Résumé
Le Syndrome des Jambes Sans Repos (SJSR) est considéré aujourd’hui comme l’une des pathologies sensitivo-motrices neurologiques les plus répandues. La majorité des études épidémiologiques rapporte des prévalences de SJSR élevées de 6 à 12%. Le sexe et l’âge sont les principaux facteurs de risques. Nous avons retrouvé deux études suggérant que la toxicomanie à l’héroïne puisse être un important facteur de risque du SJSR. Ces 2 études à la méthodologie rétrospective demandaient confirmation. Nous avons pour cela étudié la prévalence du SJSR de manière prospective auprès de 72 patients héroïnomanes hommes.
Nous avons retrouvé une prévalence de 18% de SJSR dans notre population, significativement bien plus élevée que dans la population française homme où elle est de 5,8%. Bien que nous ne le retrouvions dans aucune étude épidémiologique, la dépendance à l’héroïne semble donc être un facteur de risque majeur de SJSR. Le rôle de la dopamine dans la physiopathologie du SJSR et du phénomène d’addiction permet d’avancer des hypothèses. Les professionnels de santé intervenant auprès des héroïnomanes devraient être informés de ce risque important de Syndrome des Jambes Sans Repos, afin de mieux le dépister et le prendre en charge de façon adaptée.
Le terme le plus fréquemment rapporté est celui « d’impatiences ». Ces dysesthésies répondent aux 3 caractéristiques suivantes :
- (1) elles surviennent ou sont aggravées par le repos,
- (2) elles sont soulagées au moins partiellement et transitoirement par le mouvement (marche, étirement, massages),
- (3) elles sont aggravées le soir et durant la nuit.
Le Syndrome des Jambes Sans Repos (SJSR) est un trouble sensitivo-moteur dont la caractéristique principale est un besoin impérieux de bouger la ou les jambes. Il est le plus souvent accompagné de sensations désagréables survenant de manière contemporaine, dont la description par le patient peut être variée et difficile : picotements, fourmillements, agacements, courants électriques, insectes qui grouillent, tiraillements, os qui démangent …
Lorsque le SJSR devient fréquent et intense, le patient se plaindra également volontiers de troubles du sommeil qui peuvent être son motif premier de consultation, et de leurs conséquences : fatigue, hypersomnie diurne, troubles thymiques ou cognitifs. On peut ainsi comprendre l’impact que peut avoir le SJSR sur la qualité de vie des patients. Le sexe et l’âge sont les principaux facteurs de risque identifiés (Allen et al., 2003; Berger et al., 2004; Phillips et al., 2000). Les femmes sont environ deux fois plus affectées que les hommes et le taux de prévalence du SJSR est 2 à 3 fois supérieur dans la population des 60-69 ans que dans la population plus jeune des 20-29 ans.
Etude de prévalence
Deux études ont posé l’hypothèse que la prévalence de SJSR dans une population d’héroïnomanes pouvait être supérieure à celle de la population générale (Scherbaum et al., 2003; Pelas et al., 2006), mais leurs méthodologies rétrospectives ne permettaient pas de l’affirmer.
L’objectif de notre étude était de confirmer de manière prospective l’hypothèse d’une forte prévalence du SJSR dans une population de sujets toxicomanes à l’héroïne.
Matériel
La participation à l’étude a été proposée aux héroïnomanes suivis à l’Unité de Consultations et de Soins Ambulatoires (UCSA) de la prison de Laon et au centre de consultation de l’Equipe de Liaison de Soins en Addictologie (ELSA) de Laon aux mois de mai et juin 2008.
Nous avons inclus les patients hommes, âgés de plus de 18 ans suivis dans le cadre d’un traitement de substitution aux opiacés par chlorhydrate de méthadone ou buprénorphine.
Méthode
Nous avons réalisé une étude descriptive par entretien semi-structuré face à face (hétéroquestionnaire). Le diagnostic était basé sur les 4 critères cliniques de la maladie : (1) besoin irrésistible de bouger les jambes (2) surtout en position couchée ou assise (3) surtout le soir ou la nuit plutôt que dans la journée (4) amélioration des symptômes à la mobilisation volontaire des jambes ou à la marche.
Les données recueillies ont été saisies à l’aide de Microsoft Excel® et les analyses statistiques ont été réalisées avec le logiciel R (R foundation for statistical computing) et Microsoft Excel®.
Au cours de cette étude, un risque de première espèce alpha a été défini à 5%. La prévalence de SJSR dans notre échantillon de patients a été comparée à la prévalence dans la population générale masculine française estimée à 5,8% (Tison et al., 2005, étude INSTANT) à l’aide de la loi binomiale cumulative. Afin d’étudier l’influence des différents facteurs (âge, ancienneté de la toxicomanie, consommation d’héroïne, type de substitution et autre traitement suivi), sur la survenue d’un SJSR, nous avons réalisé une régression logistique en ajustant sur l’âge et le lieu du suivi (UCSA ou ELSA).
Résultats
Notre population incluait 72 patients hommes. L’âge moyen était de 29 ans et 2 mois (mini 19 ans – maxi 55 ans). La distribution de l’âge suivait une loi normale. La prévalence du SJSR dans notre échantillon est de 18% (n=13).
Elle est significativement supérieure à la prévalence du SJSR dans la population masculine générale française (p=0,00023), soit 5,8 %. La consommation régulière d’héroïne est corrélée de façon significative à la présence d’un SJSR (p=0,02).
