1. Points clefs pour la prescription de méthadone
Le principe d’égalité d’accès aux services de santé à l’intérieur comme à l’extérieur des prisons, apparaît dans les recommandations et dans les directives de nombreuses commissions internationales (OMS, Conseil de l’Europe) et d’experts.
Cependant, il y a plusieurs différences importantes en ce qui concerne l’utilisation des traitements de substitution, tout particulièrement pour l’utilisation de méthadone, à l’intérieur des prisons :
- A l’extérieur, les patients traités à la méthadone sont souvent obligés de se séparer physiquement, socialement, et psychologiquement de l’univers de la drogue, qui auparavant focalisait leurs vies et leurs expériences personnelles. Derrière les barreaux cette séparation n’est possible que dans une moindre mesure.
- L’efficacité et l’attrait des programmes de substitution dépend de la motivation du personnel soignant, aussi bien que des conditions pour accéder au traitement. Le système carcéral est souvent confronté à ces deux problèmes.
- Au niveau politique, les traitements par la méthadone ont suscité des espoirs irréalistes au-delà même du succès thérapeutique. Ces espoirs n’ont pas été comblés. La mise à disposition à large échelle des médicaments de substitution était supposée avoir de nombreux effets. En plus de la stabilisation médico-sociale, elle était censée permettre l’élimination de sous-cultures et de comportements rattachés à la drogue, à l’intérieur comme à l’extérieur des prisons. Les résultats n’ont pas été à la hauteur de ceux espérés.
- Les traitements de substitution nécessitent beaucoup de temps et de travail, particulièrement en phase d’initiation, quand les patients et le personnel soignant doivent se conformer aux « bonnes pratiques ». Cette phase peut parfois être très ardue.
De plus, la distribution de méthadone est coûteuse tout le long du programme, notamment quand le nombre de patients augmente.
Le traitement par la méthadone est perçu de façon différente d’une nation à l’autre. Il y a des variations d’un état à l’autre et même d’une prison à l’autre.
Les tests destinés à dépister la consommation associée de substances psychotropes sont obligatoires pour tous les patients traités à la méthadone. Ceci est vrai aussi en prison. En raison d’un nombre varié de techniques pour les analyses d’urine, il convient d’être très prudent dans les interprétations.
Il existe un consensus à l’intérieur comme à l’extérieur des prisons selon lequel, en dehors de la distribution du médicament de substitution, la mise en œuvre de mesures psychologiques peut contribuer à améliorer les objectifs thérapeutiques. Cependant, l’avis des experts diverge quant à savoir si le soutien psychologique est un élément indispensable du traitement médical ou si le choix doit être laissé à la discrétion du patient. Le système pénitentiaire dispose déjà souvent du personnel nécessaire, aussi bien que des structures matérielles et logistiques, pour la mise en œuvre d’un soutien psychologique.
Même si la méthadone en prison est fréquemment perçue comme un pis-aller, c’est-à-dire comme un outil de réduction des risques et non comme une mesure adaptée pour résoudre le dilemme d’une politique prohibitionniste, elle reste utile et nécessaire sur un plan strictement pratique. Depuis que la méthadone est connue et acceptée dans leur communauté, les héroïnomanes peuvent avoir un intérêt pour un traitement de substitution pendant les périodes d’emprisonnement. La médecine carcérale pourrait être responsable de cela.
De façon générale, la distribution de méthadone est une forme de traitement qui s’accommode très bien avec le système carcéral. Tout d’abord, la plupart des ressources nécessaires pour les traitements et pour le soutien psychologique sont déjà disponibles. Ensuite, les prisons sont précisément peuplées du type de clientèle susceptible de correspondre au traitement par méthadone c’est-à-dire des personnes dépendantes depuis longtemps aux opiacés sous forme injectable, et ayant essayé plusieurs fois de s’arrêter sans succès. Les traitements de substitution peuvent être considérés comme une étape vers d’autres traitements, et sont extrêmement importants si l’on prend en considération les nouvelles options thérapeutiques pour le SIDA et les hépatites. Il est fréquent que la période d’emprisonnement soit l’occasion de faire un nouveau bilan de santé dans lequel le traitement de substitution va aider à améliorer l’adaptation au nouveau traitement.
