Résumé
Cet article décrit une expérience de prise en charge de l’hépatite C en CSST, mise en place à la fin de 2002 et se poursuivant jusqu’à fin 2005, associant médecins et infirmières du centre et hépatologues du réseau Hépatite C. Le constat des difficultés rencontrées pour assurer dépistages et traitements nécessitait la mise en place d’un dispositif spécifique. L’évaluation après 3 ans permet d’apporter des arguments suffisamment convaincants pour assurer la poursuite de cette expérience mais aussi corriger les insuffisances révélées par cette étude notamment dans le dépistage, et plus particulièrement dans celui des usagers traités par la buprénorphine.
Préambule
C’est une expérience encore assez rare en CSST : la consultation avancée d’hépatologie associant, dans le cadre d’un travail continu, médecins, infirmières du centre et hépatologues du réseau hépatite C. Cette expérience initiée en octobre 2002 a commencé à porter ses fruits en 2005.
Ce travail a été présenté au Colloque National de SOS Hépatite à Paris le 12 décembre 2005.
Introduction
Nous partions d’un multiple constat :
- Faible taux de sérologies réalisées dans notre population d’usagers de drogue
- Difficulté des prélèvements sanguins
- Accès difficile dans les consultations hospitalières : vécues comme autant d’« épreuves » pour les usagers
- Rapport complexe usagers/hôpital
- Informations des usagers tronquées sur les bilans, les traitements, les suivis
- Persistance des pratiques d’injection et donc des risques de contamination
De ce constat, nous avons tiré des objectifs :
- Réduire les risques de contamination
- Assurer la mise à jour des droits sociaux pour faciliter bilans et traitements
- Faciliter le réinvestissement du corps par les usagers en travaillant avec eux sur autre chose que leur TSO (traitement de substitution aux opiacés)
- Accroître le taux de sérologies connues
- Assurer bilan, mise en route des traitements et suivi
- Apporter soutien psychologique et aide matérielle pendant la durée du traitement pour accroître la compliance à celui-ci.
- Accroître le dépistage.
Pour atteindre ces objectifs, des moyens ont été mis en place.
Des moyens pratiques tout d’abord comprenant :
- Mise à disposition, dans le CSST, de kits d’injection et de sniff.
- Mise à disposition en salle d’attente d’informations autour de l’hépatite C.
- Mise en place d’une collaboration avec un Laboratoire d’analyses, proche du CSST (mise à disposition de matériel de prélèvement et paiement par tiers payant).
- Mise à disposition de Fibrotests® gratuits par le laboratoire Schering-Plough, avec code de gratuité.
Mais aussi des moyens humains fondés d’une part sur une forte implication des infirmières de Solea dans l’incitation aux sérologies, prélèvements, suivi des consultations et conseils pendant les traitements et d’autre part sur la mise en place d’une consultation médicale spécifique mensuelle, dans le centre même, assurée conjointement par un hépatologue issu du Réseau Hépatite C du département du Doubs, d’un médecin de Solea et d’une infirmière.
Constats

Ce qui rapporté à la nature du traitement de substitution, nous donnait les résultats suivants en pourcentage :

Ceci nous a permis de constater que les patients recevant de la méthadone étaient deux fois mieux testés que les patients sous Subutex®, en raison notamment d’un suivi plus intensif lié au cadre de prescription et de délivrance (rôle des infirmières et des rencontres quotidiennes ou pluri-hebdomadaires avec l’ensemble des soignants).
Concernant le mode de contamination, nous avons pu repérer les pratiques suivantes : Sur les 96 usagers VHC+, tous étaient ou avaient été injecteurs (100%).
Aucune séropositivité n’a été repérée chez un usager sniffeur n’ayant jamais injecté.
Le souci que nous avions de ne pas pouvoir fidéliser les patients de notre file active à une consultation d’hépatologie s’est vite révélé sans fondement si l’on en juge par le constat suivant :

