Contexte : évolution des polyconsommations et milieu rural
En 2001, a été créée au sein de l’hôpital de PontAudemer une équipe de liaison en alcoologie (0,5 ETP médecin, 0,5 ETP IDE, 0,5 ETP assistante sociale, 0,5 ETP secrétaire, 0,5 psychologue) qui s’est transformée ensuite en CCAA (Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie).
Au sein de la population suivie, nous avons bien sûr rencontré des patients polyconsommateurs dont des héroïnomanes substitués ou non par buprénorphine.
Parmi ces usagers, certains présentaient des complications plus particulièrement propres à leur usage d’héroïne ou leur mésusage de buprénorphine : séquelles d’injection (œdèmes, abcès, troubles circulatoires), hépatite C, alcoolo-dépendance secondaire (déplacement de dépendance), problèmes judiciaires, …
La prise en charge de ces patients dépendants aux opiacés était menée par les médecins traitants et rarement par des CSST (Centres de Soins Spécialisés pour Toxicomanes). En effet, ces structures sont très éloignées et de ce fait l’accès peut être difficile (il faut compter environ ¾ d’heure de route minimum pour se rendre dans un centre).
Carte des centres de soin dans l’Eure.

Cet éloignement et le manque de réseau de transport constituent une particularité du milieu rural alors que celui-ci est maintenant très concerné aussi par le développement de la consommation d’héroïne. Pont-Audemer n’échappe pas à cet emballement.
Je me suis appuyée, l’année 2007, sur la circulaire DGS/DHOS 2002/57, élargissant la primoprescription de méthadone à tout praticien hospitalier, pour commencer à répondre aux demandes des patients poly-usagers et pharmacodépendants aux opiacés, et à la problématique locale.
L’implication de la pharmacienne de l’hôpital de Pont-Audemer, qui a pris les premiers contacts avec la firme qui commercialise la méthadone ainsi que le soutien de l’infirmière de l’équipe ont été déterminants.
Il faut reconnaître qu’il s’est agi avant tout d’une décision de professionnels directement impliqués dans la prise en charge concrète des patients, la psychologue et l’assistante sociale étant plus en situation d’observation.
A la même époque, l’évolution obligatoire des structures en CSAPA (Centres de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie) nous a conduit à mener une enquête auprès des médecins généralistes du secteur (voir questionnaire ci-dessous), puisque la question essentielle était soit de garder la prise en charge d’alcoologie seule (CSAPA spécifique alcoologie) soit d’élargir le champ aux autres addictions (CSAPA généraliste).
Questionnaire utilisé pour l’enquête auprès des médecins généralistes de Novembre 2007 à Mars 2008
- (1) Suivez-vous des patients toxicomanes?
- (2) Dans quelles circonstances? (cabinet ou autres?)
- (3) Prescrivez-vous du Subutex®, de la méthadone?
- (4) A combien de patients environ?
- (5) Travaillez-vous avec une structure spécialisée? si oui, laquelle ou lesquelles?
- (6) Comment cela se passe-t-il avec les pharmaciens?
- (7) Faites-vous des surveillances urinaires?
- (8) Rencontrez-vous des difficultés? Si oui, lesquelles?
- (9) Les CCAA et les CSST doivent évoluer vers des CSAPA (Centre de Soin, de Prévention, d’accompagnement et de Prévention en Addictologie);êtes-vous intéressé par cette évolution? Que pourriez-vous en attendre?
- (10) A propos du CCAA et de la prise en charge des problèmes d’alcool, avezvous des demandes
- (11) Eprouvez-vous un besoin de formation/information?
Les résultats de cette enquête, le retour des données de la CPAM sur le nombre de patients sous buprénorphine dans le secteur, nos observations et les encouragements de la DDASS allaient tous dans le même sens, nous incitant à « franchir le cap ».
Le CCAA de la Risle est donc devenu CSAPA de la Risle, à orientation généraliste, en mars 2009, pour répondre aux différentes missions définies par la circulaire de 2008 : accueil, information, évaluation médico-sociale, soins aux personnes et accueil de l’entourage.
Quel est le cadre thérapeutique du CSAPA de la Risle?
Nous avons essayé d’avoir un cadre thérapeutique souple, c’est-à-dire individualisé. Nous nous appuyons sur le fait que la motivation, seule, n’induit pas la réussite (comme pour l’alcool), et que le lien de confiance entre l’équipe soignante et l’usager est primordial.
Pour la méthadone, nous proposons un 1er rendez-vous le plus tôt possible, habituellement avec l’infirmière, en précisant à l’usager que ce ne sera pas à cette occasion que lui sera prescrit et délivré le médicament de substitution opiacé (MSO). Ce rendez-vous permet de réaliser une première évaluation des besoins du patient.
L’augmentation des demandes de traitement par méthadone est importante et nous n’avons malheureusement pas les moyens de réduire le délai d’1 mois avant la mise en place d’un traitement par la méthadone par le médecin (après analyse urinaire et bilan sérologique lors du 2ème rendezvous). Entre ces deux rendez-vous, l’usager peut reprendre contact avec son médecin généraliste pour un éventuel renouvellement ou une simple prescription de buprénorphine.
L’augmentation des demandes de traitement par méthadone est importante et nous n’avons malheureusement pas les moyens de réduire le délai d’1 mois avant la mise en place d’un traitement par la méthadone par le médecin (après analyse urinaire et bilan sérologique lors du 2ème rendezvous). Entre ces deux rendez-vous, l’usager peut reprendre contact avec son médecin généraliste pour un éventuel renouvellement ou une simple prescription de buprénorphine.
