Introduction
Cette étude publiée en début d’année et menée par des cliniciens expérimentés dans la conduite des traitements par la méthadone donne un éclairage supplémentaire concernant l’allongement de l’intervalle QT qui pourrait être lié à la méthadone et qui pourrait occasionner l’apparition de torsades de pointe. Les auteurs rappellent en introduction quelques généralités sur l’allongement de l’intervalle QT et notamment le fait que celui-ci est le lot d’un grand nombre de médicaments utilisés en pratiquecourante. (antipsychotiques, antidépresseurs, antibiotiques, anti-histaminiques,…)
Par ailleurs, dans la population générale, un certain nombre de patients, difficile à évaluer, présente un syndrome de QT long congénital. Certains opiacés allongent l’intervalle QT et l’exemple le plus marquant a été celui du LAAM (levo-acetyl-methadol) dont le retrait du marché est survenu à la suite de décès de plusieurs patients, consécutifs à des torsades de pointe.
Quelques incertitudes
Récemment, plusieurs publications ont fait état de torsades de pointe chez des patients recevant un traitement par la méthadone. L’une d’entre elles (Krantz) concerne 17 patients recevant en moyenne 400 mg/jour de méthadone (à visée analgésique). Sur ces 17 patients, 14 bénéficiaient soit d’un défibrillateur soit d’un pacemaker, et 7 d’entre eux présentaient une hypokaliémie ou une co-médication pouvant être à l’origine d’arythmies. D’autres publications concernent des cas de pharmacovigilance, souvent isolés ou regroupés à des fins de publication. Un éventuel effet dose-dépendant est soit mis en avant, soit contredit dans ces publications. Bien souvent, il manque une donnée essentielle qui, seule, pourrait quantifier l’allongement de l’espace QT que l’on pourrait imputer à la méthadone, c’est une mesure de l’espace QT avant la mise sous traitement.
Par ailleurs, pour des patients dépendants aux opiacés, il serait prudent de disposer de résultats d’analyses urinaires objectivant ou non la prise de substances allongeant ou suspectées d’allonger l’intervalle QT (héroïne, cocaïne, amphétamines, cannabis…). Enfin, les données cliniques et électro-physiologiques ne sont jamais mises en parallèle avec les taux sanguins de méthadone, ce qui au regard des variations inter-individuelles du métabolisme de la méthadone, largement décrites et admises aujourd’hui, peut paraître surprenant.
Etude : Méthode
L’étude a consisté à pratiquer un ECG chez 83 patients recevant un traitement par la méthadone depuis plus de 6 mois, à posologie stable depuis au moins 4 mois. Tous ces patients avaient la méthadone comme seul médicament. Au moment de l’ECG, tous les patients avaient des urines négatives aux opiacés naturels, à la cocaïne et aux amphétamines. La posologie moyenne était de 87 mg avec des extrêmes à 10 et 600 mg/jour.
Résultats
La répartition des intervalles QTc (QTc = QT corrigé – formule de Bazett) est montrée dans le graphe 1 ; 4 patients ont un intervalle QT qui se situe au-delà des valeurs normales (480 ms pour les femmes et 470 ms pour les hommes dans cette étude). Deux d’entre eux ont un intervalle QTc > 500 ms. Le premier (528 ms) a 43 ans et reçoit quotidiennement 120 mg de méthadone par jour ; le second (556 ms) âgé de 33 ans reçoit une posologie quotidienne de 90 mg. La moyenne de l’espace QT dans cet échantillon est de 423 ms ± 40 ms, très légèrement supérieure aux valeurs de référence pour des patients du même âge. Un effet dose-dépendant n’a pas pu être établi dans cette étude.

Graph 1 : d’après Maremmani et al.
Les auteurs concluent que le risque d’arythmie reste ‘théorique’ aussi longtemps que les patients sont en mono-thérapie, mais que par ailleurs, il y a lieu d’optimiser la sécurité cardiaque au cours des traitements de maintenance à la méthadone.
Cette recommandation rejoint la demande de modification du RCP (Résumé des Caractéristiques Produit) du chlorhydrate de méthadone AP-HP commercialisé en France, demande formulée à l’AFFSAPS en février 2005.
Indications pour la pratique d’un ECG
La pratique d’un ECG est recommandée pour les patients présentant des facteurs de risque associés à l’allongement de l’intervalle QT :
- posologie supérieure à 120 mg ou méthadonémie élevée (> à 800 ng/ml par exemple),
- association avec un ou plusieurs médicaments allongeant l’intervalle QT ,
- association avec des médicament inhibiteurs enzymatiques augmentant les concentrations plasmatiques de méthadone.
On peut aussi préconiser un ionogramme à la recherche notamment d’une hypokaliémie ou d’une hypomagnésémie, facteurs connus d’allongement du QT.
D’une façon générale, il n’y a pas lieu d’avoir une quelconque réticence à pratiquer, ou faire pratiquer par un spécialiste, un examen cardiaque complet et ce, chez une grande majorité de patients recevant au long cours un traitement par la méthadone, en présence ou non de facteurs identifiés d’allongement de l’intervalle QTc. Cela ne peut que participer à l’amélioration de la sécurité des traitements et de la santé des patients.