Cher(e)s ami(e)s
J’ai appris ce soir par un coup de fil de Cédrick Moreau que Jean Carpentier s’en est allé.
Après une journée de consultation bien chargée, à un moment où vos pensées sont encore toutes entières tournées vers les patients. Jean aimait à dire que c’est en balayant son cabinet le soir, qu’il retrouvait peu à peu ses esprits et son unité. Cette nouvelle me remplit bien sûr de tristesse.
Je pense à Clarisse Boisseau, son associée depuis la création du cabinet dans le quartier d’Aligre (Paris 12ème) dans les années 80, à qui je transmets mes condoléances et mon amitié. A sa sœur aussi, que j’avais rencontrée récemment avec Clarisse et Cédrick. Je pense aussi à toutes celles et ceux qui l’ont accompagné dans ses combats majeurs : au REPSUD et au collectif Limiter la Casse, sous la houlette d’Anne Coppel.
Jean était de tous les combats : celui de la contraception, du droit à l’avortement, de la paix au Vietnam et … la substitution est arrivée comme une bataille supplémentaire, héritée de celles-là, pour que les toxicomanes, exclus parmi les exclus, retrouvent leur dignité et leur place d’être humain dans la société.
C’était le sens de la substitution et de son engagement avec d’autres autour du Temgesic qui l’amena à publier un appel dans le Monde en 1992 pour mobiliser les médecins généralistes et les pouvoirs publics, comme on le fait pour une épidémie de tuberculose ou toute autre maladie grave.
Jean était à la fois philosophe et médecin ou médecin et philosophe, inséparablement.
Dans toutes les soirées de médecins auxquelles j’ai assisté en sa présence, il n’aimait pas qu’on parle des TSO comme de la cuisine et parvenait toujours avec brio, à extraire le sens des pratiques cliniques et de la maladie. C’était selon moi, sa force principale d’intellectuel et de médecin.
Ainsi écrit-il dans son ouvrage « La toxicomanie à l’héroïne en médecine générale », que je fais lire à tous mes internes, avant de se lancer dans les ordonnances de TSO : « La maladie est parole indicible. Entre l’interdit et la mort, il s’agit d’inventer avec le patient un chemin pour que la vie soit possible ».
Bien loin de la baguette magique ou de la drogue aux drogués, argument largement repris par ses détracteurs, Jean nous renvoyait inlassablement à cette question essentielle posée par la substitution : » On ne remplace pas le plein de la drogue par du vide ». Une fois l’ordonnance de TSO terminée, tout reste à construire avec les passions, les talents, les hauts et les bas du patient.
Son ouvrage « Journal d’un médecin de ville », publié en 2005, relate les différentes étapes de son installation comme médecin à Corbeil puis à Paris. Il explique ce que s’installer veut dire selon lui. Et qu’on ne visse pas sa plaque comme ça, n’importe où ! Il s’agit d’abord de discuter avec les riverains et les commerçants et les associations d’un projet de santé pour les habitants du quartier dans lequel le cabinet du MG aura sa place aux côtés d’autres acteurs.
Loin des coups médiatiques et des coups tordus, Jean était un formidable passeur d’idées et de projets.
J’irai au Père Lachaise le 15 juillet pour lui rendre hommage.
Texte de Jean Carpentier affichée dans la salle d’attente de cabinet d’Aligre