I. Introduction
La douleur est un symptôme fréquent qui malheureusement en France est encore insuffisamment pris en charge. Quand il s’agit de patients » toxicomanes « , un certain nombre de tabous et croyances font que la douleur risque de ne pas être prise en compte. Le but de cet article est de donner quelques règles simples pour la prise en charge et le traitement de la douleur chez les patients usagers de drogue. Il nous faut tout d’abord distinguer plusieurs cas : celui du patient consommant régulièrement des drogues, celui du patient en substitution, et enfin celui de l’ancien usager actuellement sevré.Il est important de comprendre qu’une hospitalisation en urgence dans le cadre de la prise en charge de douleurs n’est pas une période adaptée pour débuter un sevrage. Il sera par contre important dans un tel contexte de savoir ce que consomme le patient afin d’effectuer une substitution par des traitements adaptés (syndrome de manque si l’on ne tient pas compte de cela avec risque de sortie prématurée).
Spécificités de la prise en charge
Dès l’admission du patient, l’idéal est de pouvoir établir avec lui un » contrat de soins » : arrêt de la drogue, règles pour les sorties et les visites, prévoir le traitement d’un état de manque, modalités des traitements antalgiques expliquées au patient et à l’équipe soignante (prescriptions adaptées à chaque cas). Comme tout autre patient, il est important de l’écouter, et de croire à la douleur dont il se plaint afin de mieux pouvoir y répondre. Que le patient soit en ville ou en hospitalisation la première chose à faire est de questionner le patient sur sa » toxicomanie » afin d’évaluer quelle(s) drogue(s) il consomme, en quelle quantité, par quelle voie, à quelle fréquence, depuis combien de temps, est-il en sevrage, ou prend-il un traitement de substitution,…. Les antécédents et pathologies intercurrentes seront recherchés (Hépatites, HIV, cancer, pathologies respiratoires, infectieuses, cardiaques,…..), enfin un questionnaire minutieux sur les douleurs sera effectué (l’ancienneté, la ou les localisation(s), l’intensité, le type de douleur nociceptive ou neurogène, les facteurs déclenchant ou calmant, l’horaire diurne ou nocturne, le retentissement sur la vie quotidienne, les traitements déjà utilisés, quelle réponse ont-ils pu apporter ?,…). Un examen clinique complet sera effectué. A terme, on distinguera les douleurs nociceptives faibles, moyennes ou fortes qui nécessiteront des antalgiques de paliers I, II ou III. En cas de douleurs fortes d’emblée notamment dans les pathologies cancéreuses, on débutera d’emblée par des antalgiques de niveau III (opioïdes). S’il s’agit de douleurs neurogènes on adjoindra des traitements antiépileptiques si la composante est pulsatile ou des antidépresseurs tricycliques si la douleur est plutôt continue.
Mythes et croyances autour de la prescription des opioïdes aux usagers de drogues
Pourquoi la douleur est-elle si mal prise en charge chez le patient usager de drogue ? Certains mythes et croyances autour de la prescription des opioïdes peuvent l’expliquer.
En voici quelques exemples :
II. Douleurs aiguës / douleurs chroniques
Les mêmes principes de prise en charge de la douleur seront appliqués pour le patient usager de drogue que pour tout autre personne :
- Évaluation de la douleur, traitement des pathologies sous jacentes.
- Choix de l’antalgique le plus approprié, adaptation des traitements au cas par cas.
- Évaluation de la réponse au traitement, ne pas hésiter à modifier chaque fois que cela est nécessaire le traitement, l’intervalle d’administration, les doses, la voie d’administration.
- Choisir la voie la moins invasive possible
- La meilleure dose est celle qui permet de mieux soulager la douleur sans entraîner d’effet secondaire gênant.
1. Usagers de drogue ‘actifs’
La plus grande difficulté dans ce groupe est celle de l’évaluation de la consommation réelle de stupéfiant par le patient (notamment lors d’une hospitalisation). Une surestimation peut entraîner un surdosage dans le cadre d’une substitution, une sous estimation celle d’un syndrome de sevrage avec de plus une exacerbation des phénomènes algiques. Une prise en charge par des équipes spécialisées dans ce domaine sera utile, elle permettra notamment de motiver le patient à s’adresser à un centre référent pour s’inscrire à un programme de substitution.