Les programmes à seuil bas, comme ceux mis en place à l’extérieur avec le critère de Verster/Buning (2000) tel qu’il a été formulé, ne peuvent pas se trouver à l’intérieur des prisons.
Les programmes à seuil bas :
- sont faciles d’accès,
- sont orientés sur la réduction de la douleur,
- ont pour but principal de soulager les symptômes de manque ou d’envie, et d’améliorer la qualité de vie des patients,
- offrent une variété d’options thérapeutiques.
Dans quelques pays où la méthadone ou d’autres substituts sont prescrits en prison, il y a une continuité de traitement pour ceux qui ont commencé avant l’entrée en prison. Cette continuité de traitement se poursuit pendant la période qui suit la libération dans les services civils (par exemple au Portugal, cf. Celso Manata, 10/7/2000 ; en Autriche, Bundesministerium für Justiz 1997, dans certains pays c’est une condition sine qua non par exemple au Danemark ; Reventlow 2000) ou définis suivant la formule : « Avant la libération, il faut reprendre contact avec le prescripteur de l’institution pour confirmer les conditions du suivi et la poursuite de la prescription de méthadone » (Réglementation au Royaume Uni pour les Soins des Prisonniers). Cependant, il existe souvent des obstacles majeurs en ce qui concerne le problème financier ou simplement le fait de trouver des médecins prescripteurs à l’extérieur (pour l’Allemagne voir Keppler 1997).
Il est important de noter que le nombre de patients traités à la méthadone diminue dramatiquement quand ceux-ci entrent en prison. Aux Pays Bas, par exemple, environ 28% des consommateurs de drogue recensés reçoivent de la méthadone, alors que, dans le même temps, ils ne sont que 4% à en recevoir en prison (Zorg Achter Tralies 1999, cité dans Van Alem 1999, 8). Cela se confirme en France : alors qu’à l’extérieur des prisons environ 37% (60 000 sur 160 000) des consommateurs d’opiacés sont traités avec des médicaments de substitution, seulement 2% de toute le population carcérale est suivie grâce à des traitements de substitution, alors que 14,4% des personnes nouvellement incarcérées sont des consommateurs courants d’opiacés (voir Trabut 2000, 29f).
Cet écart peut aussi être observé en Allemagne, où sur 150 000 patients dépendants, environ 50 000 (33%) reçoivent de la méthadone ou de la codéine. En prison, approximativement 800 prisonniers reçoivent de la méthadone dans le cadre du programme. Seulement environ 12,5% de ceux qui continuent à se droguer, sous une forme ou une autre, obtiennent ce traitement dans les prisons. Il semble qu’il y ait de grosses différences régionales dans la poursuite des traitements de substitution (le French Focal Point 2000 rapporte qu’alors que quelques services pénitentiaires isolés en France comptabilisent environ un tiers de toutes les prescriptions, les autres -plus du quart n’avaient pas de patients du tout suivant un traitement de substitution).
Ceci signifie que la méthadone est utilisée principalement comme moyen de désintoxication, alors que les prescriptions de long terme ne sont utilisées que dans quelques pays (et pas forcément dans toutes les prisons) et sur des groupes ciblés, comme par exemple aux Pays Bas pour :
- les consommateurs récents de drogue ;
- les consommateurs de drogue ayant un long passé de dépendance ;
- les consommateurs de drogue ayant des troubles de santé mentale sévères.
La solution de la « prescription à long terme », de la méthadone pour les condamnés à de longues peines reste controversée. Dans certains pays, on refuse cela et des protocoles clairs en faveur de la désintoxication ont été mis en place (en Grande Bretagne18), alors que dans d’autres états, cette opportunité est offerte –couramment dans la plupart des prisons (Autriche) ou occasionnellement dans certaines prisons (Allemagne), ou encore dans certaines régions à l’intérieur d’un pays (par exemple à Hambourg et à Brème en Allemagne).