L’initialisation du traitement se fait soit directement en ville (prescription du CSAPA et délivrance en pharmacie d’officine), soit dans les locaux du CSAPA où l’infirmière dispense chaque jour le traitement pendant quelques jours ou quelques semaines.
Le traitement peut également être mis en place au cours d’une hospitalisation en cas de nécessité telle qu’une dégradation somatique importante, le besoin d’un sevrage d’alcool…
Dès que le patient est stabilisé, et qu’il a obtenu l’accord d’une pharmacie, nous privilégions la délivrance en officine. Le suivi en relais par un médecin de ville (avec accord de celui-ci pour une délégation) se fait en alternance avec le CSAPA qui revoit ainsi l’usager 1 fois par mois ou tous les 2 mois. Cette consultation mensuelle au CSAPA permet, de nous positionner en tant que pôle référent et de faciliter les échanges avec les médecins généralistes.
Un entretien avec l’assistante sociale d’une part, la psychologue d’autre part, est systématiquement proposé. Dans notre expérience cependant, nous avons pu observer que ce n’est que dans un deuxième temps, après quelques mois de traitement, que les patients arrivent à s’engager dans une psychothérapie.
L’évolution dans la prise en charge des usagers
Nous avons donc reçu de nombreux patients toxicomanes en plus de notre activité auprès des patients avec un problème d’alcool.
La prise en charge médicale des dépendances aux opiacés passe aujourd’hui quasiment toujours par des traitements de substitution (TSO), ce qui est plus technique et plus facilement accessible, dans un premier temps, que la prise en charge de l’alcoolo-dépendance, grâce au soulagement rapide du manque par une substance proche de la substance addictogène.
Si cette approche substitutive diffère, certains outils sont néanmoins transposables d’une addiction à l’autre, que ce soit la notion de la prise en charge médico-psycho-sociale, l’entretien motivationnel, la prévention de la rechute, la prise en compte des comorbidités psychiatriques, l’intérêt du travail en réseau…
Nous avons démultiplié les contacts avec les pharmaciens. Nous avons dans notre réseau informel 25 médecins et 17 pharmaciens.
Il y a quand même une lourdeur importante à gérer les prescriptions / dispensations / surveillance des TSO. Cela constitue l’objet de tractations répétées avec certains patients (jours et horaires de rendez-vous, compatibilité avec un emploi instable, respect des contraintes de tous) qui peut être envahissant car chronophage.
De plus la législation qui encadre les TSO oblige à revoir très régulièrement les patients, même stabilisés, et il est ainsi difficile d’alléger la prise en charge au-delà d’un certain seuil.
Or les plannings ne sont plus extensibles et les médecins généralistes du secteur sont en sous nombre dans notre région. Les délégations en médecine de ville, qui sont nécessaires pour envisager un turn-over, ne sont pas si simples à mettre en oeuvre.
Néanmoins, des retours que nous pouvons avoir des médecins, des pharmaciens et des patients, et de l’augmentation importante de la file active de quelques patients héroïnomanes en 2006 à près d’une centaine à l’heure actuelle, nous déduisons que nous remplissons effectivement notre mission. En 2009, notre file active avait augmenté de plus de 50%, comptant alors 331 patients.
Une initialisation de méthadone a été menée pour 58 patients, et plus de 80 en 2010 sont suivis pour ce traitement.
1er produit concernant la prise en charge au CSAPA de La Risle (données 2009)

La prise en charge s’est aussi élargie à la réduction des risques grâce au contact avec le CAARUD d’Evreux : mise à disposition de Stéribox®, Sterifilt®, préservatifs…
En revanche, l’expérience du groupe de parole réalisé en partenariat avec une association d’anciens buveurs n’a pas été poursuivie. La participation à un même groupe des deux populations ne nous paraît pas possible dans l’état actuel des choses.
Il reste des choses à mettre en place, comme la participation des usagers (loi 2002-2), la réponse aux demandes d’action de prévention en milieu scolaire ou autre et la reprise d’activités de groupe.
Même si notre effectif s’est étoffé, avec des temps de psychologue et de secrétariat, bientôt de médecin et d’infirmière, la montée en charge nous a quand même prise de vitesse.
De ce fait, nous avons pris la décision de refuser les patients qui n’étaient pas domiciliés sur notre bassin géographique (et plus particulièrement la région de Honfleur, qui est limitrophe mais hors région et n’a pas de CSAPA) pour une demande de première prise en charge.
Conclusion
Après 1 an de recul, nous pouvons dire que la création du CSAPA de la Risle à Pont-Audemer est très bien accueillie par les patients, les médecins et les pharmaciens.
Le passage du CCAA de la Risle en CSAPA généraliste aura permis de trouver une réponse adaptée aux besoins de nos confrères médecins généralistes et à ceux des usagers de drogues de la région.
En effet, le CSAPA de la Risle a permis de faciliter l’accès à des soins en addictologie pour les usagers dans une région plutôt isolée. Nous avons également établi des partenariats avec les professionnels de santé, que nous accompagnons dans le suivi des patients en ville.
Il reste néanmoins des points d’amélioration à apporter, en particulier en ce qui concerne les patients usagers de drogues (délai de mise en place du traitement, accueil plus large…) alors même que la file active continue à augmenter. Cela implique pour l’équipe de rester vigilante quant au sens et à la qualité de sa mission.