Introduction
Notre établissement est situé en Centre Bretagne et couvre le secteur sanitaire 08 sur les départements 22 et 56, qui est constitué de deux secteurs de psychiatrie adulte, un secteur de pédo-psychiatrie et un service intersectoriel d’addictologie. Ce service intersectoriel d’addictologie comprend une unité d’hospitalisation de 24 lits et trois Centres MédicoPsychologiques Spécialisés en Addictologie répartis sur tout le territoire (Rostrenen, Loudéac et Pontivy).
Le secteur sanitaire 08 compte 130 073 habitants selon le recensement INSEE. Les « Centres Méthadone » les plus proches sont Saint-Brieuc (situé à 55 km de Plouguernével) et Lorient (situé à 80 km de Plouguernével). Il n’existe pas de transport en commun possible.
C’est une région rurale mais qui, du fait de ses importantes industries agro-alimentaires, attire une population jeune et venant de régions soumises à un important chômage (le nord de la France, la région parisienne et l’Europe Centrale).
On y retrouve un certain nombre de personnes dépendantes aux opiacés. De plus, l’héroïne est devenue accessible même en milieu rural (festivals, étudiants revenant le week-end).
En France, depuis la circulaire DGS/DHOS n°2002/57 du 30 janvier 2002, la prescription initiale de la Méthadone est réservée aux Centres Spécialisés de Soins en Toxicomanie (C.S.S.T.) et aux médecins exerçant en établissement de santé, pour le traitement substitutif des pharmacodépendances majeures aux opiacés. Depuis cette circulaire, les praticiens hospitaliers ont la possibilité d’initialiser un traitement de substitution par Méthadone qui était jusque là réservé aux Centres Spécialisés de Soins en Toxicomanie.
Législation
La législation est importante et cadrante (circulaire DGS/DHOS n°2002/57 du 30 janvier 2002) pour la mise en place et le suivi de ce traitement.
Les médecins généralistes déjà rares en milieu rural confrontés à cette demande sont souvent démunis et nous sollicitent beaucoup.
Nous assistons à une demande en augmentation de ce type de traitement.
Notre établissement devant être audité dans le cadre de la V2, nous avons choisi de mettre en place comme Evaluation des Pratiques Professionnelles, la « Pertinence de la Prise en Charge d’un Programme de Substitution à la méthadone en Addictologie ».
Mise en place du traitement
A l’issue de l’Evaluation des Pratiques Professionnelles, nous avons mis en place un protocole de substitution à la méthadone avec un dossier spécifique de prise en charge.
Ce dossier est constitué de :
- Une notice d’information, fournie par le laboratoire qui produit la méthadone, à remettre au patient (Votre traitement par la méthadone en 14 points).
- Une grille des résultats des tests urinaires qui permet un suivi au cours, avant et après l’initialisation de la substitution.
- Une fiche d’évaluation bénéfices/risques.
- Un contrat d’engagement à un programme de substitution aux opiacés.
- L’électrocardiogramme.
- Le bilan sanguin
Constats
Il nous a fallu plusieurs mois pour mettre en place les différents éléments du dossier spécifique et nous avons actuellement un recul de 18 mois sur la pratique de ce dossier.
Relations avec les médecins et pharmaciens
Nous avons expédié à tous les médecins généralistes du secteur que nous couvrons, un courrier pour les informer de la mise en place du protocole afin de prendre en charge les patients héroïnomanes ainsi que les lieux et horaires d’ouverture de nos structures.
L’accueil a été très favorable et nous avons reçu des demandes plus précocement.
De même au niveau des disponibilités, les médecins généralistes se sentaient soutenus par notre appui et notre dispositif. Nous avons eu également des contacts avec les autres CSST/CSAPA de la région pour des patients qui déménageaient et qui étaient amenés à travailler sur Loudéac. Le relais a pu se faire plus facilement.
Toutes les pharmacies du secteur ont également reçu un courrier les informant de notre protocole ainsi que les lieux et horaires d’ouverture de nos structures.
La collaboration a été très satisfaisante avec les pharmaciens dans la mesure où ils étaient rassurés par rapport aux prescriptions régulières avec surtout un interlocuteur présent, disponible par exemple quand se posait le problème avec certains sujets qui venaient chercher leur traitement plus tôt que programmé pour diverses raisons.
Lorsque l’état d’un patient se stabilise, une ordonnance d’habilitation est transmise au nouveau médecin prescripteur (souvent le médecin de ville). Nous proposons de revoir les patients une fois tous les six mois dans un but de réassurance au niveau du médecin généraliste et pour réadapter le traitement si nécessaire.
Tous les pharmaciens sont eux aussi informés du relais avec le médecin de ville.
Les Centres Médicaux Psychologiques Spécialisés sont bien répartis sur le territoire : les suivis sont effectués sans trop de difficultés de déplacement. Des transports ruraux à la demande ont été mis en place par les collectivités territoriales ; cela facilite l’accès aux soins de nos patients.
Dosages et place respective des deux traitements
Lorsque nous avons commencé début 2008, 45 patients étaient sous méthadone et 5 patients sous buprénorphine.