Il y a, cependant, des différences dans le mode spécifique de prescription : soit il y a une continuation dans les traitements qui ont commencé à l’extérieur (comme en Autriche, au Danemark, et dans certaines régions en Allemagne), soit le traitement commence à l’intérieur comme traitement médical ou comme mesure préventive contre la rechute dans le processus de préparation pour la libération (Allemagne). Commencer un traitement de substitution en prison peut être explicitement prévu par la réglementation en vigueur comme en France (circulaire DGS/DH/DAP du 5 décembre 1996 relative à la lutte contre l’infection par le VIH en milieu pénitentiaire), ou bien exclu dans d’autres pays.
En comparaison avec la situation en France, le National Focal Point (1999, 63) rapporte : « les conditions qui déterminent que le patient ait besoin ou non d’un traitement de substitution, varient considérablement : aucune information n’est disponible en ce qui concerne les évaluations cliniques, le temps écoulé avant le début du traitement, les méthodes de récolte des informations par les médecins traitants, la prise en compte de l’avis du patient etc. ».
Dans certaines régions en Allemagne, il est possible de continuer un traitement à la méthadone commencé avant l’incarcération et qui sera continué après la détention.
Cependant, ceci est limité la plupart du temps à de courtes peines dans le but de faire « le pont » pendant la période d’incarcération. Les traitements à long terme dans le cadre de la méthadone sont rejetés par la plupart des médecins des services pénitenciers en Allemagne, et c’est seulement dans les villes-régions de Hambourg et de Brème que la prescription à long terme est utilisée. Certaines institutions pénales proposent un sevrage progressif. Quelquefois les détenus dépendants dont on est certain qu’ils redeviendront consommateurs d’héroïne après leur emprisonnement –et pour lesquels un traitement est prévu à l’extérieur- sont autorisés à commencer un traitement à la méthadone peu de temps avant la fin de leur condamnation, dans le but de les préparer à la période qui suit la détention et pour augmenter leurs chances.
Chorzelski (2000) met l’accent sur la nécessité d’une coopération étroite entre les traitements à la méthadone en prison et à l’extérieur, aux trois niveaux de la prescription de méthadone en prison (sevrage, mise en place du traitement et prescription à long terme). A Hambourg, une coopération étroite entre le Ministère de la Justice et les Cliniques du Programme méthadone a été établie. Le contrôle médical est passé du Ministère de la Justice aux Cliniques du
Programme dans le but d’accroître la confiance des détenus traités. « Continuer le programme méthadone et le traitement des patients arrêtés, qui avaient donc été traités avec de la méthadone avant leur arrivée en prison est une chance très importante pour ce groupe de patients à haut risque. En effet, 90% de ce groupe a utilisé de nombreuses autres substances nocives en dehors de la méthadone. Une réglementation très rigide du programme méthadone leur a permis d’expérimenter une vie avec la méthadone et rien d’autre ».
Après la détention, les traitements à la méthadone doivent être continués sans interruption. Dans cette perspective il conviendrait que les détenus et leurs thérapeutes aient l’opportunité de mettre en place les modalités nécessaires avant que la peine de prison soit terminée.
A l’intérieur comme à l’extérieur des prisons, une aide psychologique parallèlement au projet peut être utile et cruciale pour ouvrir de nouvelles perspectives. De plus, les prisonniers devraient pouvoir accéder à des programmes éducatifs et professionnels ainsi qu’à des groupes de discussions pour les stabiliser socialement et les préparer à leur vie après la prison.
Il serait souhaitable que le soutien psychologique fourni soit en adéquation avec la situation et les problèmes propres à chaque prisonnier.
Quelles sont les raisons pour l’interruption du traitement à la méthadone –même dans les pays où la méthadone est largement utilisée à l’extérieur des prisons ?
