Un article publié dans Presse Médicale
Le Docteur Sannier et ses collègues viennent de publier un travail fort intéressant dans « Presse Médicale » sur les pratiques à risque liées à l’usage de drogues en détention et les stratégies de réduction du risque infectieux mises en œuvre au Centre Pénitentiaire de Liancourt.
Méthode
Un questionnaire a été remis aux 700 détenus de l’établissement par l’équipe de l’UCSA puis récupéré dans une urne peu après par la même équipe dans des conditions garantissant l’anonymat.
Les questions portaient sur les consommations de tabac, alcool et drogues illicites ainsi que leurs modalités d’usage, avant et pendant l’incarcération, le suivi en détention et la prescription de TSO. Des questions portaient également sur le dépistage du VIH, VHB et VHC et la connaissance de leur statut sérologique et l’éventuelle mise en place de programmes d’échange de seringues ou de kits « sniff » en détention.
Résultats
Consommations
Sur l’ensemble des 700 détenus au moment de l’étude, plus de la moitié a répondu (54%, soit 381 détenus). Les fumeurs sont majoritaires en détention mais ils sont moins nombreux à fumer qu’au dehors (67% en détention vs. 81% au dehors).
Il existe également une consommation déclarée d’alcool en détention pour 19% des détenus, dont 1/3 régulièrement, alors qu’ils sont 69% à déclarer en consommer au dehors.
En ce qui concerne les drogues, ils sont 166 (44% des répondants) à déclarer un usage de drogues en détention, dont 12 (3,2% des répondants) parmi eux qui ont initié cet usage de drogues en détention (dont 2 de l’héroïne et 4 des benzodiazépines).
Parmi ces usagers, 31 (8% des répondants) déclarent consommer plus d’une drogue en détention. A noter que parmi les répondants, 229 (60%) déclarent consommer au moins une drogue avant leur incarcération.
Les produits consommés sont par ordre décroissant :
- du cannabis (146 – 38% des répondants, dont 62 – 16%, quotidiennement)
- des benzodiazépines hors prescription (33 – 9%)
- de l’héroïne (31 – 8%)
- de la cocaïne (27 – 7%)
- des opioïdes hors protocole (26 – 7%)
41 sujets disent avoir initié la consommation d’une nouvelle drogue en prison (qu’ils aient consommé ou non auparavant des drogues) dont 6 de l’héroïne, 4 du crack, 3 de la cocaïne, 5 d’autres stimulants et 9 des traitements morphiniques (probablement des TSO).
Pratiques à risques
En ce qui concerne les pratiques à risque, 1/3 (24 sujets, 6% des répondants) des sujets sniffant au dehors (76 sujets – 20% des répondants) continue à pratiquer le sniff en détention et 4 sujets sur les 21 déclarant des pratiques d’injection avant l’incarcération continuent à s’injecter en détention. En tout, 5 déclarent pratiquer l’injection en détention mais 7 détenus déclarent avoir déjà partagé leur matériel d’injection.
Parmi ceux s’injectant et/ou sniffant en détention, 3 déclarent être séropositifs pour le VIH, 3 pour le VHB et 4 pour le VHC. Il faut noter que parmi les répondants, à peine plus de la moitié (52%) déclare connaître son statut sérologique pour le VIH et moins de la moitié pour le VHC et VHB (46% et 48% respectivement).
Parmi les patients recevant un TSO (41), la méthadone est majoritaire (25 vs. 16 pour la buprénorphine). Douze des sujets traités par TSO continuent à prendre de l’héroïne en détention et 4 continuent parallèlement à s’injecter des produits (pratique qui préexistait à l’incarcération).
Enfin, 1 sujet sur 2 déclarant sniffer en détention dit être intéressé par la mise à disposition de matériel renouvelable de sniff et 4 injecteurs sur les 5 recensés comme étant actifs en détention, l’être par un kit d’injection.
Les auteurs concluent à une inefficience des stratégies actuelles de prévention de l’usage de drogue et des risques associés en détention, basées exclusivement sur la répression de l’usage de drogue.
Ils appellent à une adaptation du dispositif de prise en charge sanitaire avec un étayage en termes de moyens et une diversification des stratégies, allant des unités sans drogues aux programmes d’accès au matériel stérile d’injection ou de sniff.
Commentaires de la rédaction
Voici enfin des données récentes sur les pratiques de consommations, notamment à risque, en détention.
Elles démontrent que la France n’est pas cet îlot gaulois sans usage de drogues dans ses prisons, qui ferait exception au sein du reste de l’Europe ou du monde.
Les données d’une autre étude viennent d’ailleurs confirmer ces résultats (1). Elles ont été présentées à Bordeaux le 15 mars 2012 aux journées régionales du GRRITA et de la Fédération Addiction sur le thème des addictions en milieu carcéral. Cette étude en cours de publication date de 2008 et porte sur la prison de Gradignan, reposant sur une méthodologie comparable (questionnaires anonymes remis aux détenus un jour donné).
Sur 680 questionnaires adressés, 177 avaient été retournés et 107 étaient exploitables (16%).