L’évolution s’est faite vers une augmentation progressive de la prescription de méthadone. Les patients étaient plus satisfaits d’avoir de la méthadone au niveau de la perception du traitement. Au niveau du trafic, c’était plus rassurant pour tous. A la fin de l’année 2009,
60 patients étaient sous méthadone et 2 sous buprénorphine
Les grilles d’évaluation nous ont permis d’atteindre plus rapidement la posologie définitive en atteignant en sept jours maximum la posologie qui sera par la suite prescrite avec parfois quelques ajustements.
Concernant le traitement par la méthadone, nous demandons d’abord un test positif aux opiacés pour en confirmer la prise récente et affiner le diagnostic de dépendance. En cas de traitement préalable par la buprénorphine et donc de test négatif aux opiacés, si la prise de buprénorphine est établie, nous posons quand même l’indication.
Nous commençons le traitement par une posologie moyenne allant de 20 à 30 mg de méthadone, délivrée de manière quotidienne et qui augmente de 10 mg tous les deux jours (en accord avec la pharmacie et nécessitant de ce fait une ordonnance sécurisée pour 2 jours à chaque fois). Cela se fait avec surveillance constante des grilles d’auto-évaluation et d’évaluation par le soignant jusqu’à obtenir une posologie optimale strictement individualisée, dans une fourchette très large. La délivrance se fait soit de manière quotidienne suivant le profil du patient (comorbidité psychiatrique associée) sur quelques semaines où, dès le départ, de manière hebdomadaire ou tous les 14 jours.
A 18 mois de recul, nous avons constaté que ces posologies pouvaient être diminuées dans les 6 mois suivants la prescription initiale de 10 à 15 mg.
Comorbidités
Notre dossier a été axé sur la recherche de contre-indications à la prescription de la méthadone qui sont :
- Age inférieur à 15 ans.
- Insuffisance respiratoire grave.
- Hypersensibilité à la méthadone.
- Traitement concomitant par un agoniste-antagoniste morphinique ou par sultopride.
De même, qu’une pathologie cardiaque évoluée fait partie des contre-indications relatives.
Dans notre expérience, nous n’avons pas trouvé de contre-indications majeures mais des pathologies cardiaques variées ont été mises en évidence de type bloc de branche et troubles du rythme cardiaque mineurs qui, à chaque fois, après avis cardiologique, n’ont pas été retenues comme contre-indication.
Le bilan sanguin prescrit au départ (qui nous a causé beaucoup de problèmes car les patients étant souvent dans des difficultés sociales et financières importantes), n’était souvent fait que tardivement de l’ordre de 1 à 3 mois après la prescription initiale de la méthadone.
Nous n’avons trouvé aucune pathologie inconnue du patient de type hépatite, HIV, diabète.
Les patients étaient souvent déjà informés de leur statut sérologique vis à vis des virus souvent retrouvés chez les héroïnomanes.
Cependant, nous restons vigilants en particulier avec ceux qui sont négatifs. Un bilan sérologique annuel leur est prescrit ainsi qu’à tout patient en faisant la demande.
Par contre, sur le plan psychiatrique, plusieurs types de comorbidités ont été retrouvés :
- 3 psychoses de type schizophrénique.
- des états dépressifs
- 2 dépendances éthyliques ayant nécessité une hospitalisation.
Ces comorbidités nous ont obligé à adapter la délivrance du traitement du fait des risques associés (risque d’utilisation dans un but d’autolyse chez les dépressifs ou de mauvaise utilisation chez un psychotique décompensé). Dans tous les cas, la mise en évidence d’une pathologie non équilibrée nous a amené à différer la mise en place d’un traitement de substitution jusqu’à ce qu’un traitement psychiatrique adapté (pharmacologique et/ou psychothérapique) ait permis l’apaisement de la symptomatologie.
Conclusion
Depuis le démarrage du protocole, nous avons donc 18 mois de recul (au moment de le rédaction de cet article).
Nous savons qu’actuellement 25 patients ont bénéficié du protocole dont 12 avec un relais chez un médecin généraliste.
La demande est actuellement de 1 à 2 nouveaux cas par mois.
Les problèmes à résoudre sont :
- Le problème d’horaire des consultations ainsi que les heures d’ouverture des pharmaciens notamment pour les personnes qui travaillent.
- Le bilan biologique coûte un certain prix et tous n’ont pas les moyens. Ils sont obligés d’attendre mais nous avons un projet d’Hôpital de Jour qui va nous permettre de résoudre le problème.
- Le problème du transport qui reste encore à être organisé sur certains secteurs.
Nous notons une satisfaction de nos partenaires avec lesquels nous avons pu échanger et la promotion de notre service se fait aussi entre patients.
Sur la période donnée, tous les patients ayant fait la demande ont été inclus. Nous n’avons pas eu de refus de cadre, ni de contre-indication médicale et la dépendance était avérée dans tous les cas.
Il y a un délai moyen d’une dizaine de jours entre le moment où le patient se présente dans le service et la mise effective sous traitement.