La rédaction remercie chaleureusement les auteurs, les Drs Laurent MICHEL et Betty BRAHMY ainsi que les Editions Heure De France de nous permettre de reproduire ici les pages consacrées aux Addictions aux substances psycho-actives autres que le tabac et l’alcool, extraites du « Guide de la pratique psychiatrique en milieu pénitentiaire ».
Cet ouvrage, le premier à traiter de façon aussi exhaustive ce sujet, décline plusieurs thèmes, qui vont des « Fondements de la psychiatrie pénitentiaire » à la « Clinique de la prise en charge des personnes détenues ». Il aborde autant les questions éthiques que la spécificité des interventions en milieu carcéral. Ses dernières pages regroupent les textes officiels fondateurs du soin en prison.
La trajectoire des usagers de drogues passant parfois par la ‘CASE PRISON’, la rédaction conseille ce livre à tous ses lecteurs, y compris ceux qui travaillent en milieu libre.
Nous nous sommes expliqués en fin du chapitre précédent sur notre décision de traiter cliniquement les conduites addictives en 3 chapitres différents. Ce choix repose sur l’historique des dispositifs de soin en addictologie et a pour objectif de faciliter la lisibilité d’une possible organisation des soins en prison pour des professionnels peu familiarisés avec les conduites addictives.
Dans les conduites addictives autres que celles liées à l’alcool et au tabac, nous incluons :
- les opiacés : l’usage d’héroïne, de tout dérivé opiacé et de dérivés morphiniques détournés de leur usage thérapeutique habituel (Néocodion®, Codoliprane®, Diantalvic®, méthadone, Subutex®, Moscontin®, Skénan®…) ;
- la cocaïne et le crack ;
- l’ecstasy et apparentés ;
- les autres produits de synthèse : speed, amphétamines, LSD, kétamine… ;
- les benzodiazépines détournées de leur usage thérapeutique habituel ;
- le cannabis.
Les produits
Le constat est inquiétant : on peut trouver les mêmes substances psycho-actives (illicites ou pas) en prison qu’à l’extérieur. Certes, les quantités sont moins importantes et il reste difficile d’entretenir une toxicomanie régulière à l’héroïne, à la cocaïne ou au crack en détention.
Les voies d’entrée sont multiples : balles de tennis évidées, remplies de produits et jetées par dessus les murs d’enceintes pour atterrir dans les cours de promenade, parloirs (rappelons qu’à raison de 4 ou 5 jours de parloirs par semaine dans un temps restreint et pour une population importante, il est quasi impossible de garantir une surveillance totale d’autant que toutes les caches restent possibles et notamment les plus intimes…), trafic parfois entretenu par des personnels exerçant dans la prison.
La prison n’est pas le lieu clos et étanche que l’on s’imagine de l’extérieur et tous les professionnels doivent jongler avec ce paradoxe : des détenus continuent à pouvoir s’intoxiquer en prison, ou même découvrent l’usage de stupéfiants, alors qu’ils sont incarcérés pour ce délit ou de petits trafics. Ce paradoxe a pour conséquence non négligeable de transformer la prison en un lieu à risque de transmission des infections virales puisque l’usage de drogues étant pénalisé, la prison ne peut officiellement admettre son existence dans ses murs et de ce fait réfute toute politique de réduction des risques réelle.
La place du cannabis est, à ce titre, très particulière, puisque l’on peut, sans trop s’avancer, dire qu’il est implicitement toléré. Des quantités considérables sont saisies et si les détenus pris en flagrant délit de détention de cannabis sont sanctionnés, il est devenu impossible d’empêcher sa consommation en détention. Tout comme pour les médicaments psychotropes (benzodiazépines en particulier), il existe une grande ambivalence de la part des personnels de surveillance mais aussi des divers intervenants à son sujet.
La banalisation croissante de sa consommation dans la population française, mais aussi sa capacité à maintenir l’homéostasie carcérale, par ses effets apaisants et anxiolytiques lénifiants (idem pour les benzodiazépines) l’expliquent en partie.
Il existe cependant des détenus se déclarant en difficulté avec le cannabis et venant consulter à ce titre dans les structures de soin.