Les experts ont donné quelques explications :
- l’orientation vers l’abstinence est toujours dominante dans l’approche médicale, on utilise alors le temps de détention pour désintoxiquer et faire l’expérience de la vie sans drogue.
- certains détenus ne déclarent pas qu’ils suivent un traitement à la méthadone quand ils arrivent en prison pour cacher leur dépendance à cause des désavantages liés à ce statut.
- le Ministère de la Santé français soutient que les traitements substitutifs dans le civil facilitent la réhabilitation sociale, et qu’ainsi il y a moins de consommateurs de drogue tilisant des traitements de substitution en prison (Trabut, 2000, 30). Il en résulte que ces consommateurs de drogue en prison sont ceux pour qui les programmes de réhabilitation n’ont pas été mis en œuvre ou ont échoué. Les consommateurs de drogue en prison représentent désormais un groupe marginal et socialement défavorisé.
Si les explications précédentes étaient vraies, la prison offrirait alors une bonne opportunité pour commencer une substitution et pour utiliser les services médicaux à l’intérieur de la prison. Le fait est souligné par l’expérience écossaise qui montre qu’un fort pourcentage de consommateurs de drogue en prison entrent en contact avec le service médical pour la première fois en prison (Shewan 2000).
En dehors de ces arguments, il y a des réserves en ce qui concerne les traitements de substitution en prison qui résultent des spécificités nationales. En France, où la prescription de SUBUTEX® (comprimé) est fréquente à l’extérieur, le National Focal Point (1999, 63) déclare : « les principales réserves du personnel médical travaillant en milieu carcéral sont relatives à des pratiques thérapeutiques abusives, qui sont plus graves si l’on a à l’esprit les formes galéniques respectives de SUBUTEX® (comprimé) et de la méthadone (sirop dont l’administration est surveillée).
La pratique de la « fiole », la préparation de comprimés écrasés et de produits dilués, est maintenant beaucoup moins courante ; la préparation de comprimés écrasés, supposée être dominante, est rare. La surveillance de la prise des formes actuellement utilisées n’est pas très efficace en ce qui concerne des comprimés par voie sublinguale. Certaines équipes essayent alors de pratiquer de la même façon qu’à l’extérieur, en distribuant le SUBUTEX® deux fois par semaine après une semaine de délivrance quotidienne. Il existe aussi des craintes à propos d’inhalation de comprimés écrasés.
Globalement, c’est le principe du traitement de substitution lui-même et de son adaptation au milieu carcéral qui présente des problèmes aux équipes médicales. En conclusion, les distributions par une équipe de soins peuvent être synonymes d’une charge de travail importante.
2. Normes et lignes directrices pour la prescription de méthadone
Les prisons sont souvent en dehors des normes habituelles ou des recommandations en ce qui concerne la méthadone, ou les thérapies psychosociales. Un pas vers une pratique consensuelle a été fait lors de la « Conférence Européenne sur les Services pour le Traitement de la Toxicomanie et du SIDA dans les Prisons », qui s’est tenue du 12 au 14 mars 1998 à Oldenbourg, intitulée « Prisons et Drogues : vers un Modèle Européen ». En dehors des programmes « sans drogue », des programmes de soutien psychologique et d’échange de seringues, le traitement de substitution fut un sujet majeur de cette conférence.
Le nombre croissant de patients traités par la méthadone et les problèmes précédemment évoqués quant à la mise en œuvre pratique de sa prescription dans les prisons sont les principales raisons pour poser des principes directeurs et évoquer des solutions concrètes pour la gestion de la méthadone en prison. Cependant, la formulation de règles générales ou de lignes directrices plus concrètes n’a été entreprise que dans certains pays. Dans beaucoup d’autres prisons, la tâche est laissée aux médecins responsables. Bien que le médecin soit libre dans chaque prison de prescrire de la méthadone ou non suivant les objectifs thérapeutiques, des normes ou lignes directrices à portée régionale, nationale ou même internationale sont perçues comme essentielles et fondamentales pour toute politique de prescription.