Discussion
Le SJSR peut être idiopathique ou secondaire, survenant dans un contexte pathologique ou médicamenteux. L’examen neurologique était normal chez tous les sujets atteints de SJSR permettant d’exclure une neuropathie. Seuls 3 sujets prenaient un traitement neuroleptique susceptible d’induire un syndrome des jambes sans repos. Sur les 13 patients dépistés, 11 déclaraient que leur SJSR était apparu avec leur consommation d’héroïne. Ce résultat suggère l’implication de la consommation d’héroïne dans la survenue du SJSR.
Notre étude retrouve d’ailleurs un lien de corrélation entre consommation d’héroïne et SJSR, cependant elle ne permet pas d’affirmer un lien de causalité (effectif de l’échantillon trop faible).
Nous avons posé le diagnostic de SJSR à l’interrogatoire selon des critères cliniques validés et reconnus comme suffisants pour poser le diagnostic.
La sensibilité de ces 4 critères diagnostiques essentiels varie entre 97% et 82%, le taux de faux positifs est évalué à 10% (Hening et Allen, 2003; Nichols DA, 2003).
L’utilisation des 4 critères cliniques de SJSR nous a permis de différencier les douleurs des membres inférieurs aspécifiques liées au syndrome de manque et les douleurs liées à un SJSR.
En effet, les 72 patients interrogés ont tous souffert du syndrome de manque. Seulement 13 d’entre eux ont présenté des symptômes répondant aux critères diagnostiques de SJSR, c’est à dire survenant au repos préférentiellement le soir et soulagés par le mouvement.
La physiopathologie du SJSR demeure incertaine. On sait toutefois qu’elle implique les systèmes opioïde endogène, dopaminergique et le métabolisme du fer, et que le rôle du système dopaminergique est central (Zucconi et al., 2007). C’est ce système dopaminergique, impliqué de façon immédiate lors de la prise d’opiacés, mais aussi à distance de la prise d’opiacés dans le phénomène de « craving », qui pourrait unir SJSR et toxicomanie à l’héroïne.
Le SJSR apparaît comme une complication fréquente chez l’usager d’héroïne, qu’il soit substitué, sevré ou actif. Bien qu’aucun patient dépisté ne pense que l’apparition d’un SJSR lié à son traitement de substitution puisse être une cause d’échec de celui-ci, il est important d’en connaître l’existence. Surtout que paradoxalement 8 patients déclaraient ressentir le besoin de consommer de l’héroïne lors d’un SJSR, et 2 autres le besoin d’augmenter la posologie de leur traitement de substitution : le SJSR pourrait donc être un facteur de rechute.
La démarche diagnostique à suivre chez un héroïnomane se plaignant de symptômes de SJSR doit être la même que pour tout autre patient.
L’utilisation des 4 critères diagnostiques lors d’une simple consultation permet d’authentifier le SJSR. Il faudra ensuite rechercher les causes secondaires de SJSR (principalement carence martiale, grossesse, insuffisance rénale, neuropathie, effets secondaires des neuroleptiques ou antidépresseur). L’utilisation d’une échelle de sévérité permet également de mesurer la répercussion du SJSR dans la vie du patient. La prise en charge d’un SJSR chez un héroïnomane doit, comme pour tout autre patient, commencer par la suppression d’une cause secondaire du SJSR. Le deuxième élément de la prise en charge thérapeutique inclut des règles hygiéno-diététiques avec suppression de l’alcool, du café et des autres facteurs déclenchant et/ou aggravant les symptômes.
Il importe également de veiller à un rythme de sommeil régulier, avec un nombre d’heures de sommeil suffisant. Il est conseillé de diminuer progressivement ses activités dans la soirée, de réaliser un exercice physique régulier dans la journée et d’éviter la sieste (Oertel et al, 2007).
Cette prise en charge non médicamenteuse paraît primordiale dans cette population dont l’hygiène de vie est souvent précaire. Néanmoins, dans les formes modérées à sévères, un traitement quotidien peut s’envisager (Lohmann, 2008). Ce sont les agonistes dopaminergiques qui sont recommandés en première intention dès le stade modéré.
Il s’agit du ropinirole et pramipexole, ils peuvent cependant présenter des effets secondaires à type de troubles psycho-comportementaux d’addiction et de compulsion. On pourra leur préférer les antiépileptiques, notamment la gabapentine, proposés en deuxième ligne dans le traitement du SJSR. Notons que Freye et al. (2004) ont testé avec succès la gabapentine pour atténuer les douleurs des membres inférieurs lors d’une désintoxication rapide aux opiacés.
Conclusion
Très peu de données sont disponibles dans la littérature sur le SJSR et dépendance aux opiacés. Le résultat essentiel de notre étude est que le SJSR est particulièrement fréquent dans cette population.
Le diagnostic de SJSR est important puisqu’il permet d’étiqueter des symptômes douloureux parfois invalidant, de recourir si besoin à un avis spécialisé en neurologie et sur une prise en charge thérapeutique adaptée. Aucun facteur causal de SJSR n’a pu être identifié dans notre étude. La poursuite de cette étude, sur un effectif de patients plus important, pourra permettre de mieux comprendre les mécanismes qui sous-tendent la survenue du SJSR dans cette population.
Bibliographie
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