Introduction
Pour sa première réunion nationale, l’association Pharm’addict qui regroupe des pharmaciens « motivés par les traitements de substitution » avait choisi d’inviter le Dr William Lowenstein pour évoquer une question qui revient régulièrement à propos de ces traitements : s’agit-il de traitements à vie ?
Sinon, comment les arrêter et au bout de combien de temps ? Car comme l’a souligné en introduction Stéphane Robinet, le président de l’association, « dans nos officines, nous voyons certains patients depuis des années qui ne vont pas mieux Et pour nous, cela pose une vraie question sur le traitement ».
Quand et comment arrêter traitement ?
Une question « plus que légitime » pour William Lowenstein, le directeur de la clinique Montevideo qui rappelle que « quand on se penche sur la bibliographie, on s’aperçoit que tout ce qui existe sur le sujet prend le même ton savant pour arriver à la conclusion qu’il n’y a pas de conclusion. En médecine, poursuit-il, il y a autant de cas qu’il y a d’individus, ce qui montre bien que la science parfois ne suffit pas ». D’autant qu’il y a encore, selon lui, « nombre d’incompréhensions du genre, la méthadone et la buprénorphine ne sont pas vraiment des médicaments ou la dépendance n’est pas une vraie pathologie » et que « le militantisme initial nous a peut-être embarqué dans des choses qu’il faudrait aujourd’hui commencer à corriger. »
Un militantisme pro-traitements qui fait notamment qu’« on n’entend pas vraiment les patients lorsqu’ils désirent arrêter ».
Dès lors, quand peut-on réellement envisager d’arrêter un traitement ? « Comme dans tous les domaines médicaux, répond William Lowenstein, quand c’est possible ». Autrement dit, quand le traitement ne sert plus à rien et que la personne est guérie. Mais c’est là que les problèmes commencent : « Quand est-on guéri d’une opiodépendance ? Quand la personne continue à aller bien après avoir arrêté ses médicaments ». L’arrêt ne concerne donc que ces « patients ‘idéaux’, ceux qui vont bien, qui n’ont pas poursuivi d’autres consommations sous TSO et qui disent en avoir marre. » Des patients d’ailleurs souvent poussés par leur entourage qui ne fait pas de même lorsqu’il s’agit d’antihypertenseurs. « Pourquoi ne se pose-t-on pas la même question pour les benzodiazépines dont la prescription ne doit normalement pas dépasser les 28 jours ? », interroge le spécialiste. Parce que « les choses ne sont jamais aussi simples pour les substances psychoactives ».
Des patients comme les autres ?
Peut-être aussi parce que ces patients ne sont toujours pas considérés comme des patients comme les autres. Comme le souligne pour sa part, Mme Marie-Josée Augé-Caumon, pharmacien à Montpellier, « on se sert des mêmes médicaments pour lutter contre la douleur et contre la toxicomanie. Pour traiter la douleur, si le patient a mal, on peut augmenter les doses et faire se chevaucher les prescriptions. Pour la toxicomanie, on ne peut rien faire. » Pour elle, il aurait donc fallu une législation « mieux adaptée à ces patients qui reviennent toujours une semaine plus tôt, et pour lesquels on a toujours l’impression que c’est de leur faute si le traitement ne marche pas ».
Mais pour sa consœur Elisabeth Kennedy, s’il n’y a sans doute pas de réelle différence entre la dépendance aux opiacés ou à d’autres produits, le problème relève plutôt des individus : « Ce ne sont pas les mêmes personnes, les mêmes patients. Ils n’ont pas le même profil, et il y a vraiment certains cas désespérants dont plus personne (CSST, médecins, hôpitaux, et même policiers) ne veut et face auxquels nous ne savons pas quoi faire. Et même pour ceux qui vont bien, c’est extrêmement dur d’arrêter. » ;Une idée battue en brèche par William Lowenstein qui rappelle qu’« il y a beaucoup d’autres dépendances « boulimiques », par exemple aux benzodiazépines, chez des personnes âgées dépendantes aux somnifères qui présentent les mêmes troubles de l’humeur lorsqu’elles arrêtent, mais qui ne sont pas perçues de la même manière par les professionnels de santé. »
Le patient idéal !
Pour William Lowenstein, seul le « patient idéal » peut donc prétendre à l’arrêt du traitement. Une demande « légitime » qui ne concerne qu’un cas sur 4 ou 5 et pour lesquels « il faut tenter l’arrêt. Mais seulement à condition de continuer à les suivre, compte tenu du risque de rechute qui atteint 90-95%. »
Selon le peu de données disponibles dans la littérature, seuls 5 à 10% des patients ne rechuteront pas après avoir arrêté leur traitement. Un risque très important qu’on ne peut ignorer lors d’une demande d’arrêt. « Je propose d’arrêter à ceux qui oublient de prendre leur traitement et qui n’y pensent pas, explique ainsi un médecin généraliste de Seine-Saint-Denis. Je refuse de le faire pour ceux qui l’’oublient’ mais qui y pensent toute la journée, juste pour tenter de diminuer. J’en ai plusieurs qui ont arrêté. » Et le généraliste de souligner que « c’est également très difficile pour ceux qui présentent des comorbidités psychiatriques car les rechutes sont beaucoup plus graves. Avec ceux-là, je n’arrête pas ».
Première nécessité donc en cas d’arrêt : que le suivi, lui, ne s’arrête surtout pas, ne serait-ce que pour être sûr que le patient continue à aller bien.
