Des contacts réguliers avec nos collègues anglais depuis 1997 nous ont permis d’approcher la démarche britannique en matière de traitement de substitution aux opiacés. Quelques éléments sont rapportés ici, permettant d’appréhender leur mode de fonctionnement. Cet article ne se veut pas exhaustif, tant la réalité de terrain est un patchwork d’expériences diverses. Si le nombre de dépendants aux opiacés est similaire avec la France, soit environ 170 000, 90 000 personnes sont actuellement en démarche de soins Outre-Manche. Nous passerons en revue les différents traitements de substitution et de sevrage actuellement disponibles.
Parler de traitement de substitution par méthadone relève un peu, au Royaume-Uni, du pléonasme. Pour des raisons historiques d’abord, culturelles ensuite.
La méthadone
Prescrite depuis plus 20 ans en Angleterre, c’est le traitement de substitution de référence. Il s’appuie sur toute la longue pratique britannique en matière de Réduction des Risques et de Britsh System, mais aussi par le support linguistique commun avec les références nord-américaines, depuis les travaux des années 1965 et australiennes, en particulier ceux de J. Ward en 1998.
L’induction du traitement s’effectue :
1. Dans un centre de soins spécialisés ou ‘clinics’
C’est le mode classique de prise en charge hérité des modèles des années 1970. Une évaluation précise de l’état et de la démarche de la personne sera effectuée par l’équipe du centre. Un contrat sera alors souscrit entre le patient et le centre. Il pourra être oral ou signé, précisant les exigences de seuil décidé :
- ponctualité des rendez-vous,
- test urinaire régulièrement effectué,
- suivi de l’accompagnement psychologique et social.
La prescription supervisée de méthadone se fera suivant un protocole précis avec réévaluation régulière et une délivrance journalière. La forme de méthadone proposée varie :
- en suspension orale, 1 mg pour 1 ml, appelée abusivement par les patients ‘linctus’,
- en comprimé sous forme d’unité 5 mg. Adapté si le patient travaille par exemple, ce conditionnement est réservé aux personnes sous maintenance ancienne pour éviter revente ou auto-injection,
- en ampoule injectable si la personne est encore dans une démarche d’injection (dans certains centres, à Londres notamment).
Dans une étude effectuée en centre en 1996 par Strang et al portant sur 3 593 prescriptions de méthadone :
- 80 % se présentaient en suspension orale,
- 11 % sous forme de comprimé,
- 9 % sous forme injectable.
La posologie moyenne prescrite est de 60 mg. On assisterait actuellement à une diminution des doses de substitution prescrites, une majorité de personnes dépendantes semblant utiliser, avant mise sous traitement, une héroïne moins pure.
2. La prise en charge en médecine générale et les ‘Shared Cares’ ou ‘Soins Partagés’
C’est l’autre possibilité d’offre de soins. Elle est de plus en plus fréquente au Royaume-Uni. 25 000 patients sont traités par la méthadone dans les surgeries ou cabinets médicaux de soins primaires.
Deux possibilités :
- 1. Le patient décidant de faire une démarche de soins se rendra chez son médecin. Ils décideront ensemble des modalités d’une prise en charge.
- 2. Une toute nouvelle expérience de prise en charge s’est développée ces dernières années, elle mobilise actuellement 20 % des GP (General Practitioner), les ‘Shared Cares ou Soins Partagés’ . Après consultation chez son médecin, ainsi que dans le centre social local, un débat entre les intervenants psycho-sociaux locaux des CDT (Community Drug Team), le médecin et le pharmacien, définit les termes de cette prise en charge.
Généraliste
La méthadone sera prescrite ensuite au patient par le médecin traitant à son cabinet. Ces ‘Soins Partagés’ qui se développent en Angleterre depuis 3 ans, sont décrits avec les nuances ‘so britsh’ dans l’«Orange Book », permettant aux différents partenaires de ce type de prise en charge (le médecin, les travailleurs sociaux, le pharmacien, et, bien sûr, le patient), un travail de concert, en fonction de l’historique et des possibilités locales :
- Le médecin généraliste est le prescripteur. Il adaptera plusieurs fois la dose au début du traitement, pour atteindre une dose efficace. La périodicité de cette prescription est ainsi variable. 2 fois par semaine au début, puis toutes les semaines.
- Le travail psycho-social est pris en charge par l’équipe du CDT (Communauty Drug Team), composée d’infirmières, d’éducateurs, d’assistantes sociales et de psychologues.
- Le pharmacien de ville assurant une délivrance quotidienne mais aussi un contact permanent avec le patient, permettant un retour d’informations (feedback), si des problèmes apparaissent : violence, rendez-vous manqués, ébriété, etc…
- Nous nous situons toujours en ‘haut seuil’. Des tests urinaires sont effectués de façon concertée ou aléatoire. Le patient est informé du métabolisme des drogues et de son impact sur le résultat des analyses urinaires.
- Une posologie de 60 mg de méthadone semble être la dose moyenne de référence. Souvent une dose entre 60 et 120 mg est nécessaire.
‘Shared Cares’
Au cours du congrès national du RCGP à Londres en Mai 2002, Bill NELLES de la «Methadone Alliance», association anglaise de patients traités par la méthadone, avance 3 arguments en faveur de cette prise en charge dans le cadre des ‘Shared Cares’ :
- 1. La proximité « local shop » for « local people »,
- 2. L’approche globale du GP assurant le traitement, mais aussi l’abord des problèmes physiques et psychologiques,
- 3. Un contact et des soins plus personnels, plus attentionnés (‘gentler care’).
Deux points à noter :
-> Les évaluations. Les études sur les résultats de l’une ou l’autre des prises en charge (en centre spécialisé ou en cabinet de médecine générale) sont peu convaincantes, quant aux bénéfices supérieurs de l’une des deux :
- N. SEIVEWRIGHT dans sa publication parle d’un meilleur suivi en centre spécialisé,
- K. ABBA (1) dans un intéressant rapport (Avril 2002) sur la pratique en cabinet des médecins généralistes en Cheshire, rapporte l’étude nationale NTORS qui conclut, elle, au bénéfice des soins délivrés en patientèle d’un GP.
-> MMT plutôt que MRT…
Tout en tenant compte des guidelines de référence, le traitement de substitution, MMT (Methadone Maintenance Treatment), soit l’institution d’un traitement long, voire chronique, semble avoir actuellement la préférence sur le traitement de substitution MRT (Methadone Reduction treatment), qui est défini dans le temps, conduisant progressivement vers le sevrage.