Quelle est la proportion de détenus concernés par un usage de substances psycho-actives autre que l’alcool et le tabac à leur entrée en détention ?
Selon l’enquête DREES de 1997 (publiée en Janvier 1999) sur l’état de santé des détenus entrants, 33% déclarent un usage prolongé et régulier de drogues illicites pendant les 12 mois précédant l’incarcération, incluant dans :
- 25 %, des cas du cannabis,
- 14%, des cas d’héroïne, morphine ou autres opiacés,
- 8%, des cas de la cocaïne et le crack,
- 8%, des cas de médicaments
- et 15% des cas, une poly toxicomanie.
Il faut rajouter à ces chiffres les proportions de détenus n’ayant qu’un usage occasionnel de ces mêmes substances et l’on se rend alors compte de l’ampleur du problème.
On peut supposer une accentuation de ces chiffres du fait d’une sévérité accrue des instances judiciaires ces dernières années. La récente enquête épidémiologique effectuée conjointement par la Direction Générale de la Santé et l’Administration Pénitentiaire, dont les résultats n’ont été que partiellement rendus publics à ce jour, retrouve une dépendance à une substance illicite chez 38% des détenus rencontrés.
Le dépistage et l’entretien accueil arrivant
Nous l’avons vu dans le chapitre sur l’organisation des soins en addictologie, l’entretien accueil arrivant est un temps essentiel de prise de contact et de dépistage pendant l’incarcération. Malheureusement, en raison de la multiplicité des tâches et des interventions en un temps particulièrement réduit, ce ne sont que les informations considérées comme essentielles qui sont collectées. La recherche détaillée de consommation de toxiques n’en fait pas forcement partie. L’expérience montre cependant qu’un dépistage efficace doit être détaillé et ne pas se limiter à une question généraliste sur l’usage ou non de drogues.
La recherche doit porter sur :
- l’ensemble des toxiques
- les modes de prise
- leur ancienneté
- leur régularité
- les effets recherchés
- les produits associés…
Ce devrait être également l’occasion d’effectuer un travail de prévention minimum sur les risques de contaminations virales, même si aucune consommation n’est déclarée. Rappelons que de nombreux détenus restent méfiants vis à vis des dispositifs de soin ou préfèrent gérer par eux-mêmes leurs consommations ou leur sevrage. La prise de risque peut donc être présente même en l’absence de consommation déclarée et le message de prévention devrait logiquement s’adresser à tous les détenus entrants, de même que le dépistage des hépatites et du VIH.
Des séances d’information collectives destinées à l’ensemble des détenus entrants trouvent ici toute leur pertinence.
En l’absence de toute demande, la porte doit rester ouverte pour un éventuel contact ultérieur si un questionnement « émerge ».
Les stratégies de soin
L’incarcération n’est qu’une étape plus ou moins brève dans le parcours des patients présentant un abus ou une dépendance à une ou plusieurs substances psycho-actives. La place que les soins en milieu carcéral va prendre dans ce parcours va dépendre de différents facteurs : antécédents de prises en charge antérieures, prise en charge actuelle en milieu ouvert, type d’addiction, niveau d’investissement d’une démarche de soins, comorbidités associées.
L’incarcération est souvent l’occasion d’une rencontre avec le soin, même si elle n’est pas choisie. Il sera donc essentiel de faciliter cette démarche et d’adapter la stratégie de prise en charge au niveau de motivation du patient. Ceci peut aller de l’information la plus élémentaire avec remise de brochure à une prise en charge pluridisciplinaire structurée et coordonnée avec projet accompagné d’aménagement de peine.
De manière globale :
- Les soins préexistants doivent être maintenus (hormis aberrations en termes de molécules, posologies, associations de molécules), au moins initialement, avant éventuel réajustement si une évaluation addictologique le suggère.
- En l’absence de soins antérieurs, proposer d’initier une prise en charge pendant l’incarcération.
- La préparation à la sortie est, dans tous les cas, essentielle, faisant partie intégrante du soin proprement dit.
