Cette étude récente menée par des chercheurs britanniques semble confirmer qu’un traitement de substitution à la méthadone ou à la buprénorphine d’une durée d’un an ou plus réduirait de façon importante le nombre de décès liés à la consommation de drogues chez les héroïnomanes en médecine générale.
En effet, les résultats de cette vaste étude de cohorte ont montré que chez les patients ayant bénéficié d’un traitement de substitution pendant 12 mois ou plus, la probabilité estimée que ce traitement réduise la mortalité est supérieure à 85%, alors qu’elle n’est que de 25% pour une durée de 20 à 30 semaines et de 65% si le traitement est donné pendant 40 semaines.
« Ce traitement réduit le risque de mortalité, mais la durée du traitement est un facteur important » a déclaré à Medscape Medical News, Matt Hickman, professeur de santé publique et épidémiologie à la School of Social and Community Medicine de l’Université de Bristol au Royaume Uni.
Par ailleurs, les auteurs de cet article écrivent que « une supervision plus rapprochée est nécessaire », car des risques significatifs de mortalité ont été constatés au cours des 28 premiers jours de traitement et pendant le premier mois qui suit l’arrêt du traitement. En effet, le risque de mortalité dans le premier mois après l’arrêt est 4 fois supérieur par rapport au reste de la période sans traitement, confirmant ainsi les résultats observés pour les sortants de prison.
Les auteurs de cette étude écrivent que, « bien que la différence de mortalité parmi les consommateurs d’opiacés entre les périodes de traitement et les périodes d’arrêt de traitement soit significative et bien connue, rares sont les études qui ont analysé le risque à certains stades spécifiques du traitement ».
Ils émettent l’hypothèse selon laquelle le risque accru de décès pendant le premier mois de traitement et, en particulier, pendant le premier mois qui suit l’arrêt du traitement pourrait rendre nul tout effet protecteur du traitement de substitution aux opiacés, sauf prolongation du traitement.
L’étude a été mise en ligne le 27 octobre sur le site du British Medical Journal.
« Pour les consommateurs d’opiacés, le taux de décès annuel s’élève à environ 1%, à savoir plus de 10 fois supérieur à celui de la population générale et représente plus de 10% de la mortalité des adultes, » écrivent les auteurs de l’étude. La plupart des décès sont dus à une overdose. Au Royaume Uni, on estime le nombre de consommateurs d’opiacés à 250 000, principalement suivis en médecine de ville.
Pour cette étude, les chercheurs ont recueilli leurs informations dans la Base de données des Médecins Généralistes anglais. Ils ont pu évaluer les données relatives à 5 577 patients suivis en cabinets de médecine générale âgés de 16 à 59 ans (58% de moins de 30 ans au début du traitement, dont 69% de sexe masculin) ayant bénéficié d’une prescription de méthadone ou de buprénorphine non injectable entre 1990 et 2005.
Un total de 267 003 ordonnances ont été émises pour ces patients. 57% des patients ont fait l’objet uniquement d’une ordonnance de méthadone; 19% ont reçu une ordonnance de méthadone et dihydrocodéine ; 9% ont reçu une ordonnance de méthadone et buprénorphine ; 8% ont reçu une ordonnance de buprénorphine seulement; 4% ont reçu une ordonnance de buprénorphine et dihydrocodéine et 4% une ordonnance de méthadone, buprénorphine et dihydrocodéine.
Tous les patients ont fait l’objet d’un suivi jusqu’à un an après l’expiration de leur dernière ordonnance, ou jusqu’à la date de leur décès survenu avant l’expiration de la période, ou encore jusqu’à la date de transfert à un autre cabinet. La durée médiane du suivi a été de 2 ans. Le principal critère de mesure des résultats était la mortalité toutes causes confondues. Parmi les critères de mesure secondaires : le risque de décès à différentes périodes pendant et après la fin du traitement.
Une mortalité deux fois supérieure en l’absence de traitement
Les résultats de l’analyse ont montré que 178 patients sont décédés (62 pendant le traitement, 116 dans un délai d’un an après leur dernière prescription).
Le taux de mortalité brut global s’élevait à 0,7 par 100 années-personne pendant le traitement de substitution aux opiacés et à 1,3 en l’absence de traitement. Plus précisément, le taux de mortalité brut hors traitement était presque deux fois supérieur à celui observé pendant le traitement et, après réajustement (selon l’âge, le sexe, la période calendaire et la comorbidité), le ratio de taux de mortalité était plus de deux fois supérieur (2,3; 95% d’intervalle de confiance [CI], 1,7 – 3,1).