Dans certains pays, des principes pour les traitements de substitution en prison ont été élaborés en fonction des principes en vigueur à l’extérieur. L’Autriche, par exemple a clairement fixé comment, pour qui, et avec quelles substances, un traitement de substitution doit être mené en prison. Il a été établi dans les principes qu’un traitement de substitution de base devrait être possible dans toutes les prisons.
Les lignes directrices énumèrent les groupes cible de prisonniers en mesure de recevoir des traitements à base de méthadone :
- les patients atteints du SIDA,
- les patients avec un long passé de consommateurs de drogue, et déclarant ne pas être capables de vivre sans drogue,
- les patients en attente d’un traitement sans drogue en externe,
- les patients dans de longues situations de crises persistantes, pouvant se produire pendant l’emprisonnement (Bundesministerium für Justiz 1997, 4).
Il est clairement précisé dans ces principes que la méthadone ne peut être prescrite que par un médecin ayant une expérience dans le traitement des dépendances.
Les trois formes de prescription de méthadone prévues sont décrites :
- pour le sevrage (en réduisant les doses progressivement),
- comme soutien pour une période indéfinie,
- dans le cadre d’une initiation de traitement avec surveillance.
Dans le dernier cas, les guidelines autrichiens recommandent de ne prescrire qu’à des détenus ayant un long passé de consommateur de drogue, ayant suivi plusieurs cures de sevrage infructueuses. Des troubles organiques, une infection VIH et un mauvais état de santé en général sont des raisons supplémentaires en faveur de l’indication thérapeutique. L’accent est mis sur le fait qu’une prescription de méthadone au stade préparatoire à la libération peut être utile pour éviter une rechute.
Le Protocole de Prise en Charge de la Santé des Détenus en Ecosse mentionne clairement et de façon transparente des principes visant la substitution, le sevrage et leur prescription pour des groupes cible spécifiques purgeant des peines plus ou moins longues :
- les détenus acceptés pour un programme de substitution par les autorités sanitaires et dont le séjour en prison ne devrait pas dépasser trois mois,
- ceux qui séjourneront pour plus de trois mois,
- les détenus stabilisés dans le cadre d’un programme de substitution qui font usage occasionnellement de drogues illicites sans se les injecter,
- les consommateurs de drogues ‘chaotiques’,
- les femmes enceintes dépendantes non stabilisées.
Dans certains pays où les médicaments de substitution sont prescrits en prison, il se peut qu’il n’y ait pas de norme établie en matière de prescription ou de principes directeurs, ou alors, il peut y avoir des particularités locales ou même d’une prison à l’autre à l’intérieur d’un même pays (par exemple en Allemagne où il y a un écart considérable entre le nord et le sud, voir Stöver/Keppler 1998).
Lors d’une audition au Ministère de la Santé et de la Justice en août 1994, le traitement à la méthadone dans les prisons a démontré une fois de plus qu’il était controversé. Les exemples suivants concernent différentes politiques de prescription de méthadone qui peuvent être mises en place dans un pays à constitution fédérale (16 Länder) comme l’Allemagne. Certains des participants étaient en faveur d’un développement des programmes de substitution dans le but de réduire sensiblement la demande de drogues, de aire baisser la criminalité en prison, de parvenir à une stabilisation de la situation physique, psychologique et sociale, et de renforcer la volonté d’abstinence. Les représentants de la Bavière et de Bade-Wurtemberg sont tombés d’accord sur le fait que dans des cas particuliers, le traitement de substitution pouvait être poursuivi s’il avait été mis en place avant l’incarcération de la personne.
