Non, il ne s’agit pas du titre d’un nouveau film césarisé, mais de la réalité du vécu d’une majorité des patients consommant des SPA (1) (héroïne, cannabis, alcool, benzodiazépines détournées…)
Les Injonctions thérapeutiques
Du 15 mai au 31 décembre 2009, j’ai participé au sein du TGI (2) de Nice, à l’accueil des personnes mises en cause pour infraction à la loi sur les stupéfiants.
Après que ces personnes aient été reçues par la déléguée du procureur de la République, qui leur rappelait les raisons légales de leur arrestation, de leur convocation au TGI et enfin, pour la plupart, de leur peine, à savoir une injonction thérapeutique dans un CSST (3), je recevais individuellement ces personnes, sous couvert du secret médical absolu. J’abordais avec eux la dimension médicale au sens large du terme (médico-psycho-sociale) et tentais de leur faire admettre positivement cette peine, qui de toute façon ne dépendait que de la justice.
Cet espace de parole, confidentiel, m’a permis, au cours d’un entretien unique avec chacune de ces personnes, de constater 2 choses essentielles : les consommations sont souvent minimisées face à la représentante de la Justice. Face à un soignant, les consommations sont généralement revues à la hausse. Deuxième constatation, et non des moindres, les « mis en cause », pour peu que la confiance soit établie, déclarent sans problème consommer d’autres SPA (notamment l’alcool), que celle pour laquelle ils ont été arrêtés par la police, puis convoqués par la Justice.
Quelques chiffres
- Du 15 mai au 31 décembre 2009, j’ai reçu 169 personnes.
- Répartition selon le sexe : 152 hommes (90%) pour 17 femmes (10%).
Répartition en fonction de l’âge
- Age moyen des hommes : 25,6 ans
- Age moyen des femmes : 21,6 ans (dont 3 mineures de moins de 18 ans)
Répartition en fonction du produit incriminé :
5 types de produits ont été retrouvés sur les personnes interpellées par la police
- Cannabis : 155 fois, soit 87%
- Cocaïne : 10 fois, soit 6%
- Speed (4) : 7 fois, soit 4%
- Ecstasy : 4 fois, soit 2%
- LSD : 1 fois, soit 1%
TOTAL = 177 (ce nombre est supérieur à celui des mis-en-cause, car certains d’entre eux avaient plus d’un produit illicite en leur possession au moment de leur arrestation).
Le cannabis, à titre d’exemple
Parmi les 155 personnes mises en cause pour le cannabis, 127 en font une consommation régulière, soit 82%, et 27 en font une consommation occasionnelle, soit moins d’une fois par mois (18%).
Parmi les fumeurs réguliers (n = 127) :
- Quotidiens : 94, soit 74 %
- Plusieurs fois par semaine : 16, soit 13 %
- Le week-end seulement : 14, soit 11 %
- Quelques fois dans le mois : 3, soit 2 %
- Un mis en cause prétend n’avoir jamais fumé et avoir été interpellé à tort.
Quel effet, en attendez-vous ?
A cette question, concernant le cannabis, invariablement, les réponses sont : oublier, m’évader, me relaxer, me détendre, dormir, oublier le travail, le stress… Certains m’ont même dit avoir oublié ce qu’ils souhaitaient oublier !
En résumé, il s’agit ni plus ni moins d’une « auto-médication », à visée relaxante a minima, et à visée de défonce très souvent. Pourquoi une telle recherche d’anésthésie, de défonce ?
Certes, la société de consommation dans laquelle nous vivons est addictogène (5) : tout est accessible, à l’instant T, quasiment pour tous. Mais elle est également anxiogène, avec ce sentiment que tout va trop vite, tout nous lasse. Ce n’est plus nous qui consommons, ce sont les consommables, les média, le marketing à outrance qui nous consomment comme de vulgaires produits de consommation.
Le sujet dépendant du cannabis, n’est plus un consommateur de cannabis, il est devenu objet de consommation du cannabis, simple maillon entre les dealers, les autres usagers auxquels il s’identifie et tout simplement la société de consommation, qui n’arrive plus à satisfaire notre satiété de désirs, qui sont devenus des besoins (6).
On a pour habitude de dire que l’addiction est le résultat de 3 « conditions » : un sujet avec ses vulnérabilités, un environnement et un produit. L’addiction n’ayant pas de cause monofactorielle, il serait trop facile de la réduire au produit.
Il n’empêche, que pour nombre de fumeurs accros au cannabis, ce dernier vient soulager une souffrance, qu’elle soit physique (« j’ai mal au dos, seul le cannabis me soulage ! »), psychologique (« j’ai été abandonné étant petit, je ne connais pas mon père »), adolescente (« je m’engueule avec mes parents qui ne me comprennent pas »), existentielle (« je me demande ce que je fais sur terre »), psychiatrique (« j’entends des voix »)…
Le but avoué étant d’oublier cette souffrance, le temps d’une défonce, d’une ivresse, qui peut se répéter de manière quotidienne et continue, pour certains.
D’où le besoin d’un suivi, pour ceux qui en expriment la demande, basé sur l’écoute, la compréhension, l’absence de jugement, la modestie, la patience et la bienveillance, au-delà des préjugés faciles : il n’a pas de volonté, il n’a qu’à s’arrêter, c’est un vicieux !
Ce que je viens d’écrire au sujet du cannabis est certainement vrai pour d’autres substances ou comportements : alcool, héroïne, Internet… qui viennent « aider » le patient dans sa recherche de soulagement, d’anésthésie émotionnelle et d’oubli.
Notes
- (1) SPA : substance psychoactive
- (2) TGI : Tribunal de Grande Instance
- (3) CSST : Centre de Soins Spécialisés au Toxicomanes
- (4) Le speed est une amphétamine, la plupart du temps composé des déchets de fabrication de la cocaïne, c’est la raison pour laquelle il est souvent appelé « la coke du pauvre ».
- (5) Cf le site du philosophe Julien Gautier.
- (6) D’après le philosophe Julien Gautier.