Il est banal de dire qu’il n’y a pas, en neurobiologie, des comportements, même si les modélisations chez l’animal sont satisfaisantes par la pertinence de leur forme, de leur construction et de leur valeur prédictive, d’explication simple d’un phénomène et de ses conséquences pharmacologiques ; à l’inverse, ces conséquences, peuvent, elles, être présentées de façon simplifiée.
Pour autant que l’on puisse parler, de façon anthropomorphique, de la « recherche du plaisir » et de son « ressenti » par l’animal de laboratoire, en 1954, Olds et Millner, dans un travail devenu maintenant un paradigme très classique, ont caractérisé le comportement d’autostimulation électrique intracrânienne renforcé positivement. En 1956, Olds, Killam et al. ont montré que la chlorpromazine et la réserpine réduisaient ce comportement d’auto-stimulation de façon significative, et ce, indépendamment d’un effet sédatif non spécifique puisque le thiopental était à peu près sans effet. Ce modèle a permis d’établir des « courbes-doses [intensité du courant] – réponses [nombre d’appuis pour auto-stimulation] » et d’étudier l’action de différentes drogues, de différents antagonistes et du sevrage sur l’allure de ces courbes et le seuil significatif d’auto-stimulation.
Les travaux de Fuxe, Dahlstrom, Ungerstedt, Mogenson et al., ont été cruciaux pour :
- le « tracé » des voies aminergiques centrales,
- la caractérisation de la voie mésolimbique,
- la découverte du rôle du striatum ventral [noyau dit accumbens chez le rat], dans la transformation de la motivation en action, cette entité appartenant à « la fois » au système limbique et au système extrapyramidal.
Les travaux de Di Chiara et Impérato, publiés dans une des plus grandes revues scientifiques (1988), fondés sur la très élégante technique de microdialyse des liquides extracellulaires des noyaux gris centraux du rat pour l’étude de la modification de leur composition sous l’influence de différentes manipulations et l’administration de drogues « addictives » chez l’homme, ont montré que l’alcool, la nicotine, les amphétamines et la cocaïne entraînaient une modification importante de la concentration en dopamine dans le noyau accumbens, préférentiellement au noyau caudé, avec une augmentation plus ou moins rapide et plus ou moins durable en fonction des substances.
La voie mésolimbique dopaminergique est directement activée par les substances toxicomanogènes ; c’est cette voie qui fait partie du système de récompense qui est stimulé et excité lors de situations comportant des faits saillants porteurs de stimulation amenant à la recherche gratifiante et dévorante [« craving »] de la drogue. L’article de J.-P. Tassin [2002] est, à cet égard, très parlant. On doit signaler aussi que les amphétamines, la cocaïne, la morphine, l’alcool, le tétrahydrocannabinol, diminuent le seuil d’auto-stimulation électrique intracrânienne.
Pour conclure cette partie, nous proposons le schéma adapté de E.J. Nestler (1999)

On comprend ainsi que les neuroleptiques et les antipsychotiques antagonistes des récepteurs dopaminergiques entraînent chez les toxicomanes, des effets dits « aversifs ».
Alors les neuroleptiques et maintenant les antipsychotiques peuvent-ils être utiles dans la chimiothérapie adjuvante des conduites addictives ?
Est-il envisageable de :
- réduire le fonctionnement du système de récompense,
- réduire le signal dopaminergique limbique par blocage des récepteurs post-synaptiques DA2 ?
Peut-on attendre un « effet réducteur » des pharmacopsychoses ? Ces médicaments gardent évidemment tout leur intérêt dans le traitement des patients psychotiques chez qui un double diagnostic a été posé [« dual diagnosis »] [« comorbidité » schizophrénie, abus de substance]. En effet, l’abus de substances toxicomanogènes est, d’après plusieurs études épidémiologiques d’échantillons de population, assez fréquent chez les malades souffrant de schizophrénie ; même si les valeurs de prévalence avancées sont très variables : prévalence de 47 % sur la vie entière [Salloum et al., 1991] :
- 9 à 17 % dans un échantillon de population de 100 malades âgés de 27 ± 6 ans suivis pendant 18 mois [Chouljian, 1995].
- 14 à 24 % d’abus de drogue ou d’alcool avant l’éclosion des symptômes [Revue de Buckley, 1998].
On peut dire que l’abus de substance est annonciateur :
- d’une évolution émaillée de rechutes [Swofford et al., 1996 – Sorbara et al., 2003],
- d’une moins bonne réponse au traitement [évaluée par le moindre taux de renouvellement
de la dopamine reflété par un taux d’HVA plus faible] [Bower et al., 1990],
- d’une moins bonne adhésion au traitement et de complications [Sorbara et al., 2003],
- d’un plus grand taux d’hospitalisation [Sorbara et al., 2003].