De façon générale, les deux Etats ont insisté sur l’aptitude des médecins des services pénitenciers à agir suivant les pouvoirs qu’ils ont, mais ont aussitôt posé une limite à cette liberté médicale en fixant des principes de base. Pour la Bavière, un grand nombre de patients sont exclus des programmes de substitution en vertu de ces principes de base. La Bavière est même favorable à ce qu’on appelle le « cold turkey » en tant que cure de désintoxication plutôt qu’à un sevrage à base de méthadone. Dans le principe, la Sarre et le Schleswig-Holstein sont favorables à la mise en place de traitements de substitution dans le but de préparer les détenus à leur mise en liberté, alors que le RheinlandPfalz avance que les personnes dépendantes de la drogue sont généralement déjà sevrées quand elles sont en prison et que de ce fait la prescription est sans fondement. Dans le Schleswig-Holstein, un décret organisant le traitement de substitution a été publié par le Ministère de la Justice ; par conséquent, le traitement par la méthadone a une base légale.
Cependant, le représentant de Schleswig-Holstein a précisé que les traitements de substitution ne sont pas souvent employés. Le programme de substitution par la méthadone a été adopté par les villes Etat de Hambourg, Brème et Berlin, ainsi que par les Etats de Basse Saxe, de Hesse et de Rhin du Nord-Westphalie. En terme de nombre de personnes dépendantes, le problème de la drogue dans les cinq nouveaux Etats allemands est peu important, et par conséquent l’usage de drogues illégales en prison reste faible autant que le recours au traitement de substitution.
Sur le fondement d’un cadre légal des médicaments de substitution, la liberté des médecins dans les choix thérapeutiques est le principe qui guide la décision de prescrire ou non. Ils sont essentiellement libres de choisir la politique de prescription qu’ils adoptent. Même s’il existe des protocoles pour le traitement des détenus dépendants de la drogue, ils ne sont pas obligés de suivre ces recommandations. Dans d’autres pays, des protocoles précis organisant la prescription des médicaments de substitution ont été mis en place, comme en Autriche. Aux Pays Bas, des principes d’assistance ont été développés par le conseiller médical de l’Agence Nationale pour les établissements pénitentiaires.
Un exemple de la tentative de normalisation de la politique de substitution par la méthadone au niveau national, avec le schéma suivant (Doorninck 2000) :
- programme méthadone pour les détentions préventives et pour les courtes peines, ayant bénéficié du programme à l’extérieur et qui ont prouvé leur assiduité à celui-ci, qui ne peuvent pas être suspectés de faire usage d’autres drogues supplémentaires,
- femmes enceintes,
- également pour les détenus séropositifs et ceux en phase terminale qui étaient en programme méthadone.
Une prescription médicale est nécessaire à la mise en place du traitement de substitution dans les prisons en Angleterre et au Pays de Galles et seulement dans des circonstances exceptionnelles ; soit en cas de grossesse, soit de diagnostic initial d’infection par le HIV.
En comparant deux systèmes, des différences apparaissent dans la durée du traitement par la méthadone : aux Pays Bas, pas plus de 4 semaines. En Angleterre et au Pays de Galles, le traitement est réservé aux détenus dont la peine n’est pas supérieure à douze semaines (une exception peut être faite si le détenu voit sa peine prolongée légèrement alors qu’il est en cours de traitement, on prévoit alors que le traitement ne pourra pas durer plus de 6 mois après le jour de l’incarcération). Le médicament prescrit doit être pris sous surveillance dans un lieu sain et sûr, à une posologie individuelle.
Les guidelines européens de la méthadone pourraient aussi servir de cadre aux projets pénitentiaires. Les services de traitement à la méthadone sont organisés de différentes façons à travers l’Europe. Quelquefois, la législation locale n’autorise que des centres spécialisés à prescrire de la méthadone alors qu’ailleurs les généralistes et les pharmaciens sont habilités à le faire. Tout dépend si l’on considère la méthadone comme relevant d’un service spécial ou comme faisant partie des soins de base. Cela dépend de la législation locale et de la façon dont les soins sont organisés dans un secteur donné. Un autre argument oppose ceux qui fondent ce traitement sur la ‘prescription médicale’ à ceux qui le fondent sur la distribution.
