Introduction
L’addiction sexuelle ou le trouble hypersexuel, comme initialement prévu dans le DSM-5 puis non accepté, a largement été ignoré, fait l’objet de débats entre spécialistes sans conclusion malgré l’évidence que ce trouble pose de nombreux problèmes chez certaines personnes venant demander une aide en consultation (1). De nombreux termes ont été utilisés dans la littérature comme la nymphomanie, le Don Juanisme (2), la sexualité compulsive ou impulsive (3), la perte de contrôle sexuelle (4), l’addiction sexuelle, ou encore le comportement hypersexuel (un terme théorique neutre) (5) (6).
Les comportements sexuels excessifs ont été décrits cliniquement pour la première fois en 1812 par Rush, un médecin américain (7). A la fin des années 1800, Krafft-Ebbing a décrit le premier cas de désir sexuel excessif et anormal chez un patient (hyperesthésie sexuelle) dans son Traité (8). Dans les années 1970, le comportement sexuel excessif et non paraphilique (sans perversions sexuelles) a été introduit par Orford et conceptualisé comme un tableau de dépendance (9). Patrick Carnes a rendu grand public cette pathologie dans son ouvrage best seller Out of the Shadows: Understanding Sexual Addiction (10). Différentes théories ont été développées comme le nombre total d’orgasmes par semaine induits par la combinaison de différents supports sexuels (masturbation, rapports sexuels, sexe oral, etc.) (11). Selon Mick et Hollander, le spectre impulsif (plaisir, évitement, gratification) et compulsif est associé à l’addiction sexuelle. La composante compulsive est impliquée dans la persistance du comportement (3).
Le diagnostic d’addiction sexuelle n’existe pas dans les versions 3 et 4 du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM). Un groupe de spécialistes avait travaillé sur les critères diagnostiques du trouble hypersexuel pour le DSM-5 (6) mais ils n’ont pas été retenus pour des raisons qui vont au-delà du problème médical. La recherche sur cette thématique a augmenté ces dernières années (12) (13) (14) ainsi que les demandes de prise en charge thérapeutique.
Dans cet article, nous ferons une synthèse des données épidémiologiques, cliniques, des complications et des approches thérapeutiques actuelles en utilisant les bases de données PubMed, EMBASE, PsycInfo, et Google Scholar.
Données épidémiologiques et cliniques
Il n’existe pas d’études épidémiologiques sur de larges échantillons souffrant d’addiction sexuelle. Cependant, il existe des données de prévalence variant selon les études (15) de 3 à 16,8 % selon les séries (16) (17) (18) (19). Il faut retenir une tranche entre 3 et 6 % pour les comportements sexuels excessifs (20). Le sex-ratio (hommes/femmes) varie de 3 à 5 pour 1 avec une sous-représentation des femmes (21) (22). Les hommes ont plus d’insatisfaction dans leur vie sexuelle, de problèmes relationnels et consultent plus pour des problèmes en lien avec le sexe (21).
Les patients souffrant d’addiction sexuelle ont des pensées ou des comportements sexuels obsédants, des fantasmes et des expériences sexuelles virtuelles ou réelles répétées (23). Ils ont débuté leur expérience sexuelle à un âge de début précoce, sont plus issus de structures familiales séparées, ont une fréquence et une diversité élevée de comportements sexuels.
Il est nécessaire de rechercher des antécédents d’abus sexuel dans l’enfance, des comportements sexuels risqués, un trouble de l’attachement avec des conséquences développementales affectives, cognitives et comportementales (24) (25) (26).
L’addiction sexuelle s’inscrit dans un cycle clinique similaire à celui des drogues comme la cocaïne, les opiacés, le cannabis par exemple (23). Ce trouble peut être défini comme un syndrome caractérisé par des comportements, des envies urgentes, des fantasmes récurrents, intenses, ayant des conséquences négatives sur le fonctionnement quotidien (27).
Certains signes cliniques doivent être recherchés par tout clinicien confronté à un patient ayant une addiction sexuelle (25):
- perte de contrôle du comportement sexuel ;
- impossibilité d’interrompre son comportement sexuel ;
- persistance de la poursuite des comportements sexuels à risque ;
- désir d’interrompre, de limiter ou de réduire son comportement sexuel ;
- le comportement sexuel est utilisé comme une stratégie principale de coping ;
- tolérance ;
- fluctuation ou changements importants de l’humeur en lien avec l’activité sexuelle ;
- perte de temps importante à rechercher des activités sexuelles ou à être impliqué dans des activités sexuelles réelles ou virtuelles ;
- temps de récupération post-activités sexuelles ;
- importantes conséquences sociales, physiques, psychologiques.
Les patients rapportent des symptômes de sevrage entre les épisodes de consommation sexuelles : insomnie, nervosité, irritabilité, sueurs, nausées, augmentation de la fréquence cardiaque, asthénie (23).
Dans l’addiction sexuelle, sont évoqués également des éléments comportementaux et des éléments émotionnels et cognitifs.
Sur le plan comportemental, il s’agit de la recherche de nouveaux partenaires sexuels, de masturbation compulsive, de l’usage excessif de la pornographie, de l’engagement dans des relations sexuelles sans aucune émotion, du sexe réel ou virtuel tarifé, d’activités ou de pratiques sexuelles à risque, d’une seconde vie sexuelle « cachée » (Second Life) (28, 29).
