A New-York, en 1998, sous l’impulsion du maire Rudolph Giuliani, la décision est prise d’arrêter la méthadone aux patients en traitement de maintenance. Cette tentative a suscité une vive polémique, à la fois auprès des acteurs politiques et de la communauté scientifique.
Cet article a pour but de reprendre les diverses études disponibles qui relatent les efforts antérieurs d’abstinence-arrêt de la méthadone sur un court terme, et le ‘Programme Giuliani’ new-yorkais d’abstinence, ainsi que les conséquences qu’il a engendrées sur la politique fédérale en matière de traitement par la méthadone.
Le premier centre de traitement par la méthadone a été développé à l’Université Rockfeller dans les années 60 par Vincent Dole et Marie Nyswander afin de lutter contre la dépendance à l’héroïne. Le programme incluait également une réinsertion sociale et professionnelle. La dimension pharmacothérapeutique de ces programmes a rapidement pris une ampleur importante dans les années 70. Cependant, les restrictions budgétaires des années suivantes ont eu pour conséquence de supprimer en premier les aides psychologiques…
Au départ, les règles gouvernementales imposaient de prouver périodiquement le besoin en méthadone du patient. De nos jours, ces besoins sont considérés comme « de durée indéfinie ».
Les programmes de sevrage de la méthadone (MTA)
Il n’existe pas d’études rigoureuses. L’article relate quatre situations en Californie.
La première expérience a probablement eu lieu à Bakersfield en 1976. Le Programme Méthadone a été fermé et 88 des 99 patients n’ont pu rejoindre un autre programme. Pour ces 88 patients la durée moyenne du sevrage a été de 13 semaines. Ils ont été comparés à 89 patients en MMT à Tulare, commune rurale similaire située 70 miles au nord. Des interrogatoires ont été réalisés dans les deux groupes de patients, 2 ans après la fermeture du centre de Bakersfield. Il y avait dans les 2 groupes 65 % de blancs, et 32 % (Bakersfield) et 35 % (Tulare) d’hispaniques. L’âge moyen était de 31 ans.
- 73 % des patients du groupe Bakersfield ont fait l’objet d’une arrestation , contre 45 % des patients du groupe Tulare.
- 65 % des patients du groupe Bakersfield ont été incarcérés , contre 32 % des patients du groupe Tulare.
- 55 % des patients du groupe Bakersfield ont fait un usage quotidien de narcotiques, contre 32 % des patients du groupe Tulare.
- 64 % des patients du groupe Bakersfield ont fait un usage abusif d’alcool, contre 43 % des patients du groupe Tulare.
- 2 patients issus de Bakersfield sont morts d’une overdose, aucun dans le groupe Tulare.
- Seuls 27 % des patients de Bakersfield ont été capables d’arrêter avec succès la méthadone et l’héroïne.
Les résultats étaient significativement meilleurs pour le groupe de Tulare bénéficiant de la méthadone en maintenance, que pour ceux qui en ont été sevrés, avec pour ces derniers un retour à une situation chaotique d’usagers de drogues de rue (‘street addicts’).
Une situation similaire est survenue dans le comté d’Alameda, en Californie, en 1984. Le comté a décidé de supprimer les subventions aux personnes en traitement de maintenance par la méthadone depuis au moins 2 ans. La possibilité leur était laissée soit d’arrêter leur médicament de substitution, soit de payer 160-200 $ par mois dans une clinique privée pour continuer leur traitement. La moitié de ces patients ont été interrogés tous les 6 mois pendant 4 ans.
Les chercheurs les ont classés en trois groupes différents, sur lesquels cette mesure a eu des impacts différents :
- 1) les patients « modèles » (6 %) : classe moyenne, ayant un travail, peu de passé criminel, qui n’ont besoin de méthadone que pendant un temps court : la plupart d’entre eux ont choisi et ont réussi le sevrage de la méthadone.
- 2) Les patients « marginaux » (25 %) : classe sociale basse, peu ou pas d’expérience professionnelle, vie marginale, sans domicile fixe : la plupart ont opté pour le sevrage et ont rechuté.
- 3) Les patients « stabilisés » (69 %) : situation sociale entre les deux précédentes. Ont été héroïnomanes pendant longtemps et la méthadone était leur seule alternative. Ce groupe a été le plus touché par l’arrêt des subventions, car leur situation financière ne leur permettait pas l’accès à une clinique privée, et le sevrage a été synonyme d’échec.
La politique du comté d’Alameda a eu 4 conséquences autant imprévisibles que regrettables :
- perte de confiance des patients liée à l’injustice ressentie
- détérioration de la relation patient-clinicien
- secondairement à la rechute, prise en charge des patients souvent plus onéreuse que lors du traitement MMT
- augmentation du taux de HIV + lié à l’utilisation accrue de seringues.