Dans quelque pays que ce soit quand un système thérapeutique est mis en place, il doit s’intégrer dans l’ensemble du système sanitaire et social. Il doit être le même pour toute la population (OMS Commission des Experts sur la Dépendance aux Drogues, 1998).
Ce chapitre est organisé autour des éléments indispensables à l’organisation optimale du traitement par la méthadone.
Les points soulevés englobent les besoins en personnel, le rôle des autres services, et la mise en œuvre des programmes.
Besoins en Personnels
Ils varient considérablement à travers les pays en fonction de ceux qui peuvent prescrire la méthadone dans le traitement de la dépendance aux opiacés. Mais, il y a toujours un médecin qui est impliqué, que ce soit un spécialiste, un praticien généraliste ou un psychiatre.
Formation
Il va sans dire que le médecin doit être au courant des conséquences propres à la dépendance aux opiacés de façon à être un clinicien efficace. Des programmes de formation sont essentiels pour que le médecin soit prêt à mener sa pratique clinique dans de bonnes conditions. Que ces séminaires soient menés dans le cadre de la formation des généralistes, ou qu’ils soient réservés à ceux qui se consacrent plus spécialement au champ de la toxicomanie, n’est pas déterminant et cela dépend de la situation locale. Il est évident que le mieux serait une combinaison des deux systèmes. Les facultés de médecine devraient inclure dans leur enseignement la dépendance aux drogues et les différentes formes de traitement. Un enseignement spécifique devrait aussi être accessible aux médecins qui veulent s’engager vers le traitement de la dépendance et au traitement par la méthadone.
Les possibilités de formation sont tout aussi importantes pour toutes les autres catégories de personnels impliquées dans le traitement de la dépendance aux opiacés. Le contenu de ces cours doit être orienté sur les aspects pharmacologiques, toxicologiques, cliniques et psychosociaux de la dépendance aux opiacés. Des séminaires réguliers, des travaux de recherche, et la collaboration entre collègues étrangers sont essentiels pour se tenir informé des développements récents dans tous les secteurs de la médecine.
Travail d’équipe
Il n’est pas conseillé aux praticiens travaillant en milieu pénitentiaire (ni plus ni moins qu’à l’extérieur) de prescrire de la méthadone isolément. Une approche multi-disciplinaire du traitement est essentielle et devrait inclure le personnel des programmes (travailleurs sociaux, psychologues et probablement psychothérapeute), les infirmièr(e)s et personnels administratifs. Une approche globale du cas du patient devrait toujours être entreprise avec les autres professionnels impliqués, et alors, les objectifs thérapeutiques seront définis.
Une bonne approche met en jeu des facteurs relevant de toutes sortes d’organismes où les gens travaillent en équipe et où les patients sont impliqués. Une présentation claire de chaque point de vue, ainsi qu’une liste détaillée des tâches est primordiale, de même que des contrôles réguliers. Des réunions fréquentes d’équipe faciliteront la collaboration et la gestion des cas des patients qui ont besoin de voir plus d’une personne dans l’équipe. Des procédures claires dans le programme sont non seulement importantes pour le personnel, mais aussi pour l’efficacité du traitement et les bénéfices attendus par les patients.
Le Rôle du praticien
Pour le faire de façon responsable, un médecin qui prescrit de la méthadone pour le traitement de la dépendance devrait avoir une connaissance étendue des bases pharmacologiques et toxicologiques, des indications cliniques pour l’utilisation du médicament, ainsi que de l’adaptation de la posologie et du suivi thérapeutique.
En dehors de tout autre membre de l’équipe du programme, le médecin endosse seul la responsabilité de la prescription et ne peut pas la déléguer. C’est le devoir de tout médecin de fournir les soins nécessaires à tous les problèmes de santé et à ceux liés à l’usage de drogue, sans chercher à savoir si le patient est prêt à se sevrer. C’est la responsabilité du praticien de s’assurer que le patient reçoit la dose appropriée et que le nécessaire est fait pour s’assurer que le médicament est utilisé à de bonnes fins et non pas pour être écoulé sur le marché illégal. Des précautions particulières doivent être prises dans le cas de l’induction du traitement, et tout particulièrement quand le patient fixe lui-même le dosage ; cela peut être éclairci avec le prescripteur à l’extérieur. Des examens fréquents des patients doivent être pratiqués, au moins tous les trois mois, spécialement avec les patients dont le comportement par rapport à l’usage de la drogue est instable.
