Une expérience de la délivrance hospitalière de méthadone avec relais sur les pharmacies de villes
FLYER : Quelle est la date de création de votre service ?
Dr T. LEDENT : A l’origine, en 1996, notre service était un service d’alcoologie. En 2000, dans le cadre des orientations voulues par les pouvoirs publics, et notamment les orientations définies par la M.I.L.D.T., il s’est ouvert aux autres addictions, à l’exception des troubles alimentaires, devenant alors un service d’addictologie.
FLYER : Comment votre équipe est-elle constituée ?
Dr T. LEDENT : Notre équipe est pluridisciplinaire. Elle se compose de 5 infirmières dont 4 à temps plein et une à 80 %, de 6 aide-soignantes dont 4 à temps plein, une à 80 % et une à 50 %, et de 2 ASH à temps plein. S’y ajoutent 2 médecins à temps plein. Nous avons à notre disposition l’assistante sociale des urgences, très impliquée, bien qu’elle ne soit pas spécifiquement dédiée au service. De plus, notre secrétaire médicale assure une partie de l’action sociale.
FLYER : Quelle est la part de l’activité de substitution opiacée par rapport à votre activité globale ?
Dr T. LEDENT : La substitution opiacée représente environ 30 % de notre activité globale. Cette pratique est principalement ambulatoire. Pratique des traitements de substitution
FLYER : Quel est approximativement dans votre service, le pourcentage de patients traités par buprénorphine, par méthadone et en sevrage ?
Dr T. LEDENT : Sur 82 patients au total, nous avons pris en charge en 2002, 23 patients traités par buprénorphine (28 %), 33 patients traités par méthadone (40 %). Les 25 derniers patients n’ayant pas encore formulé de demande précise, ils n’ont pas bénéficié de médicaments de substitution.
FLYER : Aujourd’hui, pour combien de patients initiez-vous un traitement par la méthadone (en moyenne par mois) ?
Dr T. LEDENT :Sur les 4 premiers mois de l’année 2003, nous avons initié 1 traitement par méthadone en janvier, 4 en février, 2 en mars et 5 en avril.s.
FLYER : Quel est le profil type de ces patients (méthadone) ?
Dr T. LEDENT : La moyenne d’âge se situe aux alentours des 26 ans pour les hommes et de 23 ans pour les femmes. Ils travaillent pour près de 50 % d’entre eux. Ces patients sont domiciliés dans le département. Nous avons la particularité de nous situer au sud du département du Nord et donc en région frontalière avec la Belgique. Ainsi, un certain nombre de ces patients sont déjà utilisateurs de méthadone belge. En s’adressant à nous, ils recherchent un cadre construit de prise en charge.
FLYER : Comment les patients sont-ils orientés vers votre service ?
Dr T. LEDENT : La plupart de nos patients s’orientent ou sont orientés vers notre service pour des raisons de proximité géographique, et viennent d’une zone se situant dans un rayon de 10 à 20 km. Les autres structures de prise en charge dans la région sont éloignées : le CITD (Centre d’Information et de Traitement des Dépendances) de Lille est à 80 km, le GREID (Groupe Ecoute Information Drogues) de Valenciennes est à 40 km et l’USID (Unité de Soins et d’Information sur les Drogues) de Douai est à environ une heure de route. Par ailleurs, on peut observer une concentration de patients dans certaines petites localités, plus élevée que dans des agglomérations plus importantes, toutes proportions gardées. D’après notre rapport d’activité 2002, les demandes émanant du patient représentent 23 % de l’origine des prises en charge (la transmission de l’information se faisant pour partie par bouche à oreille). L’orientation faite par un médecin traitant constitue 61,3 % des prises en charge (19 patients sur 33). Vient ensuite le recours effectué dans le cadre d’une mesure judiciaire : 12,9 % (4 patients sur 31).
FLYER : D’un point de vue pratique, comment la primo-prescription de méthadone est-elle mise en place dans votre service?
Dr T. LEDENT : Il y a deux visites pour la mise en place du traitement : 1ère visite : Dans un premier temps et avant toute prescription, nous réalisons un examen médical complet. Nous évaluons l’état clinique du patient et son statut sérologique (VHC, VHB, HIV notamment). Nous nous penchons sur ses antécédents médicaux (antécédents psychiatriques, hospitalisation, grossesse avec ou sans produits, les pathologies associées, les facteurs de co-morbidité,…) et ceux de sa fratrie. Nous nous intéressons à ses caractéristiques socio-démographiques, notamment son statut familial, son mode d’hébergement, ses conditions de vie, son activité professionnelle, ses ressources, etc… Et enfin, nous le questionnons sur ses conduites addictives anciennes et actuelles (nature du ou des produits, mode de consommation, …). Il s’y ajoute un bilan sanguin complet ainsi qu’un prélèvement urinaire. 2ème visite :En règle générale, la primo-prescription a lieu le lendemain de la 1ère visite. La posologie est comprise entre 20 et 60 mg (1) , adaptée en fonction de chaque patient donc de son état clinique et des prises opiacées retrouvées dans les urines, et selon l’expérience du praticien. La durée de prescription est courte : 3 jours. Nous ne délivrons pas de méthadone à l’hôpital. Le traitement est délivré quotidiennement à l’officine, après appel préalable du pharmacien. En fonction des officines, la prise du traitement se fait occasionnellement sur place mais le plus souvent, dans un lieu autre laissé au libre choix du patient. La posologie pourra être modulée, à l’appréciation du pharmacien et après concertation avec notre service.