Nous pouvons résumer ce tableau de la manière suivante : depuis fin 2002 et jusqu’à décembre 2005, le centre a organisé, dans ses murs, 34 séances de consultation. 153 rendezvous ont été donnés. Ils ont été honorés dans 80% des cas, par 123 consultants, représentant 41 patients.
Ces patients sont préparés à la consultation par l’équipe médicale du CSST. Ils se répartissent de la manière suivante:
- 29 hommes : 70 %
- 12 femmes : 30 %
- Age moyen 34,8 ans
- 42 % n’avaient jamais consulté en hépatologie
- Tous ont un MSO (Médicament de Substitution aux Opiacés)
La répartition des consultants en fonction de leur traitement est la suivante :
- méthadone 29 / 71%
- buprénorphine 9 /22%
- Sulfate de morphine 3 / 7%
Rôle de la consultation
Le rôle de la consultation peut être défini ainsi :
- Rôle d’information et d’explication
- Faire le point avec l’usager sur son hépatite C
- Débuter et suivre un traitement antiviral
- Mise en commun des compétences pour optimiser la prise en charge du patient (social, pathologie psychiatrique, problème d’alcool…)
3 consultants se sont révélés VHC négatif (usagers ayant sollicité une consultation d’information) ce qui porte donc à 38 le nombre d’usagers suivis.
Il est particulièrement intéressant de vérifier le devenir de ces usagers dans le parcours de leur prise en charge :
- Traités : 7
- En traitement : 5
- Traitements programmés : 2
- Non traités : 18
- Perdus de vue : 3 (non traités)
- Décédé : 1
Les raisons qui ont conduit l’équipe médicale à surseoir au traitement peuvent être ainsi résumées : parmi les 18 non traités
- 2 patients étaient opposés au traitement
- 4 sont en attente de traitement (tous en traitement en avril 2006)
- 3 présentent une instabilité psycho-sociale trop importante
- 9 sont porteurs d’une affection de faible activité avec une fibrose faible ou nulle pouvant supporter un report de traitement. Tout patient désirant, malgré cela, être traité le serait évidemment.
Prise en charge
Aucune biopsie hépatique n’a été requise pour poser l’indication du traitement
Tous les traitements ont été initiés lors d’une consultation au centre. La surveillance biologique s’est effectuée de façon conjointe entre le médecin du centre et l’hépatologue.
La primo-prescription a été ordonnée par l’hépatologue, les renouvellements ont été assurés par le médecin du centre.
Le but de ce travail est évidemment de repérer les usagers porteurs du virus C mais aussi et surtout de mettre en place la thérapeutique. Celle-ci est longue (24 à 48 semaines) sous la forme d’une bithérapie associant une injection hebdomadaire d’Interféron alpha et de comprimés de Ribavirine à prendre matin et soir. Cette thérapeutique très contraignante sur le plan physique et psychique nécessite un suivi attentif.
Les traitements mis en route ont concerné 33,33 % des consultants, soit en 2005, 17% de la file active des patients identifiés VHC+. Le taux de rétention en traitement a été de 6 sur 7, ce qui est un chiffre parfaitement encourageant.
Nous avons pu tirer quelques conclusions provisoires de cette expérience originale qui se poursuivra et s’intensifiera dans les mois et années à venir.
Tout d’abord, nous avons pu observer que les usagers bénéficiant d’un traitement par la méthadone étaient tout à la fois mieux dépistés et plus souvent traités. Cependant, et cela met en évidence le travail qu’il reste à faire, 40% des usagers sous méthadone n’ont pas été testés.
A contrario, les usagers sous Buprénorphine, à Solea, sont plutôt moins bien dépistés malgré une prévalence du VHC à peu près équivalente.
L’objectif est donc de dépister, dès le premier mois, tous les usagers se présentant au Centre en utilisant, si nécessaire, les prélèvements salivaires qui devraient être disponibles en 2006.
Nous avons pu confirmer le rôle majeur de l’injection dans la transmission du VHC, ce qui permet de valider le programme d’échange de seringues qui doit être renforcé.
Enfin, nous avons constaté une tendance à la baisse dans la prévalence de VHC, passant de 66% des usagers testés en 2002 à 41% en 2005. Ce constat mérite d’être, évidemment, confirmé pour lui donner une valeur significative.
Nous sommes donc fondés et encouragés à dégager les moyens humains consacrés à cette activité de dépistage et d’accès au traitement de l’hépatite C. Des moyens financiers spécifiques dédiés à cette action apparaissent donc nécessaires.
Une première évaluation de ce travail conduit, entre autres choses, à confirmer, pour les soignants que nous sommes, le nécessaire apprentissage de la patience si l’on en juge par le temps qui peut s’écouler entre la prescription des analyses biologiques, leur réalisation, le bilan et le début éventuel du traitement d’une part et d’autre part par le délai entre la première consultation et le début du traitement.
Le temps est donc un allié qu’il faut apprivoiser.
Nous voudrions associer à ce travail, outre nos collègues infirmières très enthousiastes à s’y impliquer, nos confrères hépatologues (Isabelle Beurton-Chataignier et Philippe Mercet).
L’échange et la circulation des connaissances et des savoirs professionnels se sont révélés, à cette occasion, particulièrement féconds.