Parmi ces 107 répondants, 87% déclaraient la présence de cannabis en détention, 67% de cocaïne, 57% d’alcool, 54% d’héroïne et 28% de crack ; 29% déclaraient la présence d’autres substances ou médicaments tels que LSD, MDMA, amphétamines, opium (rachacha), buprénorphine, méthadone. A l’exception du tabac, 25% déclaraient avoir consommé de l’alcool, 49% du cannabis, 29% de la cocaïne, 9% du crack, 20% de l’héroïne et 23% d’autres substances (principalement des médicaments détournés de leur usage). Parmi ceux pratiquant l’injection, 60% déclaraient partager leur matériel et parmi ceux déclarant sniffer, 50% déclaraient partager leur paille.
L’usage de drogues existe bel et bien dans les prisons françaises (mais qui en doutait ?) et ne concerne pas que le cannabis. Il est intéressant d’ailleurs de noter que parmi les produits de consommation déclarés, l’héroïne se situe devant les traitements opioïdes hors protocole, relativisant donc la place considérable donnée au détournement de TSO en prison.
Les drogues illicites circulent en détention et pire, certains sujets s’y initient pendant leur incarcération !
En termes de pratiques à risques, si les détenus ont moins de pratiques d’injection ou de sniff qu’au dehors, lorsqu’ils en ont, celles-ci sont effectuées en prenant plus de risques qu’au dehors (partage de matériel ou réutilisation du matériel de consommation plus fréquents), de nombreux sujets étant par ailleurs séropositifs pour le VIH ou le VHC (3 sur 5 déclarant pratiquer l’injection sont séropositifs pour le VIH et 4 sur 5 pour le VHC).
Ce constat justifie la mise en place de dispositifs adaptés (accès à un matériel d’injection ou de sniff renouvelable).
Y a-t-il cependant un seuil d’usagers ayant des pratiques à risques en-dessous duquel des interventions adaptées ne sont pas justifiées au regard de ce qu’elles impliquent sur un plan institutionnel ? Sûrement pas.
Ce serait perdre de vue l’objectif de santé publique pour la communauté sans cesse rappelé par l’Organisation Mondiale pour la Santé ou l’ONUSIDA : ces usagers retournent dans la communauté, voire font de fréquents allers-retours entre la prison et le milieu libre, constituant un risque sanitaire réel.
Rappelons que des travaux scientifiques récents ont démontré que seule l’association de programmes de substitution à dose suffisante avec des dispositifs d’échange de seringues permettent de réduire l’incidence du VHC chez les usagers de drogues (Van Den Berg, 2007 ; Turner, 2011).
Par ailleurs, le programme d’échange de seringue de la prison de Champ-Dollon, à Genève, primé par l’OMS, maintes fois loué pour la qualité de son intégration dans le dispositif pénitentiaire/sanitaire et fonctionnant depuis de nombreuses années, ne concerne qu’une trentaine de détenus par an pour un établissement en accueillant jusqu’à 600 en 2010 pour 270 places, donc dans des conditions de surpopulation extrêmes.
Un autre apport intéressant est de relever que lorsque l’on interroge les sujets concernés par ces pratiques à risques, ils sont majoritairement favorables à un accès à du matériel d’injection ou de sniff renouvelable.
Les autres détenus sont plus tièdes vis-à-vis de ces mesures, ce qui finalement est le reflet de l’opinion de la population en milieu libre sur les mêmes sujets.
Il est également à noter une proportion plus importante de sujets traités par méthadone que par buprénorphine.
Ce pourrait être une particularité locale mais ceci reflète probablement aussi une préférence en détention parmi les soignants et/ou patients pour la méthadone, plus facile à superviser quotidiennement pour éviter le trafic des TSO, et cliniquement plus adaptée à des usagers de drogues présentant des comorbidités importantes ou une dépendance sévère, fréquentes en prison.
Les données de l’inventaire PRI2DE des mesures de réduction des risques en détention et l’enquête PREVACAR sur la prévalence du VIH/VHC et le dispositif de soin, retrouvaient récemment des ratios méthadone/buprénorphine plus élevés qu’au dehors (3/4 vs. 2/3), allant dans le sens de ces résultats.
On pourra alléguer des limites méthodologiques dans cette étude.
Il s’agit d’auto-questionnaires, la déclaration d’un usage de drogues pouvant être sujette à caution. Les auto-questionnaires sont pourtant largement employés dans les enquêtes auprès des usagers de drogues en milieu libre, sans que l’on remette en cause leur validité.
Le croisement avec les données de prélèvements urinaires permettent d’ailleurs le plus souvent de corroborer assez fidèlement les propos des usagers.
Au contraire, si la condition de détention influence la déclaration des consommations, il y a fort à parier que c’est dans le sens d’une sous-déclaration, les détenus exprimant une constante méfiance quant à la confidentialité réelle des données recueillies en détention, même sur un plan et par des intervenants sanitaires. Notre nouveau président s’est prononcé sur les programmes d’échanges de seringues en détention : nous attendons des mesures nouvelles.
Note
- (1) Rossard P, Riune-Lacabe S, Cousin P, Denis C, Auriacombe M. Consommation de substances et comportements à risque au cours de l’incarcération. Enquête à la maison d’arrêt de Gradignan (Gironde).