FLYER : Comment le renouvellement se passe-t-il ?
Dr T. LEDENT : Par la suite, les posologies sont adaptées en fonction du confort du patient, de son état clinique et des analyses urinaires régulières. La prescription se fait rapidement pour une semaine puis peut s’espacer toutes les deux semaines. Le traitement est délivré, en fonction du patient, tous les jours, tous les 3 jours, etc… Par ailleurs, nous tentons de mettre en place un certain nombre de règles telles que venir à l’heure et en personne chercher son traitement.
FLYER : Quels services proposez-vous en appui de la prise en charge par méthadone ?
Dr T. LEDENT : Nous proposons à chacun des patients un accompagnement socio-éducatif individualisé sans toutefois l’imposer. Nous ne le proposons pas d’emblée. Nous tentons d’inciter le patient à solliciter cette démarche au fur et à mesure de la construction de la relation thérapeutique. Dès que le besoin est exprimé, nous contactons les services sociaux concernés et initions ou continuons un suivi social.
FLYER : Quelle est la durée de suivi au service avant le relais vers un médecin de ville ?
Dr T. LEDENT : La durée est extrêmement variable d’un praticien à l’autre. Le relais ne se fait en règle générale pas à moins d’un an. Cela peut s’expliquer par le manque d’information et de formation de certains médecins généralistes de ville, et tout particulièrement pour la méthadone. Soulignons aussi que certains médecins se montrent réfractaires pour la prise en charge des usagers de drogues. Fort heureusement, ceux-ci sont peu nombreux. Nous avons, toutefois, construit une collaboration entre l’hôpital, des généralistes de ville, des pharmaciens et des acteurs sociaux dans notre région.
FLYER : Pratiquez-vous des méthadonémies ? Si oui, dans quel type de situation ?
Dr T. LEDENT : Nous sommes amenés à réaliser des méthadonémies dès lors que nous avons un doute par rapport au dosage ou pour une vérification de la dose thérapeutique. Ce dosage présente un intérêt particulier pour le suivi des femmes enceintes et des patients traités par méthadone à doses élevées. Les délais d’obtention des résultats sont toutefois longs car les méthadonémies sont réalisées dans un laboratoire privé hors de l’hôpital.
FLYER : Décrivez votre pratique des analyses urinaires
Dr T. LEDENT : Lors de la première analyse urinaire systématique, nous recherchons la cocaïne, les opiacés, les amphétamines, le cannabis et les benzodiazépines. Ce contrôle porte aussi sur la méthadone pour s’assurer qu’un patient ne bénéficie pas de deux suivis avec prescription simultanée de méthadone. Nous pratiquons ensuite des analyses urinaires régulières indispensables au bon déroulement du suivi. Nous recherchons la présence d’opiacés, de cocaïne, d’amphétamines et adaptons les recherches en fonction des doutes que nous pouvons être amenés à avoir lors de la consultation.
FLYER : Quelle est la posologie moyenne de méthadone (et le mini, maxi) ?
Dr T. LEDENT : La posologie moyenne de méthadone est de 80 mg/jour avec un minimum à 20 mg/jour et un maximum à 140 mg/jour.
FLYER : Pour vous, quelles sont les situations cliniques où la méthadone vous paraît la plus indiquée ?
Dr T. LEDENT : Je serais tenté de vous dire toutes. Nous la prescrivons en 1ère intention. C’est le premier médicament de substitution que nous utilisons. En effet, avec ce traitement, le patient s’inscrit dans un cadre établi avec une démarche thérapeutique claire où chaque partenaire médico-social est impliqué pour essayer d’avoir une prise en charge globale. Par ailleurs, la majorité de nos patients ont déjà essayé la buprénorphine avec ou sans prescription. Nous obtenons une amélioration de la qualité de vie supérieure avec la méthadone *. Nous n’avons pas rencontré à ce jour de problème d’intolérance ni de problèmes secondaires aux prescriptions hautes doses grâce aux méthadonémies et aux doubles prises chez la femme enceinte.
FLYER : Pour vous, quelles sont les situations cliniques où la buprénorphine vous paraît la plus indiquée ?
Dr T. LEDENT : Je parlerais de patients » gentils toxicomanes « . En réalité, nous ne prescrivons pas ou très peu de buprénorphine en premier traitement. Les prescriptions établies sont des continuités ou des ré-ajustements de traitement.
FLYER : Quelles sont les situations qui vous paraissent les plus difficiles à gérer (avec méthadone ou Subutex®) ?
Dr T. LEDENT : Parmi les situations délicates de prise en charge, je citerai les demandes de sevrage exprimées par la femme enceinte et les grossesses chez la femme substituée. Ces femmes présentent des grossesses à risque (risque de mort fœtale in utero, risque de rechute en cours de grossesse, etc…) impliquant une surveillance particulière du fœtus et de la future mère. De plus, la toxicomanie de la femme enceinte est rarement abordée par le gynécologue. Elle peut même lui être parfois inconnue, la patiente ne l’en informant pas. Ces femmes sont donc suivies tardivement. Nous travaillons en collaboration avec le service de gynécologie-obstétrique, avec le service de pédiatrie pour la prise en charge des nouveau-nés et avec les maternités. Nous nous investissons, notamment pour les acteurs du secteur paramédical, dans des missions d’information et de formation.