Les sevrages complexes réalisés dans des services d’addictologie de niveau 2 (1) représentent des périodes d’hospitalisation pendant lesquelles l’arrêt de la (des) substance(s) addictive(s) nécessite une prise en charge spécifique et polyvalente. La durée d’hospitalisation est calibrée (12 jours) et le séjour doit être accompagné de plusieurs activités thérapeutiques dont l’objectif est de proposer à la personne hospitalisée des « outils » susceptibles de l’aider à récupérer plus rapidement des conséquences physiques et psychiques de son intoxication mais également de se protéger au maximum de la rechute.
Cette définition « administrative » d’une part, et les constats cliniques d’autre part, couplés à l’expérience parfois très ancienne de certaines structures (en psychiatrie (I) , en alcoologie..), ont stimulé les addictologues pour sortir d’une réponse uniquement « bio-médicale » (c’est-à-dire « le Valium?, l’hydratation et les vitamines »), ou psychothérapeutique pure, pour élaborer des réponses corporelles, psychologiques, culturelles et éducatives.
Devant cette nécessité, notre service (2) -comme la plupart des structures équivalentes- a donc construit un protocole de prise en charge des patients hospitalisés en sevrage ou en SSR, s’appuyant à la fois sur les traitements médicaux, le suivi psychothérapeutique et un programme varié et évolutif d’activités thérapeutiques.
Au fur et à mesure des années, afin de répondre aux besoins des patients et aux exigences des textes, la simple planification d’activités est devenue un investissement spécifique lié aux orientations du service. L’engagement des professionnels médicaux et paramédicaux a permis d’enrichir les activités existantes et d’en imaginer d’autres.
Afin de favoriser le développement et la mise en place de ces activités, nous avons créé une association, l’ASAPsEA : Association de Soutien aux Activités Psychosociales et Educatives en Addictologie. Au niveau du service, l’ASAPsEA a pour but de permettre aux patients l’accès à des activités différentes ou nouvelles dont il faut évaluer « en vie réelle » les bénéfices par rapport aux activités « classiques » , afin d’améliorer la prise en charge à l’hôpital.
Au niveau national, l’ASAPsEA est destinée, à terme, à être ouverte à d’autres équipes travaillant en addictologie, afin de partager les idées et les réalisations et de s’enrichir mutuellement.
Les différentes problématiques rencontrées et les objectifs
Classiquement, les activités thérapeutiques en addictologie s’appuient sur 2 grands axes : l’activité physique ou sportive d’une part, les groupes de paroles à orientation « psychothérapeutique » d’autre part. « Faire bouger » et « faire parler » sont les moteurs essentiels de la récupération et de la prévention de la rechute. Ces actions ont des objectifs simples, basés sur la récupération d’une altération réelle du fonctionnement de l’usager.
En pratique, des temps d’activités physiques, avec un éducateur sportif, sur 45 à 90 minutes, une ou plusieurs fois par semaine permettent la récupération musculaire et la réappropriation des sensations corporelles.
Les groupes de parole, construits avec des scénarios différents, le plus simple étant une réunion des patients avec 2 soignants dont idéalement un psychologue, permettent d’évoquer certains sujets et d’en débattre dans un cadre ouvert mais contrôlé (respect mutuel…).
Toutes les équipes intervenant en addictologie sont amenées à ouvrir et « solidifier » ces activités en s’assurant des modalités de réalisation et de suivi. Mais nous pensons que d’autres modalités d’interventions sont nécessaires. Il s’agit en effet, de lutter contre l’abrasion sensorielle liée non seulement aux produits mais aussi au mode de vie, et de donner aux patients des ouvertures pour des modalités de vie différentes alimentées par l’art, la culture, la connaissance de ses capacités et l’apprentissage d’autres, une gestuelle fine, un travail sur les émotions…
Ce travail dit « thérapeutique » doit être articulé avec les fondements théoriques (3) pour en faciliter la modélisation. Ces fondements théoriques peuvent relever du champ de la psychothérapie psychanalytique, et/ou s’appuyer sur les références retrouvées dans les thérapies comportementales et cognitives (TCC) ou dans la stimulation des fonctions exécutives.
Les ateliers permettent d’agir sur plusieurs axes (en sachant qu’un même atelier peut générer des améliorations dans différents champs) :
- sensoriel : l’alcool, la cocaïne et le tabac entre autres, altèrent l’odorat et le goût. Ces ateliers qui ciblent les sens permettent un éveil de sensations différentes ou négligées (II) (renforcement positif…).
- cognitif : le déficit cognitif préoccupe les équipes. Après le temps diagnostic, les stimulations intellectuelles (en protection ou récupération) sont nécessaires. Il est établi que le maintien de l’abstinence dans le temps permet une récupération, au moins partielle, de certaines fonctions, et des activités spécifiques apportent des bénéfices supplémentaires.