- Pour les détenus incarcérés en raison d’une infraction directement liée aux stupéfiants et/ou l’alcool (usage ou détention de stupéfiants, conduite en état d’alcoolisation ou sous l’emprise d’autres toxiques) et faisant l’objet d’une obligation de soins, il faut rappeler qu’aucun soin ne peut être contraint en milieu carcéral (hormis peut-être dans le cadre de la loi de 1998 sur les auteurs d’agressions sexuelles). Cependant, les aménagements de peines sont fréquemment conditionnés par l’initiation de soins en milieu carcéral et il est de toute façon légitime et pertinent d’essayer d’instaurer une relation thérapeutique malgré un éventuel déni ou une réticence initiale. La preuve n’est plus à faire des réels investissements thérapeutiques obtenus chez de nombreux patients n’ayant souvent jamais accédé aux soins auparavant.
La prise en charge médicale
Elle dépendra bien entendu du toxique concerné.
Pour les dépendances exclusives ou prédominantes aux opiacés, l’alternative existera entre traitement de substitution et sevrage.
Pour les autres substances (cocaïne, crack, produits de synthèse, cannabis…) ou lors de polyusages, seul le sevrage est envisageable.
Lors d’abus ou dépendances aux psychotropes (BZD essentiellement) le plus souvent associés à d’autres toxiques, la démarche est plus complexe en raison de la banalisation de leur prescription en pratique médicale courante et de l’ambivalence des intervenants vis à vis des bénéfices en terme de paix carcérale qu’ils permettent (de même pour le cannabis).
Sevrage ou substitution ?
La question ne se pose bien évidemment pas dans ces termes et pour plusieurs raisons.
Les traitements de substitution ne s’adressent qu’aux dépendances majeures aux opiacés. Lors de consommations de cocaïne, crack, ecstasy ou autres drogues de synthèse, cannabis et
LSD : la prise en charge débutera par un accompagnement plus ou moins médicalisé selon le toxique du sevrage imposé (théoriquement) par la perte d’approvisionnement en détention.
Sevrage
Les modalités de prise en charge du sevrage diffèrent peu de celles d’un sevrage classique en milieu ouvert. On veillera cependant à ne pas remplacer une dépendance à un toxique par une dépendance à un traitement psychotrope (en particulier BZD). La prescription de psychotropes et antalgiques doit être cessée dès qu’elle n’est plus strictement justifiée d’un point de vue médical et de toute façon très régulièrement réévaluée. Le fait que le patient soit sevré « de fait » par son incarcération, sans travail motivationnel préalable ou volonté exprimée de sa part, ne justifie pas que l’on « substitue » la prise de toxique par celle de psychotropes en prison.
En cas de prescriptions initiales importantes ou de syndromes de sevrage sévères (manifestations physiques ou psychiques), une délivrance quotidienne des traitements dans le lieu de soin permettra une évaluation clinique infirmière quotidienne et d’éviter les prises compulsives de traitements pour plusieurs jours, quitte à ce qu’une évaluation médicale rapprochée soit proposée dans un premier temps. La présence de troubles de l’humeur lors des premiers jours ou semaines est fréquente (en particulier lors d’usage de cocaïne ou de crack) et ne justifie pas une prescription immédiate d’antidépresseurs.
Les symptômes de sevrage pour les produits autres que les opiacés ou les BZD sont avant tout psychiques, associant anxiété, irritabilité et parfois agressivité avec des manifestations comportementales variables selon le toxique et le profil psychologique du patient. Leur gestion reposera sur la prescription temporaire de benzodiazépines si possible à durée d’action longue (clonazépam, 2 à 4 cps par jour puis rapidement régressif, ou diazépam, 15 à 40 mg par jour également rapidement régressif) et/ou cyamémazine (Tercian®, sans risque de tolérance ou de dépendance).
Lorsqu’il s’agit de BZD, les risques associés à un sevrage brutal (comitialité, rebond anxieux majeur…) imposent une diminution progressive. La posologie de départ et le rythme de décroissance dépendront de l’ancienneté de l’intoxication, des quantités habituellement ingérées, des autres toxiques associés et bien sûr du terrain psychiatrique sous-jacent.
