Résumé
Cette recherche, dont les données proviennent d’études de cohorte réalisées à Amsterdam, s’est fixée pour objectif d’évaluer l’impact des programmes de réduction des risques liés à la contamination par les virus du sida et de l’hépatite C chez les usagers de drogue ayant des pratiques d’injection.
Les données de 714 sujets non contaminés mais présentant des risques ont été recueillies puis traitées en utilisant l’analyse de régression de Poisson.
Les auteurs ont étudié cinq catégories de sujets, allant de l’absence de participation à un programme de réduction des risques (ni traitement par méthadone, ni recours aux échanges de seringues) à une pleine participation (associant une posologie d’au moins 60 mg de méthadone par jour et une absence de pratique d’injection ou des injecteurs utilisant uniquement des seringues stériles fournies par les dispositifs d’échanges).
Ils ont mis en évidence une diminution des risques de contamination par le virus du sida ou de l’hépatite C lorsque les sujets participaient pleinement au programme de réduction des risques, c’est-à-dire, PES + méthadone > à 60 mg/jour).
Introduction
Les auteurs commencent par rappeler que les usagers de drogue ayant des pratiques d’injection présentent des risques élevés de contamination par le virus du sida ou de l’hépatite C, du fait du partage de matériel contaminé. Face à ces risques, il existe différentes approches selon les pays : de l’interdiction totale des drogues aux programmes de réduction des risques, programmes notamment mis en œuvre aux Pays-Bas depuis la fin des années 70.
Les auteurs soulignent que l’objectif premier de ces programmes est de limiter les conséquences personnelles et sociales dommageables même si, à terme, ils visent à favoriser l’arrêt de la consommation de drogue. Ces programmes fournissent aux usagers un traitement par méthadone, un suivi médico-social ainsi que l’accès à des dispositifs d’échanges de seringues.
Plusieurs sortes de programmes de réduction des risques existent, notamment les programmes à bas et à moyen-seuil, dont les modalités sont souples.
Aux Pays-Bas, ces programmes sont gratuits et on estime que 2 700 des 3 500 à 4 000 consommateurs d’opiacés d’Amsterdam y ont eu recours.
Cependant, leur efficacité globale en termes de réduction des risques de contamination n’avait été que très peu étudiée. Notamment, les différentes stratégies possibles (PES, TSO, PES + TSO selon les posologies utilisées, pas de PES ni TSO) n’avaient jamais fait l’objet d’une comparaison de leur impact sur les séroconversions.
Matériel et méthodes
Les auteurs précisent qu’il s’agit d’une étude prospective (débutée en 1985) destinée à évaluer, pour plusieurs maladies transmises par contact sexuel ou sanguin, la prévalence, l’incidence, les facteurs de risques et l’efficacité des moyens mis en œuvre.
En début d’étude et lors de chaque palier, les participants ont passé un test de dépistage du VIH et répondu à un questionnaire portant sur leurs caractéristiques socio-démographiques, leur santé et leurs éventuels usages de drogue et comportements sexuels à risques. Des tests de dépistage du virus de l’hépatite C (VHC) ont également été effectués.
Les chercheurs ont déterminé, le cas échéant, la date de séroconversion pour le VIH ou le VHC.
Ils ont également eu recours à l’analyse de régression de Poisson afin d’évaluer l’impact du programme de réduction des risques sur la prévention des contaminations, et utilisé différents outils statistiques afin d’éliminer de possibles biais. Ils ont par ailleurs déterminé la posologie minimum de méthadone (60 mg) permettant de considérer le sujet comme adéquatement traité.
Outre les caractéristiques individuelles (sexe, âge, nationalité), ils ont analysé l’incidence du statut sérologique de chaque sujet (VIH, VHC) et de leur partenaire (VHC) en cas de relation stable. Ils ont également étudié d’autres variables comme l’absence de logement, la situation d’hospitalisation et bien entendu la consommation de drogue (pratiques d’injection…).
Résultats
Sur 952 usagers disant avoir des pratiques d’injection, 714 étaient séronégatifs pour le VIH et/ou le VHC en début d’étude (22,9% étant négatifs pour les deux infections et plus des troisquarts n’étant positifs qu’au VHC). Sur 710 sujets risquant de contracter le VIH et 168 sujets à risques pour le VHC, respectivement 90 et 58 sujets ont effectivement été contaminés.
La durée médiane de séroconversion a été de quatre mois pour chacune de ces infections.
Bien qu’ils aient observé une association entre prescription de méthadone et diminution des taux d’incidence pour le VIH et le VHC, les auteurs n’ont pas mis en évidence de réduction significative des risques lorsqu’une seule mesure était mise en place (traitement par méthadone ou recours aux échanges de seringues). En revanche, la combinaison de ces deux moyens a été associée, à une réduction considérable des risques de contamination. Ainsi, ils sont deux à 3 fois moindres pour le VIH et 6 à 7 fois pour le VHC.
Discussion
Les auteurs concluent que la combinaison entre traitement adéquat par méthadone (> à 60 mg/jour) et recours aux dispositifs d’échanges de seringues a contribué à réduire considérablement les risques de contamination par le VIH et le VHC à Amsterdam.
Ils précisent que cette réduction n’a pas concerné davantage les contaminations liées au VHC qu’au VIH, probablement parce que de tels programmes travaillent également à la prévention des conduites sexuelles à risques, plus susceptibles de propager le sida que l’hépatite C.
Ils précisent cependant que l’évaluation de l’efficacité des programmes de réduction des risques est loin d’être chose aisée, et que leur étude présente plusieurs avantages dont celui d’avoir été conduite sur une longue période, et d’être aujourd’hui difficilement reproductible.
Ils reviennent enfin sur le résultat majeur de leur étude, la réduction des risques de séroconversion grâce à l’association du traitement par la méthadone et des programmes d’échanges de seringues.
Ils préconisent d’adopter une telle stratégie thérapeutique, en y adjoignant si possible une suivi médico-social. Ils recommandent notamment une telle approche pour faire face à la multiplication des cas de contamination chez les usagers de drogue, notamment dans les pays concernés depuis peu (Europe de l’Est, Asie).
Une étude comme celle-ci n’est plus possible aujourd’hui, sauf à attendre 20 ans pour en avoir les résultats et à mettre en place des stratégies thérapeutiques dont on sait par avance qu’elles sont inefficaces (échange de seringues seul, programme méthadone < à 60 mg/jour).
Les données qu’elle apporte, conjuguées à celles dont on dispose déjà (études de Dolan, Metzger…) devraient inciter les pouvoirs publics et les professionnels du soin à mettre en place les conditions optimales d’efficacité sur la séroconversion au VHC (et au VIH), à savoir l’association d’un traitement adéquat par la méthadone et d’un programme d’échanges de seringues, notamment pour les usagers de drogues non séroconvertis au VHC