La démarche tient ensuite du tâtonnement. « Après la phase d’induction et de stabilisation, explique le Dr Lowenstein, on essaie des baisses progressives et prudentes des posologies, et on voit. Certains restent pendant plusieurs années à 5 mg de méthadone, mais l’arrivée de la forme gélule dosée à 1 mg et les comprimés de buprénorphine à 6, 4 et 1 mg vont permettre d’affiner les pratiques. On peut aussi opter pour un sevrage plus rapide en milieu hospitalier, mais je préfère qu’il soit progressif. »
Restent tous les autres, tous ceux pour lesquels le traitement ne marche pas ou pas bien. Bref, tous ceux pour qui cette question – de l’arrêt – est vaine. Car comme l’explique le directeur de la clinique Montevideo, « la question se pose très différemment selon que le traitement ait marché ou moyennement marché. Que fait-on des patients qui, après 10 o 15 ans, prennent toujours de la méthadone ou du Subutex® et ne vont pas bien ? Pour d’autres pathologies, on peut changer de médicament, mais pour les TSO, on augmente les doses. »
Identifier les pathologies associées
Or, pour William Lowenstein, « on a tous mis la tête dans le guidon et on s’est tous perdus. Quand je relis les conclusions de la Conférence de consensus de 2004, je ne suis plus d’accord avec la moitié des choses ». Pour le spécialiste, il est donc grand temps de trouver un second souffle. Il faut arrêter de leur demander de traiter ce qu’ils ne peuvent pas traiter. Pourquoi ne pas avoir le réflexe de passer à une bi ou trithérapie ? » pour traiter les comorbidités psychiatriques de ceux qui ne vont toujours pas bien ? Plutôt que d’« arroser » le patient en augmentant les doses, mieux vaut donc au contraire, selon lui, les baisser très progressivement.
Pour essayer d’identifier les pathologies associées, de repérer les troubles de l’humeur etc., et ensuite « de les traiter avec autre chose que les seuls « somnifères » opiacés. Il faut arrêter d’augmenter systématiquement les doses quand le traitement ne marche pas, il faut trouver une méthodologie » insiste-t-il. Même s’il n’est pas toujours évident d’arrive r à expliquer au patient que s’il ne va pas bien, il faut essayer de baisser les doses…« Je trouve délirant de voir des patients qui, deux ans après la phase d’induction, sont à 250 mg de méthadone ou 16 mg de Subutex®. Il faut diminuer les troubles dopaminergiques. Mais pour cela, à la clinique, on les hospitalise. »
Et les traiter
Car une fois identifiés les troubles de l’humeur, l’anxiété, etc. encore faut-il pouvoir les corriger avec des traitements adaptés. Les dopaminergiques et les neuroleptiques, « beaucoup plus compliqués qu’un simple régulateur thymique », sur lesquels travaille sa clinique depuis environ 5 ans.
Essentiellement en raison de la déception rencontrée avec les antidépresseurs. « 95% de mes patients qui ne vont pas bien sont sous antidépresseurs qui « polissent » tous les problèmes et qui sont, pour certains, très durs à arrêter, explique-t-il. Nous travaillons donc sans antidépresseur ni benzodiazépine mais avec des régulateurs de l’humeur. »
William Lowenstein s’interroge désormais sur les grilles à construire, « des grilles de symptômes avec des traitements adaptés, pour faire une vraie médecine de l’addiction et l’évaluer. Arrêtons de travailler sur le pourquoi qui ne permet pas forcément d’avancer, tentons de soigner les symptômes. » Et de réclamer du même coup l’adoption d’une « sémiologie adéquate » qui perm ettrait déjà aux médecins généralistes « de faire beaucoup sans nécessairement recourir à la psychiatrie ».
Moins évident en ville !
Des généralistes qui, comme le souligne le Dr Pachabezian, sont encore plus à la peine lorsqu’il s’agit d’arrêter les traitements. « Bien que soi-disant ‘experts’ en toxicomanie, en médecine générale, on est un peu perdu. On ne sait pas dans quelles conditions on met un patient en diminuant les doses ou en les augmentant. Ce n’est pas la même chose que de pouvoir les suivre de si près lors d’une hospitalisation. » Des lits d’hospitalisation effectivement encore trop rares pour le directeur de la clinique Montevideo.
Autre problème de taille, selon lui : la majorité des CSST qui ferment leurs portes à 18 heures le vendredi pour les rouvrir à 10 heures le lundi matin. « L’accessibilité, tel est le maître mot, insiste-t-il. Plus les TSO sont rendus accessibles, mieux c’est pour la communauté. Les structures bas seuil devraient rester ouvertes 7 jours sur 7, il faut s’organiser, même si pouvoir le faire est aussi une question de moyens ».
Une prise en charge où comme le rappelle enfin François Lafargette, les pharmaciens ont aussi un rôle important à jouer. « C’est à nous d’être le pilier, la pierre angulaire qui fait que le traitement avance. Les patients comptent aussi sur nous ». Des pharmaciens qui restent encore « trop peu nombreux à être impliqués » qui s’en sont « pris plein les dents » et qui n’ont « pas que des amis dans la profession », mais qui aspirent aujourd’hui à « se regrouper pour poser les nouvelles bornes à suivre ».
Mais au-delà des pratiques à affiner et à codifier, pour William Lowenstein, il importe également de « sortir du « patient qui sait forcément », à la limite qui dicte l’ordonnance, et arrêter de trop l’écouter. Il faut moduler les choses car en médecine, c’est quand même rare que ce soit le patient qui sache tout ». Dernier challenge, et non des moindres, faire accepter à tous l’idée que les TSO sont des traitements à part entière : « Il y a très peu de maladies pour lesquelles, comme pour la toxicomanie avec les traitements de substitution, on a réduit la mortalité de 80%. Mais on n’y fait pas attention, cela ne pèsera jamais dans la balance ! ». Le chemin semble décidément long à parcourir…