Une molécule type clonazépam (Rivotril®) présente à ce titre de nombreux avantages :
- l’effet pic est moins important que pour de nombreuses autres molécules BZD
- la durée d’action met à l’abri d’un sevrage aigu en cas de rupture thérapeutique brutale (transfert, libération, racket, troc du traitement…)
- l’action anti-comitiale prononcée est bien entendu ici intéressante.
Les posologies initiales oscilleront entre 4 et 12 mg par jour pour aboutir au sevrage complet sauf si un trouble psychiatrique sous-jacent justifie le maintien d’un traitement anxiolytique (on tentera alors de substituer une molécule non BZD ayant un pouvoir addictogène moins important : cyamémazine, antidépresseurs à activité anxiolytique, antihistaminiques…).
Dans le cas d’opiacés, si le syndrome de sevrage ne compromet jamais le pronostic vital, il peut être extrêmement violent, spectaculaire et douloureux pour le patient. Il justifie une venue quotidienne au lieu de soin pour évaluation infirmière et délivrance du traitement, et si besoin, consultation médicale.
Le traitement de sevrage associe classiquement :
- BZD type clonazépam ou diazépam et/ou cyamémazine
- Myorelaxant type Myolastan®, sachant cependant qu’il s’agit également d’une BZD, 3 à 5 cps par jour
- Spasmolytique type Spasfon®, 4 à 6 cps par jour
- Antalgiques (Antalvic® ou Diantalvic®, 4 à 8 géls par jour)
- Antidiarrhéïque (Imodium®)
- Hypnotique (Théralène cp 5 mg, de 4 à…10 cps par jour).
Si les posologies gagnent à être à dose suffisante au début, elles doivent être diminuées dès que possible. Lors d’un arrêt d’héroïne, le syndrome de sevrage est maximum en 2 à 3 jours et totalement résolutif en 1 semaine. Ce sera bien évidemment un peu plus long en cas de prise de Codéïne® ou autres dérivés morphiniques type Skénan® ou Moscontin®, méthadone et surtout Subutex® (parfois à son maximum après 5-6 jours et résolutif seulement après 10 à 15 jours).
L’usage de clonidine (Catapressan®), utile en milieu ouvert pour atténuer l’hyperadrénergie consécutive au sevrage opiacé, est délicat en milieu carcéral en raison de son action hypotensive. Rappelons que les équipes de soins quittent l’établissement dès 17 ou 18 heures et que la surveillance tensionnelle associée à la délivrance fractionnée (1/2 cp toutes les 4 à 6 heures) du traitement ne peut être assurée jusqu’au lendemain matin et parfois 2 jours après quand il s’agit d’une fin de semaine.
Substitution
Les thérapeutiques de substitution s’adressent aux dépendances majeures aux opiacés. Ontelles en prison une place différente qu’en milieu libre et pourquoi ?
Il n’y a strictement aucune justification médicale à cesser un traitement par BHD ou méthadone en prison (ce peut être considéré comme une faute déontologiquement parlant). La dépendance ne s’arrête pas à l’entrée de la prison et nous avons vu que de nombreux produits circulent en détention. Un patient dont le traitement aura été arrêté, plus ou moins contre son gré, sera dans un état de déstabilisation propice à la reprise de toxiques et surtout à des prises de risques considérables. La difficulté à authentifier un traitement antérieur ou un mésusage évident peut influer sur la décision de sa pérennisation. Seule l’évaluation clinique prime et si celle-ci semble indiquer l’existence d’un parcours toxicomaniaque, la reconduction d’un traitement de substitution sera envisagée comme une primo-prescription avec l’accompagnement médical et éducatif en découlant.
