées sous méthadone depuis au moins 4 semaines, qui ont « demandé à passer sous buprénorphine », ont tout d’abord reçu de la morphine per os pendant 5-7 jours (en appliquant un ratio de 1:6, parfois moins dans certains cas) puis de la buprénorphine, en passant par une succession de paliers et de médicaments associés (doses journalières de 12 à 28 mg).
Ces changements de traitements ont été émaillés de multiples problèmes dont un retour à la prise de drogues illicites et des sensations de «se sentir différente». Les auteurs ont semblé bien distinguer ces signes de ceux du manque. D’autres symptômes ont été rapportés dont une affection biliaire aiguë, de la fièvre, une attaque de panique, des nausée, des vomissements.
Toutes les patientes ont demandé un retour à la prise de méthadone à J10.
Douze patientes correspondant aux critères de l’étude en ont été exclues pour diverses raisons.
Elles pourraient avoir été plus chanceuses que les 4 patientes incluses du fait d’une issue très défavorable de l’essai, malgré les résultats optimistes annoncés par l’abstract (basé sur un score complexe de signes de manque). Le titre même de l’essai pourrait induire le lecteur en erreur puisque aucune des 4 patientes n’a réussi son transfert vers la buprénorphine.
Cas A : (85 mg de méthadone avant le changement de traitement, a reçu seulement 75 mg d’équivalent morphine) a quitté l’hôpital le soir de la première prise de buprénorphine et a consommé de l’héroïne et de la cocaïne. Elle a repris son traitement initial sous méthadone à J10 après un épisode de tachycardie fœtale et une insuffisance de liquide amniotique.
Cas B : (65 mg de méthadone avant le changement de traitement) est sortie de l’étude à J10 après une crise de panique, des vomissements, des symptômes de manque et l’angoisse de se « sentir différente » après la prise de buprénorphine. « Ce retrait de l’étude…était soit précipité, soit spontané » nous dit-on. Cette question est de pure rhétorique puisque la patiente a choisi de retourner à la méthadone après seulement 2 ou 3 jours sous buprénorphine.
Cas C : (65 mg de méthadone avant le changement de traitement) a eu des nausées, vomissements, fièvre, douleurs abdominales et troubles du péristaltisme à J9-J10. Malgré cela, 4 jours au moins se sont écoulés avant qu’elle ne retourne à son traitement initial sous méthadone. Elle a, par ailleurs, reçu un traitement pour une probable cholestase.
Cas D : (50 mg de méthadone avant le changement de traitement) : revenue au traitement initial à J10 après avoir souffert de constipation sévère, d’anxiété, et de sensations étranges. Bien qu’elle ait signalé regretter la sensation « d’engourdissement » sous méthadone, les auteurs affirment qu’elle n’a pas spécifiquement parlé de manque. Elle est malgré tout sortie de l’étude.
Tout ce qui nous est dit sur la croissance fœtale l’a été à travers une revue des rapports médicaux : « développement typique de cette population ». J’ai appris depuis que toutes les patientes ont donné naissance à des nouveaux-nés normaux (Jones H, communication personnelle.) L’article ne révèle pas une possible prématurité, un syndrome d’abstinence, un quelconque mortalité, etc. Ce sont là des omissions fondamentales pour un article publié dans une revue à comité de lecture et une étude financée par le NIDA/NIH.
Alors que les auteurs spéculent sur les raisons de ces résultats, ils paraissent dans le même temps très évasifs sur leurs propres découvertes. De façon prévisible, chacune des 4 femmes enceintes enrôlées dans un protocole à risque (qui aurait dû être contre-indiqué selon toutes les recommandations cliniques), s’en est mal tirée. Alors que la morphine a semblé plutôt bien tolérée (comme cela aurait pu être prédit depuis les travaux de Fisher, 1999 *), chaque patiente, à son tour, a échoué dans son switch vers la buprénorphine et chacune d’elle a subi des troubles sérieux, mettant en danger sa vie et celle de son propre enfant. La buprénorphine n’est pas indiquée chez la femme enceinte, bien que de nombreux praticiens pensent aujourd’hui qu’elle pourrait constituer une alternative raisonnable à la méthadone dans certains cas.
(Ndlr : en France, la Bhd a eu une modification de l’AMM permettant son utilisation chez la femme enceinte).
Si l’on devait retenir un message de cette étude : les femmes enceintes ne devraient pas être enrôlées dans des essais de cette nature. Elles ont été sélectionnées pour la stabilisation obtenue sous méthadone, puis ont subi deux changements de thérapeutique, le second étant un agoniste partiel connu pour induire des arrêts de traitements chez certains patients.
On peut se demander sur quelles bases le comité de validation du Johns Hopkins Bayview Medical Center a-t-il autorisé la conduite d’étude aussi peu orthodoxe et potentiellement dangereuse en son sein.
L’abstract débute par une hypothèse que d’aucuns pourraient qualifier d’injustifiée : « le passage de la méthadone à la buprénorphine sans symptômes de manque est crucial pour faire avancer la prise en charge des patients dépendants aux opiacés. »
Crucial pour qui, est-on en mesure de se demander. Les auteurs déclarent que le but de l’essai était de « développer un protocole permettant la transition (sic) de la méthadone chez les femmes enceintes stabilisées vers la buprénorphine » Ils ne donnent pas les raisons d’un tel objectif. Une note de bas page mentionne que « Le Dr Johnson (un des co-auteurs de l’étude) est maintenant salarié de la firme Rickett (sic) -Benckiser, laboratoire commercialisant la buprénorphine aux USA ».
* : Fischer G, Jagsch R, Eder H, Gombas W, Etzersdorfer P, Schmidl-Mohl K, Schatten C, Weninger M, Aschauer HN. Comparison of methadone and slow-release morphine maintenance in pregnant addicts. Addiction (1999) 94(2) 231-239.