Différents travaux montrent que la cocaïne est un inhibiteur de la recapture de la dopamine, que cette dopamine limbique va, dans le système de récompense, en entretenir la recherche, avec une passion torturante et dévorante, de la drogue [« craving »]. Les neuroleptiques classiques comme le flupentixol antagoniste DA1 et DA2 sont capables de limiter l’autoadministration de la cocaïne ou de l’association cocaïne + héroïne, ou les effets renforçateurs de la cocaïne [au moins sur une durée de temps limitée]. Chez l’homme, une étude de Gawin, 1989, avait montré que, chez les fumeurs de « crack », le traitement par la forme à libération prolongée de ce neuroleptique réduisait le « craving » et augmentait l’adhésion à la psychothérapie.
Les antipsychotiques, antagonistes des récepteurs DA2 et 5HT2, ont-ils leur place dans le traitement adjuvant des patients souffrant d’une pharmacopsychose ou de patients psychotiques abusant de substances toxicomanogènes augmentant leur vulnérabilité ?
Quelques descriptions de cas montrent que chez des patients schizophrènes, par ailleurs dépendants de la cocaïne, la rispéridone va réduire le « craving » [réduction de l’intensité du « craving » mesurée à l’aide d’une échelle analogique visuelle de 60 à 40 environ] [Tsuang, 2002]. Les résultats chez les sujets dépendants de la cocaïne mais qui ne souffrent pas de psychoses sont encore discutés.
Nous insisterons plus sur le traitement des psychoses cannabiques par les antipsychotiques. En effet, on sait que le cannabis « peut induire, révéler, accélérer ou aggraver, la co-occurrence de troubles psychiatriques » [Laqueille, 2003]. Dans une étude publiée en 2002 par B. Buhler et al., il a bien été montré que l’abus de substances [88 % des cas : cannabis] a un effet précipitant et aggravant des psychoses schizophréniques. La sécrétion de dopamine provoquée par la consommation de cannabis a été montrée, de façon un peu fortuite, chez l’homme par une équipe de Toronto [Voruganti, 2001].
Notre propos portera sur le traitement des états psychotiques aigus provoqués par le cannabis qui sont réputés bien répondre au traitement antipsychotique [Laqueille, 2003]. Certains auteurs ont proposé des caractéristiques sémiologiques propres à la psychose cannabique.
Psychose cannabique
- Plutôt masculin
- Plutôt plus jeune
- Trait de « personnalité antisociale »
- Abus de substance dans 70 % des cas [plusieurs fois/j]
- 64 % début entre 13 et 16 ans
- Existence d’une dépression ou d’une importante expansion de l’humeur
- Désorientation temporospatiale
- Hallucinations visuelles
- Pensée commentée
- Attaques de panique
- Etat « crépusculaire »
Psychose aiguë [type bouffée délirante]
- Personnalité schizoïde prémorbide
- Affectivité et délire discordants
- Automatisme mental
- Idées délirantes de concernement ou de référence
- Hallucinations auditives
d’après Basu, 1991 et Nunez, 2002
La question de la référence nosographique se pose : la CIM-10 et le DSM-IV ne parlent que de « troubles psychotiques » ou de « troubles délirants ». Nous pensons qu’il est légitime de considérer la pharmacopsychose cannabique comme un trouble psychotique aigu ou une psychose aiguë due à une substance psychodysleptique. On rappellera à cet égard que les troubles psychotiques induits par une substance sont classés dans le DSM-IV au chapitre « Schizophrénie et autres troubles psychotiques ».
Un essai thérapeutique contrôlé du traitement d’un état pharmacopsychotique provoqué par le cannabis mené avec l’olanzapine et l’halopéridol a montré un effet comparable des deux traitements, évalué par l’échelle CGI et BPRS [Berk et al. 1999].
L’indication de la rispéridone porte sur le traitement des psychoses, schizophréniques en particulier, aiguës et chroniques.
Un essai thérapeutique comparant la rispéridone et l’halopéridol dans ce traitement des psychoses provoquées par la consommation de cannabis a été mené chez 30 patients âgés de 26 ans en moyenne dans des conditions contrôlées. Après 4 semaines de traitement, l’intensité du trouble, qui était égale à 50 environ par application de l’échelle BPRS lors de l’instauration du traitement, était égale à 22 [pour les 2 traitements]. La condition clinique globale évaluée à l’aide de l’échelle CGI à la fin des 4 semaines était définie comme « à la limite de la maladie » = 2 ; lors de l’instauration du traitement elle était égale à 5 = « manifestement malade » [Berk et al., 2000].
Ces études, bien que critiquables, montrent l’intérêt des antipsychotiques atypiques dans le traitement d’état « d’acuité pharmacopsychotique ».
La bibliographie abondante est disponible auprès de l’auteur.