En ce qui concerne la primo-prescription de BHD ou méthadone pendant l’incarcération, là encore, les indications sont les mêmes qu’en milieu libre avec de plus des arguments en faveur d’une initiation large :
- les détenus n’ont pas choisi d’être incarcérés et donc d’être sevrés, il ne s’agit pas d’une démarche volontaire et donc l’alternative devrait être offerte
- d’autant que personne ne peut garantir aux détenus qu’ils ne seront pas confrontés à des stupéfiants en prison
- beaucoup entrent en contact pour la première fois avec le système de soin en prison et ne seront pas forcément dans une logique d’insertion dans un processus de soin structuré initialement
- la substitution représente le principal outil de réduction des risques en détention, à la différence du milieu ouvert ou le soutien associatif est plus important et où des dispositifs bas seuil et d’échange de seringue sont accessibles,
- il faut enfin également envisager les soins en fonction de la sortie : les patients sevrés malgré eux (mais aussi beaucoup de ceux sevrés de leur plein grè) reconsommeront dès la sortie, s’exposant au risque d’overdose et à un retour en arrière dans leur histoire addictologique.
En établissement pour peine, en particulier en Centrale, la question de l’initiation d’un traitement de substitution peut faire débat. La perspective d’une longue peine et la mise à distance des drogues de « rue » peuvent plaider pour une prudence compréhensible.
Cependant, les murs de la prison ne sont pas aussi étanches que l’on pourrait le souhaiter, même en Centrale, et de nombreuses conduites addictives dérivées peuvent se pérenniser (psychotropes, antalgiques…). Rappelons que dans l’enquête (1) effectuée dans 22 établissements pénitentiaires en 2002-2003, des preuves directes de pratiques d’injections étaient mentionnées par les équipes sanitaires dans 4 des 6 établissements pour peine visités.
Les critères orientant vers le choix d’un traitement par BHD ou méthadone sont les mêmes qu’au dehors, fortement conditionnés par leur cadre de prescription respectifs (soutien plus important mais dans un cadre plus contraint avec la méthadone).
L’existence d’une comorbidité psychiatrique, d’une affection somatique sévère, d’un mésusage de BHD ou de consommations anarchiques de toxiques associés à une posologie suffisante de BHD orienteront vers un traitement par méthadone.
Quelle que soit la molécule et avant même l’initiation de la prescription, les personnes relais (médecins, CSST, pharmacies…) doivent être identifiées et seront contactées (si possible rencontrées) pendant l’incarcération afin de garantir la cohérence et la réalité du suivi ultérieur.
Le risque d’overdose associé à la méthadone (1 mg/kg/jour constitue une dose létale pour un sujet non tolérant aux opiacés alors qu’elle représente une dose de stabilisation minimale pour un patient dépendant aux opiacés), surtout en début de traitement, paraît imposer une délivrance quotidienne devant soignant tous les jours de la semaine, que ce soit en cellule ou en lieu de soin.
Pour la BHD, et en raison de la proportion de détenus substitués, il est inenvisageable, et de toute façon peu souhaitable, d’effectuer une délivrance quotidienne et contrôlée du traitement.
Mieux vaut banaliser la délivrance en détention et pour plusieurs jours pour la majorité des détenus, et permettre ainsi l’individualisation de la délivrance pour ceux en début de traitement, mésusant le traitement, faisant l’objet de racket ou pressions, ou soupçonnés de trafic. Cette banalisation de la délivrance permettra également d’éviter la stigmatisation de ceux venant quotidiennement dans le même lieu de soin, aux mêmes horaires, de toute évidence pour chercher ce traitement. Beaucoup de détenus rendent cette délivrance quotidienne responsable de leur identification péjorative comme « toxico » dans la prison avec ce que cela signifie de ségrégation, pressions, menaces et racket des traitements, sans compter la réticence à leur attribuer un emploi dans la prison (comme toxicomane mais aussi car la venue quotidienne en lieu de soin est peu compatible avec le travail aux ateliers).
La conduite du traitement implique une coordination des structures sanitaires en présence (UCSA, SMPR, CSST) afin que des prescriptions médicales connexes (notamment de psychotropes sédatifs ou de thérapeutiques modifiant le métabolisme des traitements de substitution) ne puissent interférer avec ces thérapeutiques. De plus, un bilan hépatique initial pour la BHD et un ECG préalable pour la méthadone (allongement du QT) paraissent à ce jour souhaitables.