Troisième situation, 10 héroïnomanes ayant été volontairement sevrés de la méthadone ont été comparés à 30 autres l’ayant été involontairement suite à des restrictions budgétaires dans la baie de San Francisco. Après quatre entretiens avec chaque patient, il est apparu évident aux chercheurs que l’arrêt forcé et prématuré de la méthadone ne devrait pas être imposé, car il a des conséquences néfastes sur tous les aspects de la vie des patients (récidives, sida, incarcération, perte d’emploi…).
En revanche, les patients qui avaient choisi l’arrêt de la méthadone n’ont pas récidivé.
Et enfin, la dernière étude mentionnée relate le cas de 27 femmes qui ont dû arrêter la méthadone. Les entretiens pratiqués sur trois ans ont montré que les conséquences les plus marquantes étaient une démoralisation et déstabilisation de ces personnes et de leur vie (retour à la criminalité, rechute, perte d’emploi ou de la garde de leurs enfants…).
13 femmes ont dû voler ou se prostituer pour payer les soins dans les cliniques privées, et 10 d’entre elles ont été arrêtées. 7 % seulement n’ont pas récidivé. Le programme d’abstinence-arrêt de la méthadone dans la ville de New York
1998 : le programme de Rudolph Giuliani
En juillet 1998, le maire de NY, Rudolph Giuliani a annoncé que 2100 patients répartis dans 5 hôpitaux de la ville devraient totalement et durablement arrêter la méthadone en 90 jours.
L’idée du maire était que la méthadone n’est qu’un substitut de l’héroïne, et qu’il serait mieux pour les patients de vivre sans médicaments (!).
Pendant les 7 mois suivants, le maire a fait la promotion et assuré la défense de sa politique en dépit de diverses objections de la part des organisations de santé, des agents fédéraux et de l’état, et des chercheurs. En août 1998, les cliniques de la ville ont annoncé qu’elles ne prendraient en charge que les individus ayant accepté un traitement dont la finalité était l’abstinence.
Cependant, en janvier 1999, le maire a annoncé son abandon du projet, avec pour explication son changement d’opinion sur la méthadone après discussion avec des experts. A ce stade, seulement 21 des 2100 patients avaient arrêté la méthadone et 5 avaient rechuté.
Ce programme sur 3 mois était irréalisable sur ces patients qui étaient dans les centres depuis en moyenne 9 ans.
Discussion
Lorsque le programme new-yorkais a été instauré, il n’avait pas été fait référence aux diverses études californiennes mentionnées plus haut qui documentent largement que l’arrêt de la méthadone sur une courte période n’est pas réalisable, et qu’il peut être même néfaste pour certaines personnes.
Entre juillet 1998 et janvier 1999, beaucoup d’études ont été publiées sur les bénéfices des traitements par la méthadone. Ces études, dans cette atmosphère de tension, ont suscité une vive attention de la part des médias et du grand public.
Le Général Mc Caffrey, directeur de l’Office of National Drug Control Policy, plutôt connu pour ses idées conservatrices, s’est imposé comme un leader dans la défense de la méthadone.
Le Dr Leshner, directeur du National Institute of Drug Abuse a déclaré que la dépendance à la drogue est une ‘maladie mentale’, et a suggéré qu’il fallait gérer la maladie plutôt que d’essayer de la guérir.
En décembre 1998, un rapport publié dans le JAMA rappelle que la dépendance aux opiacés est un problème d’ordre médical plus qu’un problème de volonté, et que la plupart, sinon tous les patients en traitement de maintenance par la méthadone nécessiteront un traitement à vie.
La publication de ces articles, qui a coïncidé avec la polémique sur le programme de Rudolph Giuliani, était extraordinaire. De ce fait, l’opposition au projet de Giuliani était quasi-unanime parmi les personnalités citées par les médias.
La « publicité » involontaire de Rudolph Giuliani
Cette avalanche de ‘publicité’ a entraîné une certaine reconnaissance des ‘Programmes Méthadone’ à leur juste valeur et a permis une approche plus réaliste de la façon d’améliorer les programmes alors en place.
Paradoxalement, les positions de Mr Giuliani ont probablement contribué à cette amélioration de l’image de la méthadone.
Une autre conséquence de ce débat a été l’expansion de services de réhabilitation professionnelle promue et financée par le maire pour les patients en programme à court terme. Cet geste a permis souligner l’importance des programmes de réinsertion professionnelle sur l’ensemble des Etats-Unis.
Enfin, le maire Rudolphe Giuliani a fait un don de 5 millions de $ aux services sociaux des centres de méthadone, marquant ainsi la reconnaissance de son erreur d’appréciation.
Le changement d’opinion publiquement faite par un homme politique d’envergure nationale et sa volonté d’admettre que son jugement précédent n’était pas approprié a eu un impact extrêmement positif sur la méthadone, souvent mal perçue ou non perçue à sa juste valeur auparavant.