2. Patients substitués par la méthadone
La méthadone est une molécule ayant l’autorisation de mise sur le marché (AMM) en France pour la substitution. Elle est utilisée dans des centres spécifiques ayant reçu un agrément. Dans de nombreux pays elle est utilisée comme antalgique majeur. Elle possède une activité antalgique grâce à son action agoniste sur les récepteurs morphiniques situés dans le système nerveux central. Mais elle a également un rôle antagoniste des récepteurs NMDA (N methyl D aspartate) qui sont impliqués dans les douleurs neurogènes.
Ses avantages : elle présente une bonne absorption orale et rectale, ses métabolites ne sont pas actifs, elle possède un pouvoir analgésique élevé, il n’existe que peu de tolérance croisée avec les autres agonistes morphiniques, elle a une longue durée d’action et a un faible coût.
Son principal inconvénient : elle a une demi-vie longue et variable (entre 10 et 75 heures), elle a un potentiel de toxicité à long terme en raison de l’accumulation de ce médicament, notamment pour des patients non pharmaco-dépendants.
Pour la substitution, elle est administrée en une dose quotidienne, alors que dans la prise en charge des douleurs elle est utilisée en plusieurs prises. Une étude américaine a montré que la perception douloureuse n’est globalement pas modifiée chez les patients substitués par la méthadone, même si leur seuil de perception semble être plus bas.
Règles à respecter
Lorsqu’un patient est déjà traité par la méthadone pour substitution et qu’il présente des douleurs nécessitant des antalgiques majeurs, plusieurs règles sont à respecter : Il est important de poursuivre la méthadone aux même doses. L’antalgie se fera préférentiellement par la morphine. Il faut en effet éviter un sevrage à la Méthadone. Cela évite de plus toute confusion entre substitution et antalgie. S’il s’agit d’une douleur aiguë, le patient arrêtera d’autant plus facilement le traitement antalgique lorsque la douleur aura diminué. Dans certaines études américaines, il a été démontré que les patients ayant un long passé de substitution par la méthadone développaient des tolérances aux autres opioïdes, ce qui pouvait rendre difficile la prise en charge de la douleur. Pour ces raisons, ils utilisent la méthadone en plusieurs doses quotidiennes pour les douleurs en plus de la dose nécessaire à la substitution. De plus, l’usage de la méthadone comme antalgique permet une meilleure prise en charge des douleurs neuropathiques souvent associées aux douleurs nociceptives (rôles des récepteurs NMDA). Les codeïnés et le dextropropoxyphène sont à proscrire en traitement antalgique en association avec la méthadone en raison de risques d’accumulation.
3. Patients sevrés
Dans ce groupe de patients, le principal problème est celui de la réticence du patient, de sa famille, voire de son médecin, pour l’utilisation d’opioïdes pour le traitement de la douleur ; la principale crainte étant celle d’une rechute. Il semble que les patients les plus à risque soient ceux présentant une polytoxicomanie, désinserés socialement et inactifs. En fait, le conseil et le soutien pendant la prise en charge sont des facteurs qui permettent de limiter le risque de rechute. On peut par ailleurs conseiller au patient de participer à des groupes de parole.
III. Conclusion
La douleur chez le patient usager de drogue n’est pas plus une fatalité que pour tout autre patient. Un interrogatoire et un examen clinique rigoureux permettent de définir les patients les plus à risque, de bien cerner le type de douleurs et chaque fois que cela sera nécessaire d’utiliser les opioïdes pour calmer les douleurs importantes. En règle générale, dans le cadre de douleurs aiguës, l’utilisation de voies orales de courte durée d’action sera préférée ; en cas de douleurs chroniques, la voie orale à libération prolongée ou trans-dermique sera utilisée. On pourra par ailleurs utiliser tout autre traitement tel que l’acupuncture, la kinésithérapie, la neurostimulation,… Si le patient est traité par la méthadone, ce traitement sera poursuivi alors qu’un autre agoniste opioïde sera prescrit pour les douleurs. Il est à noter que des traitements aux longs cours par la méthadone (de plusieurs années) peuvent entraîner des phénomènes de tolérance vis à vis des autres opioïdes. Dans ce cas, certains praticiens utilisent la méthadone en plusieurs prises quotidiennes pour l’antalgie tout en laissant le traitement de la substitution en place. Un suivi régulier en interdisciplinarité permettra d’éviter les rechutes.