- moteur : l’objectif est l’amélioration de la synchronisation des gestes, des postures, de l’équilibre. Les différents groupes musculaires sont mis en mouvement, jusqu’au travail d’une mobilité fine, digitale.
- culturel : en s’appuyant sur les compétences des patients et des professionnels pour partager des connaissances, développer la mémorisation, s’ouvrir à d’autres savoirs.
- informatif : séances d’informations sur la dépendance, les différents produits et les conséquences de leur usage.
Nous avons donc développé, dans le service, des ateliers autour de ces différents axes.
La mise en œuvre d’actions adaptées
Ces ateliers sont prévus pour chaque patient sur indication médicale. Un planning hebdomadaire attribue des horaires d’activités à des groupes de patients de taille homogène (7 personnes environ). Les contre-indications à certaines activités sont définies par l’équipe en intégrant des points particuliers soulevés par les différents intervenants dans la prise en charge du patient.
A chacune des différentes orientations, correspondent des ateliers :
- Axe sensoriel :
- atelier du goût et atelier cocktail, 45 mn par semaine chacun, animés par la diététicienne : permettent de tester et de retrouver différentes sensations olfactives ou gustatives ainsi que de réaliser des cocktails colorés, agréables, sans alcool, partagés avant le repas avec les autre patients.
- atelier musique, 1 h 30 par semaine, animé par un soignant (et un psychologue si possible): choix parmi des CD d’une chanson, écoute et partage avec les autres.
- art thérapie, 1h30 par semaine, animé par une Art thérapeute (professionnel de l’hôpital ayant une compétence spécifique) : travail sur une matière à modeler (la terre) ou travail de calligraphie.
- atelier photo, deux fois 1h30 par semaine, animé par un infirmier, qui travaille sur la stimulation des émotions, des mots et des références et redonne à la vision un rôle d’analyse fine mais agissant également sur la coordination.
- Axe cognitif :
- atelier « TCC », deux fois 1h30 par semaine, animé par un psychologue : un programme de travail sur plusieurs semaines.
- atelier informatique, deux fois 1 heure par semaine, animé par un soignant ou un bénévole, qui permet de taper des textes, de comprendre le fonctionnement de base de différents logiciels. C’est l’aspect exercice fin favorisant les interactions entre les mains, les yeux et le cerveau qui est privilégié (III).
- Axe moteur : mise en action par des activités extérieures spécifiques golf ou escalade, en saison, et équitation, toute l’année hors période scolaire – possibles grâce à des conventions avec des structures externes (UCPA et autres) et un financement allant de 50 à 80 euros par séance pour 10 patients au maximum par séance. Un ou 2 soignants sont systématiquement présents. Chaque séance dure entre 2 à 3 heures en intégrant l’aller-retour centre-hôpital. Les patients sont emmenés en voiture ou en transport en commun avec les autorisations nécessaires :
- Une kinésithérapeute (à temps partiel) intervient pour le travail de rééducation des altérations importantes de la motricité. Un atelier « Yoga », 1 heure par semaine, animé par un professeur de yoga, dans une salle mise à disposition par le service (convention passée avec l’association ; 30 euros par séance et 10 patients maximum par séance) participe à la relaxation et à la redécouverte des sensations corporelles.
- Atelier de psychomotricité : deux fois 2 heures par semaine, animé par une psychomotricienne : découverte des sensations corporelles (touchers diversifiés, équilibre, travail autour des émotions).
- Axe culturel : atelier presse, atelier vidéo, atelier « les mots de la médecine », 1h chacun, répartis sur la semaine, et animés par un soignant, complétés par des sorties culturelles (expositions, musées, Le Louvre…), servent à ouvrir les champs des connaissances, de la mémoire, de l’élaboration verbale
- Axe information : séances d’informations sur les produits, 1h30 par semaine, animé par un médecin, un pharmacien ou un soignant pour augmenter et partager les connaissances des patients. Nous avons développé un axe de travail particulier centré sur le tabac avec une information sur les substituts nicotiniques, ayant d’ailleurs permis de développer un programme d’Education thérapeutique dédié à l’aide au sevrage tabac.
- Axe psychologique : Ateliers plus spécifiques comprenant des groupes de parole ou d’écriture avec thème (image, produit…), 1h 30 une à deux fois par semaine en fonction des thématiques, animé par un psychologue (notamment atelier écriture, atelier trauma, atelier transculturel).
- Axe « esthétique » : atelier « Mise en beauté », animé par les infirmières et aide-soignantes volontaires du service, permet de travailler sur l’image de soi au moyen de différents soins (coupe de cheveux, coiffure, maquillage,…)
- Axe « vie quotidienne » :
- atelier « pâtisserie » animé par une infirmière et/ou une aide-soignante, le weekend (cuisine d’un service de l’hôpital mise à disposition). La recette est proposée par l’équipe, les patients doivent établir la liste de course, puis réaliser les différentes étapes de la recette avec pour finir une dégustation par l’ensemble des patients.