« Par ailleurs, la mortalité augmentait avec l’âge et était associée sans aucun doute au score de comorbidité » précisent les chercheurs. « Il n’a pas été constaté de différence significative entre la buprénorphine et la méthadone en comparant la totalité de la période avec et sans traitement », écrivent également les auteurs de l’étude.
Enfin, de brèves durées de traitement, de 20 à 30 semaines, ont moins de 25% de chance de réduire le le taux global de mortalité. Cependant, ce taux augmente à 65% avec une durée de 40 semaines et à plus de 85% avec des durées d’environ un an ou plus.
« Le risque global de décès, les ratios de mortalité normalisés et la différence globale de taux de mortalité entre les périodes de traitement et les périodes sans traitement – concernant les consommateurs d’opiacés au Royaume Uni dans le secteur des soins primaires pris en compte dans la présente étude – sont cohérents par rapport à la littérature internationale » déclarent les chercheurs.
Selon eux, d’autres recherches sont nécessaires afin d’analyser l’effet de la durée moyenne des TSO sur la mortalité liée à la consommation de drogue. Ils espèrent que d’autres se pencheront sur les actions susceptibles de réduire le risque de rechute après le traitement.
Commentaires de la rédaction
Les bénéfices que permettent les traitements de substitution aux opiacés en termes de mortalité mais aussi de baisse des contaminations pour les affections virales, de complications somatiques, de délinquance, d’insertion, etc. ne sont plus à démontrer. Il en est de même quant à l’amplitude de ces bénéfices, conditionnée par la durée du maintien en traitement.
Par contre, il est intéressant de noter que des séquences trop courtes en traitement peuvent limiter – par le risque accru d’overdoses associées à l’initiation puis à l’arrêt du traitement – le bénéfice lié à ces thérapeutiques.
Si l’amélioration de l’accès aux TSO est actuellement nécessaire en France, l’accent mis sur les risques potentiels à l’initiation puis à l’arrêt sont également toujours à rappeler, autant chez les professionnels que chez les patients.
En ce qui concerne l’extension de la primo-prescription de méthadone à la médecine de ville, l’étude ANRS Méthaville devrait bientôt pouvoir nous fournir des données sur sa faisabilité en termes de sécurité et les circonstances requises pour la garantir dans le « contexte » français.
Commentaires de lecture adressés à la rédaction par le Dr Xavier AKNINE, Centre EMERGENCE, Paris
Publié dans le Flyer n° 43 (Mai 2011)
Merci au Flyer pour l’information sur cette étude menée en Grande-Bretagne auprès de médecins généralistes, ce qui n’est pas si fréquent !
Elle pose bien sûr le problème du début et de la fin de traitement par la méthadone et la buprénorphine, qui sont des périodes à risque d’overdose et donc de mortalité mais elle montre surtout, chiffres à l’appui, une réduction globale très importante de la mortalité pour les patients sous TSO depuis au moins un an, ce qui permet de resituer l’enjeu majeur de santé publique des TSO. Elle montre aussi l’importance de la durée du suivi.
Cela confirme des études menées en France qui montrent que les indicateurs de santé physique et mentale s’améliorent nettement au bout de 2 ans de traitement et continuent de s’améliorer au-delà.
Personnellement, les cas de décès sous TSO que j’ai observés parmi mes patients étaient souvent liés à des tentatives de suicide (médicaments + alcool) par des patients au bout du rouleau (dont certains sous trithérapie ARV).
En France, il n’ya pas eu d’étude depuis bien longtemps sur la mortalité des UD sous TSO suivis par leur MG. Je pense qu’il serait utile de lancer une nouvelle étude, pilotée par des généralistes et non par des hospitaliers.
Quant à l’étude Méthaville, pilotée par l’ANRS, il est scandaleux qu’elle n’ait pas encore rendu ces conclusions après 3 ou 4 ans d’atermoiements.
Normalement, l’enjeu de cette étude n’est pas une histoire de sécurité, on sait depuis des années que le suivi des patients sous méthadone par leur médecin généraliste ne pose pas de problème.
L’enjeu était de démontrer que la méthadone, primo-prescrite par des médecins de ville, pouvait réduire l’incidence de l’hépatite C. On attend impatiemment les résultats.
Jean-François DELFRAISSY, directeur de l’ANRS, a annoncé au comité de suivi du plan hépatites que les résultats seraient rendus publics en juin 2011. Affaire à suivre !
Mais, là aussi, on aurait pu être beaucoup plus efficace si on avait demandé aux MG de piloter l’étude.