Le 1er mars 2019, la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) émet l’alerte suivante : « Les autorités sanitaires ont été informées par le Centre Antipoison de Paris d’un signalement de personnes ayant présenté des taux anormalement élevés d’alcaloïdes (morphine et codéine) dans leurs urines. Ces personnes avaient consommé au préalable des pains aux graines de pavot. »
Cette alerte sera reprise dans la presse grand public les jours suivants :
On y apprend qu’un sandwich aux graines de pavot c’est environ 4 mg de morphine soit proche d’une forme pharmaceutique disponible (ACTISKENAN® 5 mg) et qu’une consommation régulière peut être source de problème et causer un syndrome de sevrage (en cas d’arrêt brutal).
Cette alerte confirme les contrôles réalisés en 2017 où la DGCCRF avait retrouvé 9 échantillons sur 16 de contaminés par des opiacés.
En théorie, les graines de pavot ne contiennent pas d’opiacés, contrairement à la plante.
Ces graines sont issues du pavot à opium (Papaver somniferum L.). Elles sont utilisées dans les produits de boulangerie, comme décoration d’aliments, dans les garnitures de gâteaux et les desserts, ainsi que pour produire de l’huile comestible.
La plante du pavot à opium contient 80 alcaloïdes narcotiques tels que la morphine et la codéine. Les graines de pavot peuvent être contaminées par des alcaloïdes à la suite de dommages causés par les insectes ou par contamination externe des graines durant la récolte lorsque des particules de poussière se dégageant de la paille (paroi de la capsule comprise) adhèrent aux graines.
Pour éviter cette contamination, l’union européenne impose des bonnes pratiques de culture, récolte et stockage.
L’agence européenne de sécurité alimentaire, précise, dans une évaluation des risques de 2018, que, pour des raisons de sécurité, il ne faut pas dépasser 10 µg par kilogramme de poids corporel en teneur en morphine et codéine présent sur les graines de pavot.
Les données montrent donc une exposition 5 à 6 fois supérieure.
Une enquête sur le SCAPA
Pour en avoir le cœur net, nous devions tester. Pour cela, rien de plus simple, il a suffi d’organiser entre collègues volontaires un petit déjeuner avec du pain au pavot. L’achat des baguettes au pavot a été réalisé dans la même boulangerie.
Pour les analyses urinaires, nous avons utilisé, comme à notre habitude, les bandelettes réactives Drug Screen® de la société Nal Von Minden GmbH (Carl-Zeiss-Str. 12 47445 Moers Allemagne).
Au programme, analyse urinaire à T0 avant le petit déjeuner pour que chaque « cobaye » puisse être son propre témoin. Puis ingestion d’une demi baguette (cf. photos) et analyses urinaires à la demande dans les 5h suivant la prise.
Premier constat, les graines de pavot sont en nombre très important, sans doute que le boulanger aime les « décorations » chargées.
Concernant les résultats, les 4 volontaires (3 femmes et 1 homme) sont négatifs à T0 et se positivent environ 2 h après ingestion.
La collègue qui s’est positivée le plus rapidement, est redevenue négative 5 heures après.
Les 3 autres sont restés positifs au prélèvement à 5h. Aucun effet indésirable n’a été ressenti.
En conclusion, cette petite étude de terrain à la méthodologie « légère » confirme l’alerte ainsi que l’étude (beaucoup plus rigoureuse) de Knapp-Gisclon et coll. [1]
Dans leur étude, ils ont montré des concentrations thérapeutiques de morphine et codéine à H4 après ingestion d’une baguette. Même si peu de personnes ingèrent 1 baguette entière, une quantité moins importante comme un sandwich ou une demi-baguette n’est pas anodine en terme d’apport d’opiacés et reste suffisante pour positiver les tests.
Par conséquent et compte tenu des teneurs élevées en opiacés, il semble prudent de ne pas consommer de pain au pavot trop souvent. Les plus fragiles (enfants, femmes enceintes…) devraient également s’abstenir d’en consommer. Quid d’un contrôle autoroutier ou de la médecine du travail (métiers à risques) après un déjeuner avec un bon sandwich à la morphine ? Pour les professionnels de l’addiction, lorsqu’un patient (équilibré sous substitution ou ne consommant pas d’opiacés) n’explique pas sa positivité aux opiacés, explorer son alimentation peut être une aide dans la résolution de l’énigme. Pour des raisons de santé publique, ne peut-on pas légiférer pour imposer des teneurs maxima dans ces graines ? Ceci imposerait aux fournisseurs de graines de pavot qui alimentent l’industrie alimentaire et les boulangeries de fournir un certificat d’analyse.
Sinon pourquoi exiger une ordonnance sécurisée pour de l’Actiskenan® 5 mg alors que l’achat de baguettes à la même dose est en vente libre ?
Référence
- [1] Knapp-Gisclon A, et al. Graines de pavot présentes sur du pain anormalement contaminées aux alcaloïdes de l’opium en France. Toxicologie Analytique & Clinique (2019)