Rôle de l’infirmièr(e)
Les infirmièr(e)s travaillent dans les services de soins des prisons avec des usagers de drogue. Leurs compétences et leurs techniques s’étendent de l’évaluation, en passant par le conseil ou l’éducation et la façon de mener correctement le traitement, jusqu’à la délivrance même des médicaments. Certain(e)s s’occupent aussi des coups et des blessures. Les infirmièr(e)s sont souvent à l’écoute de la tolérance du traitement et coordonnent le suivi. Dans certains programmes, les infirmières sont responsables de l’exécution du traitement.
Rôle des travailleurs sociaux
Les travailleurs sociaux peuvent venir de différents secteurs professionnels. Ce sont soit des infirmiers, soit des éducateurs spécialisés ou issus du secteur judiciaire. Leurs fonctions couvrent l’essentiel des services psychosociaux requis pour un traitement global.
Les travailleurs sociaux aussi bien dans les équipes pénitentiaires que dans les organismes extérieurs comme les ONG, sont en mesure de donner un soutien et des conseils jusqu’à un rôle psychologique de base ; ils peuvent gérer le cas du patient en tant que coordinateur. La fonction principale d’un travailleur social est d’apporter un soutien psychologique aux toxicomanes, d’assurer le lien avec la famille et les relations personnelles, de s’occuper des enfants, du logement après l’incarcération, du soutien financier et des autres conséquences judiciaires. La compétence professionnelle et l’efficacité clinique sont étroitement liées à la formation, à un suivi efficace, à la capacité à se faire accepter et aux techniques personnelles.
La Distribution de Substances d’Origine dans les Prisons en Suisse : depuis la fin de 1995 une autre modalité de traitement -parallèlement au traitement par la méthadone- a été proposée aux toxicomanes injecteurs dans la prison pour hommes d’Oberschongrun/Solothurn en
Suisse : la distribution d’opiacé (héroïne) sous contrôle
Les conditions requises pour participer au programme sont similaires à celles du programme à seuil élevé d’admission du premier programme de substitution par la méthadone en Allemagne il y a 10 ans : âge minimum 20 ans, prouver que l’on consomme des opiacés depuis 2 ans, échecs thérapeutiques, déficiences psycho-médicales et/ou sociales, peine minimum de 9 mois. En raison de ces « obstacles », les facilités thérapeutiques ne sont pas utilisées à fond (seulement 7 sur 8). Le programme est défini comme une étude de faisabilité de distribution médicalement contrôlée d’opiacés en prison – les avantages et les inconvénients de la prescription d’héroïne doivent être confirmés.
La distribution d’héroïne trois fois par jour (dose maximum : 250 mg, en moyenne 125 à 200 mg pour 100 Francs suisses, payables chaque mois par le détenu), qui doit être réalisée sous contrôle, prend sa place dans le ‘quotidien’. Kaufman/Dobler-Mikola/Uchtenhagen (2001) ont montré que le personnel était très favorable à cette solution dans le but de réduire les risques. L’impact des prescriptions contrôlées d’héroïne sur la santé des détenus et leur capacité à travailler a été jugée positive. Abstraction faite des limites de cette expérience (faible nombre de participants, conditions particulières pour une institution pénitentiaire, etc.), le projet va donner un nouvel élan en Suisse aux discussions entre experts sur le fait de savoir si la ‘pourvoyance’ de le substance d’origine est un moyen efficace d’éviter la propagation des infections et si c’est une mesure effective en ce qui concerne la réduction des risques chez les détenus toxicomanes injecteurs.