En cas d’extraction, et lorsque les horaires d’ouverture des structures de soin le permettent, le traitement peut être remis le matin même. Cependant, en raison du caractère aléatoire fréquent de ces extractions, il est préférable de remettre le traitement par BHD la veille au soir si la délivrance est quotidienne, et de laisser le traitement par méthadone dans une enveloppe cachetée au nom du patient au greffe.
Lors de la libération, notamment en fin de semaine, il paraît souhaitable de pouvoir confier au patient le traitement pour 2 ou 3 jours ainsi qu’une prescription de courte durée, le temps que le patient établisse sereinement les contacts nécessaires à une continuité des soins.
Un coup de fil à la structure relais et le fax de la dernière prescription permettent de confirmer les prescriptions.
Les co-prescriptions de psychotropes, de BZD en particulier, doivent être évitées ou réduites au strict nécessaire si elles s’avèrent nécessaires après évaluation psychiatrique (risque de dépendance associée, de potentialisation réciproque parfois létale en cas de doses excessives).
Les contrôles urinaires, s’ils sont utiles pour authentifier et une dépendance aux opiacés et une prise de traitement de substitution lors de l’incarcération, trouvent moins leur utilité qu’en milieu ouvert et doivent garder leur place d’outil « relationnel » plus que de contrôle et sanction.
Prise en charge globale
L’incarcération est un temps privilégié de bilan pluridisciplinaire, à la fois médical (évaluation des comorbidités : psychiatriques, infectieuses comme le VIH et les hépatites…), social (hébergement, droits sociaux, statut professionnel, situation administrative…) et psychologique (environnement affectif, isolement relationnel, besoin d’étayage…).
La prise en charge devra intégrer l’ensemble de ces dimensions dès que possible et permettre la mise en place des relais nécessaires à ce que l’une ou l’autre dimension n’annule pas à la sortie la continuité du projet.
Les prises en charges psychothérapiques individuelles trouvent rapidement leurs limites dans un environnement rendant le travail dans la durée précaire et parfois peu souhaitable, les détenus renforçant souvent leurs défenses en raison de l’âpreté du milieu. De plus, et peut être encore plus qu’au dehors, leur fragilité de personnalité rend la gestion de toute situation thérapeutique duelle délicate.
Les prises en charge collectives ou utilisant diverses médiations (sport, relaxation…) ont ici leur utilité.
Les thérapies cognitivo-comportementales, ciblées, de durée brève et plus axées sur le « comment » que sur le « pourquoi », doivent être développées en milieu carcéral (entretiens motivationnels, travail sur la prévention de la rechute…).
Préparation à la sortie
Comme nous l’avons vu dans le chapitre consacré aux aspects généraux de la prise en charge des conduites addictives, la venue en détention des partenaires sociaux (CPAM, Structures de réinsertion, organismes habilités à instruire les dossiers RMI, mission locales…) et sanitaires (CCAA, CSST, Groupes d’auto-support, voir secteurs de psychiatrie…) est la meilleure garantie d’une cohérence et de la réalité d’une prise en charge ultérieure.
Ce peut être sous la forme de sessions collectives régulières de préparation à la sortie, de participation aux sessions annuelles des établissements dotés de quartiers intermédiaires sortants (QIS), d’antennes d’alcoologie…
Nous avons abordé ces dispositifs dans le chapitre précédant portant sur « l’organisation des soins en addictologie » et au chapitre portant sur la « préparation à la sortie ».
Soulignons l’intérêt d’assurer aux patients traités par BHD une gratuité des soins effective dès la sortie afin d’éviter le retour à des circuits d’approvisionnement parallèles parfois moins chers que le simple ticket modérateur (si les détenus restent bénéficiaires pendant un an d’une Sécurité Sociale à compter de leur sortie, les démarches en vue de l’obtention d’une CMU permettant la prise en charge du ticket modérateur peuvent prendre plusieurs semaines).
L’expérience montre que des accords locaux avec la CPAM peuvent permettre de faire débuter la CMU dès le jour de libération du détenu.
Note
- (1) L. MICHEL et O. MAGUET, « L’organisation des soins en matière de traitements de substitution en milieu carcéral », rapport pour la Commission Nationale Consultative des Traitements de Substitution, 2003