Sur le plan cognitivo-émotionnel, il s’agit de pensées obsédantes de sexe, de sentiments de culpabilité, de honte, de désespoir, de solitude, d’ennui, de faible estime de soi, d’envies de lutter contre des émotions négatives, de la rationalisation à continuer à avoir des comportements sexuels compulsifs, de l’indifférence face aux partenaires sexuels, de la préférence pour le sexe anonyme, de déconnecter la vie amoureuse de la vie sexuelle, et de la perte de contrôle dans différents aspects de la vie (10) (28, 29). Le sex addict agit en réponse à des états dysphoriques ou à des événements de vie stressants (30-32).
Différentes formes cliniques de la pathologie
Les formes cliniques les plus fréquentes sont la masturbation compulsive, le cybersexe et les relations sexuelles virtuelles ou réelles multiples avec adultes consentants
L’addiction sexuelle ou le trouble hypersexuel comprend différentes formes cliniques (33) (34) (35). Coleman et ses collaborateurs ont évoqué l’existence de 7 sous-types de comportements sexuels impulsifs et compulsifs :
- la drague compulsive ;
- la recherche multiple de partenaires sexuels ;
- la recherche de partenaires difficiles à atteindre ou à séduire ;
- la masturbation compulsive ;
- l’utilisation compulsive de supports érotiques ;
- l’utilisation compulsive d’internet à visée sexuelle ;
- la recherche compulsive de relations amoureuses (28).
Bancroft et ses collègues ont plutôt travaillé sur 2 types de comportements sexuels à risque de perte de contrôle : la masturbation et l’utilisation excessive d’Internet à la recherche d’une gratification sexuelle. Beaucoup d’hommes et de femmes utilisent Internet en ce sens. Outil disponible, anonyme, il permet d’avoir des supports sexuels en ligne rapidement pour les hommes alors que pour les femmes, les interactions cybersexuelles sont indirectes (Chats, messages, mails, etc.) (4).
Pour Kafka et ses collègues, les différents sous-types du trouble hypersexuel sont la masturbation excessive (la plus fréquente cause de consultation) (36), le cybersexe, l’utilisation excessive de la pornographie, différents types de comportements sexuels avec des adultes consentants, le sexe par téléphone mobile, la fréquentation excessive de clubs de strip-tease ou échangistes (6).
Conséquences de l’addiction sexuelle
Les conséquences de l’addiction sexuelle sont identiques à celles retrouvées dans l’addiction aux drogues par exemple (35). Il y a des risques d’infections sexuellement transmissibles en raison d’une non-protection lors des rapports sexuels (VIH, chlamydiose, gonococcie, etc.) et de grossesse non désirée (10, 21). Il existe des co-addictions au tabac, à l’alcool, aux drogues illicites (cocaïne, GBL, nouveaux produits de synthèse, etc.) et aux jeux de hasard et d’argent, en particulier chez les hommes (6). Les achats compulsifs et l’addiction au travail sont également retrouvés (10, 21).
Les comorbidités psychiatriques retrouvées sont les troubles de l’humeur, une dysthymie, une dysrégulation du sommeil et de l’appétit, une anxiété sociale, des troubles anxieux dont l’état de stress post-traumatique, une impulsivité, et un trouble de l’hyperactivité avec déficit de l’attention (3) (25) (33) (37).
Les études sur les fonctions neurocognitives dans les addictions sont contradictoires (23).
Approche thérapeutique
Comme pour les autres addictions comportementales (jeux de hasard et d’argent, achats compulsifs, usage excessif d’Internet, etc.), l’approche thérapeutique devrait combiner agents pharmacologiques et psychothérapies (38).
Les comorbidités psychiatriques, somatiques et sociales doivent être prises en compte dans la prise en charge de ce trouble et de ce fait, être intégrés en même temps que la prise en charge du trouble addictif. La prise en charge individuelle peut être complétée par des groupes de parole.
Aucun traitement pharmacologique n’a l’AMM pour ce trouble. Il n’existe pas d’études contrôlées contre placebo sur cette question. Une petite étude randomisée sur 12 semaines avec un antidépresseur de la famille des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (citalopram 20–60 mg) sur la conduite sexuelle, le désir sexuel, la fréquence de masturbation et l’utilisation de la pornographie (39).
D’autres études ouvertes ou cas rapportés avec la fluoxétine (40), la naltrexone (41) et le topiramate (42) ont permis une diminution des comportements sexuels excessifs.
Les entretiens motivationnels, la thérapie cognitive et comportementale, les thérapies de couple et familiales doivent être intégrés dans la prise en charge des patients (43). Les thérapies comportementales permettent une réduction de l’usage de substances et agissent sur les systèmes neurobiologiques impliqués dans le contrôle cognitif, l’impulsivité, la motivation et l’attention (44). Par extrapolation, il est possible de l’utiliser pour les addictions comportementales.
Enfin, les groupes d’auto-support comme DASA (Dépendants Affectifs et Sexuels Anonymes) doivent être proposés aux patients (réunions sur www.dasafrance.free.fr). Leurs bases reposent sur les mêmes principes que ceux des Alcooliques Anonymes (45).
Conflits d’intérêt : Le Dr Karila a reçu des honoraires des laboratoires BMS, Euthérapie, Astra Zeneca, Lundbeck, Gilead, DA Pharma, Reckitt-Benckiser, Bouchara-Recordati pour des interventions ponctuelles.
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