Praticiens dans un cabinet de médecine générale, nous recevons des patients dépendants des opiacés depuis une trentaine d’années.
Il parait de plus en plus évident ces dernières années qu’il existe un écart de traitement entre les patients sous TSO (1) traités depuis plusieurs années (pour certains depuis l’AMM de 1995 pour la méthadone et la buprénorphine) et les patients traités par d’autres traitements dits chroniques.
En effet, après plus de 15 ans de traitement, cumulés parfois à autant d’années voire plus d’usage de drogues, les patients peuvent être considérés comme des malades chroniques pour qui le médicament de substitution opiacée (MSO) quotidien s’inscrit dans leur vie au même titre que le traitement quotidien d’un patient diabétique et/ou hypertendu.
Alors qu’après une période d’équilibrage tensionnel ou glycémique, qui peut durer quelques semaines, les patients se voient rapidement prescrire des traitements médicaux mensuels voire trimestriels ou semestriels… les patients sous TSO sont tous astreints à venir consulter tous les 28 jours pour ceux sous buprénorphine haut dosage et tous les 14 jours pour ceux sous méthadone, et ce après parfois plus de 10 ans de médication quotidienne !
La législation, certes très adaptée pour les initiations de traitement et les équilibrages de posologie, ne prend pas en compte le cas de ces patients traités et équilibrés depuis de nombreuses années et pour qui le TSO s’inscrit dans une durée difficile à évaluer mais éminemment à long terme…Il s’agit alors de patients qui ne correspondent plus aux exigences de sécurité sanitaire des phases initiales du traitement.
Pour la majorité d’entre eux, ils travaillent, ont des obligations familiales ou professionnelles et trouvent certainement discriminant de venir tous les 14 jours chercher une ordonnance chez le médecin puis une délivrance chez le pharmacien.
Ces dernières années, l’apparition dans la pharmacopée de la forme gélules de la méthadone a permis une réelle modification du confort de traitement pour certains patients.
Ne faut-il pas aller un peu plus loin et proposer un éventuel aménagement de la durée de prescription pour les patients bien équilibrés et traités depuis plusieurs années, aménagement qui pourrait être individualisé par le biais du protocole de soins, obligatoire en cas de prescription des gélules de méthadone, avec l’accord du médecin de la caisse primaire d’assurance maladie ?
Pour rappel, la circulaire du 31 mars 1995 définissait les objectifs du traitement de substitution comme :
- l’insertion dans un processus thérapeutique facilitant le suivi médical d’éventuelles pathologies associées à la toxicomanie d’ordre somatique ou psychiatrique,
- une réduction de la consommation de drogues issues du marché illicite et un moindre recours à la voie injectable,
- la notion de réduction de la consommation est invoquée pour la méthadone alors que pour la buprénorphine c’est de l‘arrêt de la consommation dont on parle. Ce qui a fait qu’une des questions mal définies au départ a consisté à conserver des objectifs peu clairs : réduction, sevrage et abstinence sont souvent confondus dans les objectifs thérapeutiques,
- une amélioration de l’insertion sociale des patients.
La prise en soin de patients héroïnomanes et l’instauration de traitements de substitution sont récentes comparativement à d’autres champs de la santé. Même si initialement les TSO étaient destinés à être transitoires, force est de constater que, dans de nombreux cas, le traitement s’inscrit dans une chronicité qu’il s’agit d’estimer.
L’objectif du TSO n’est fort heureusement plus le sevrage à tout prix, mais bien le traitement d’une maladie, ou en tout cas d’un symptôme, et il arrive fréquemment que les objectifs initiaux de la circulaire du 31 mars 1995 soient respectés et adaptés sans pour autant que le traitement ne soit abandonné.
Ainsi une harmonisation de la durée de prescription des traitements de substitution sur 28 jours permettrait sans conteste d’améliorer la qualité de vie des patients traités depuis de nombreuses années par méthadone sans pour autant contester la nécessité d’une limitation de durée et d’un fractionnement du traitement dans les premiers temps de la prise en charge.
Cet aménagement législatif a déjà été suggéré dans un rapport de l’Académie nationale de Pharmacie lors de « Bilan des politiques publiques en matière de substitution aux opiacés » publié en janvier 2009.
Il apparaît évident que 16 ans après l’introduction des médicaments de substitution aux opiacés dans la pharmacopée française, un aménagement de la durée de prescription, au cas par cas s’il le faut, permettrait d’améliorer la prise en charge des patients traités.
Note :
- (1) TSO : traitement de substitution aux opiacés.