Introduction
La mise en évidence d’une vulnérabilité partiellement partagée pour la schizophrénie et les dépendances requiert certaines conditions. Tout d’abord, les deux troubles doivent être comorbides, la présence de l’un augmentant le risque de l’autre, quelle que soit la pathologie de départ du sujet atteint (dépendant ou schizophrène). Ensuite, chacun des deux troubles doit avoir une héritabilité non négligeable. Enfin, des arguments solides ou tout du moins convergents doivent faire évoquer la possibilité d’une héritabilité commune (partage d’une partie de cette vulnérabilité génétique) et/ou la découverte de gènes de vulnérabilité augmentant le risque des deux troubles.
Ces trois niveaux d’approche ne sont pas aussi simples qu’il pourrait y paraître, étant donné le caractère assez clairement quantitatif (et non qualitatif) de ces vulnérabilités. De simples différences de fréquence d’atteinte chez les apparentés de proposants, souffrant de l’un des deux troubles, ne suffisent donc pas à répondre au problème, malgré la forte informativité des études d’agrégation familiale (11). De même, l’analyse des transmissions croisées de ces deux pathologies aux jumeaux, plutôt monozygotes que dizygotes, est ici difficilement applicable. Il est donc indispensable de passer par les étapes initiales, dont la comorbidité des troubles.
La Comorbidité Dépendance et Schizophrénie
L’expérience clinique nous montre clairement combien les schizophrènes sont particulièrement à risque ‘abus ou de dépendance’ à l’alcool. Néanmoins, seules les études épidémiologiques de population générale permettent de répondre à la question de la comorbidité, du fait par exemple du biais de Bergson (plus les patients sont comorbides, plus facilement ils rencontrent une structure de soins).
L’Epidemiological Catchment Area (ECA) et la National Comobordity Survey (NCS) sont probablement les études les plus informatives, et montrent bien que la présence de l’une des deux pathologies augmente (entre 2 et 4 fois) le risque de l’autre trouble (tableau 1), les odds-ratios étant significativement supérieurs à 1. Si l’on souhaite comparer les fréquences plutôt que les risques (21), l’étude ECA nous donne une fréquence d’abus ou de dépendance aux toxiques de 47 % chez les sujets souffrant de schizophrénie, contre 17 % dans la population générale.
Néanmoins, si la comorbidité est requise, elle ne peut être considérée comme témoignant d’une vulnérabilité commune.
Les odds-ratios inférieurs à 3 témoignent d’un poids relativement faible de la variable, ce qui n’est pas en faveur d’un rôle direct de type « A donne B », puisque la grande majorité des deux troubles existe de manière indépendante.
Néanmoins, les effets des amphétamines, du LSD ou des morphiniques, par exemple, servent parfois de modèle pour la schizophrénie dans les études chez l’animal. Certains auteurs, comme Defer et Diehl, ont de même parlé de « psychose cannabique » (marqué par un état oniroïde amnésique infiltré par une organisation délirante à thèmes persécutifs ou mégalomaniaques), bien que les auteurs, déjà, proposaient que « les psychoses cannabiques avec ou sans éléments discordants n’ont jamais d’évolution vers une schizophrénie véritable ».
Les études sur les séquences d’apparition « dépendance » et « schizophrénie » illustrent particulièrement bien ce problème. En effet une étude réalisée dans la région de Bordeaux (23) montre que la comorbidité au cours de la vie entre schizophrénie et abus de substance est de près de 50 %, avec un choix particulier pour le cannabis, puis l’héroïne et enfin la cocaïne. Dans cet échantillon, l’abus de substance précédait le plus souvent le trouble psychotique. Si l’on recherche les premiers symptômes prémorbides du processus psychotique, il semble que l’abus de substance se situe certes avant le trouble constitué, mais surtout après les premiers signes prémorbides (prodromiques).
Conclusion
Il est trop tôt pour savoir si des gènes de vulnérabilité sont vraiment partagés entre les dépendances et la schizophrénie, les études étant pour le moment nombreuses mais peu puissantes. Il manque en plus, des études de covariance pour des jumeaux, abordant les diagnostics de schizophrénie et de dépendance. Néanmoins, plusieurs hypothèses lient ces deux troubles, et permettent de rendre (partiellement) compte de cette forte comorbidité qu’il est difficile de concevoir comme accidentelle.
Comme souvent en psychiatrie générique, on attend de la génétique qu’elle découvre des gènes impliqués pour reconstituer, dans un deuxième temps, les mécanismes en cause et les limites du phénotype impliqué. Il est essentiel, en fait, que les études s’effectuent dans les deux sens, la rencontre n’en sera que plus rapide. Les études cliniques, psychopathologiques et neurobiologiques dans la compréhension des liens entre dépendances et schizophrénie restent donc tout à fait essentielles, voire prioritaires.
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