- atelier « retour à la vie quotidienne » : 1h30 par semaine, sous forme de groupe de parole, animé par l’assistante sociale et l’éducatrice spécialisée du service. L’objectif est de sensibiliser les patients sur le retour dans leur environnement et leur permettre de réfléchir à des outils pratiques pour maintenir l’abstinence.
Moyens et évaluations
La majorité des différentes activités listées ci-dessus se sont construites au départ avec des budgets limités, des « bouts de temps » des professionnels affectés au service ou « prêtés » par d’autres services. Le Groupe Hospitalier par ailleurs, malgré ses budgets contraints, nous a cependant donné de réelles possibilités, permettant par exemple : l’intervention d’une diététicienne sur 1/10ème de temps pour lancer l’atelier du goût et l’atelier cocktail et l’intervention d’une kinésithérapeute passionnée sur 1/10ème de temps pour l’atelier « art thérapie » (sur terre, puis calligraphie).
Les conventions avec des structures ou des intervenants extérieurs (équitation, yoga, golf et escalade…) ont un coût (moins de 300 euros par mois), supporté par l’hôpital, et pourraient être accompagnées et diversifiées par l’association, avec un bénéfice réel pour les patients.
Nous poursuivons une évaluation –de façon observationnelle, dans l’attente d’un travail de recherche- pour valider le bénéfice que retirent les patients de ces activités et valider l’investissement des professionnels, tout en maintenant les budgets. L’évaluation actuelle comporte par exemple : évaluation du nombre de présents (réels / attendus) et questionnaires de satisfaction ; travail d’équipe de réflexion avec réunion hebdomadaire ; évaluation des intervenants qui notent intérêt ou non de l’activité et du groupe et ce qui a pu émerger de l’activité (progrès, attitude, comportement…) ; entretien individuel portant sur l’assiduité et l’intérêt à ce travail par le médecin à la visite du matin ; atelier « libre expression » avec les patients, qui partagent collectivement leurs impressions sur leur séjour, une fois par semaine.
Evolution et perspectives
L’association ASAPSEA a été créée essentiellement pour accompagner une dynamisation et une évolution de ces ateliers thérapeutiques. Nous avons la volonté de sortir de rituels d’activités confortables et occupationnelles. Pour cela, deux axes sont importants : mieux valider sur le plan théorique, le choix et la réalisation de tel ou tel atelier et s’appuyer sur les expériences des autres (« qui fait quoi, où, pourquoi, comment ? »).
Mettre en pratique et organiser de façon réaliste des activités doit permettre aux patients d’investir leur soin, leur parcours de vie et de déterminer leurs objectifs. Il est indispensable par ailleurs de permettre aux équipes d’assurer leur organisation afin de pouvoir maintenir ces ateliers sur la durée mais aussi de proposer des formations complémentaires.
Lieu d’échanges et de réflexions, la structure ASAPSEA n’est pas destinée à avoir un budget de fonctionnement. Elle peut servir d’appui méthodologique et pratique pour aider à obtenir des financements ou des aides au financement d’activités nouvelles pour les équipes d’addictologie en France. Les fonds collectés par l’association permettent déjà de recourir, pour le service, à des bénévoles (adhérents de l’association) ou à des professionnels dont la prestation est financée par l’association. Pour cela, elle est déclarée d’intérêt général et les dons sont déductibles des impôts.
L’objectif est de continuer à développer, en lien avec les autres équipes, les activités possibles à l’hôpital, leur faisabilité réelle (coût, investissement, locaux, personnel…) notamment par le biais d’un répertoire national sur un support informatique, évolutif, à enrichir régulièrement qui permettra le partage des expériences et l’enrichissement mutuel en termes d’offre de soins pour les patients.
Notes
- (1) Circulaire n° DGS/DHOS/02/2007/203 du 16 mai 2007 relative à l’organisation du dispositif de prise en charge et de soins en addictologie
- (2) Le service d’addictologie des Hôpitaux Universitaires Paris Seine Saint Denis regroupe les équipes de 3 sites hospitaliers (Avicenne, Jean Verdier, René Muret). A René Muret se situent les 22 lits d’hospitalisation (MCO et SSR), et l’hospitalisation de jour.
- (3) Voir l’introduction d’Anne Brun dans le Carnet Psy, 2010 (n°141)
- (I) Sylvie Archambeau L’atelier d’expression en psychiatrie L’expérience de Libourne, Coll. Trames, 2010, 264 p.
- (II) La médiation sensorielle dans les petits groupes de personnes âgées par Élodie Le Grégam, Le Journal des psychologues 2011/2 (n° 285)
- (III) Dynamique de coordination, variables collectives, et construits sociaux par Julien Lagarde et Benoît Bardy. Sciences et motricité 2007/1 (n° 60)