Dépendance alcoolique
Quatre interventions portaient sur le traitement de la dépendance alcoolique.
L’abstinence étant historiquement le premier résultat attendu du traitement de la dépendance à l’alcool et autres drogues, Richard N. Rosenthal (Columbia University, New York) a, tout d’abord, souligné que de nombreux traitements permettent désormais de réduire la consommation, même si l’abstinence totale n’est pas atteinte. Le nombre de jours passés à boire ou à boire beaucoup devrait donc, selon lui, être pris en compte pour évaluer l’efficacité des traitements.
Roger D. Weiss (Harvard Medical School, Cambridge, Massachusetts) s’est, pour sa part, intéressé à la compliance au traitement qui, si elle est trop faible, peut réduire l’efficacité des médicaments. Il importe donc de la surveiller d’une manière ou d’une autre, la plus simple étant d’interroger les patients sur leur prise de traitement, une autre consistant, par exemple, à vérifier les renouvellements de prescription ou à compter le nombre de comprimés.
D’autres stratégies impliquent la famille ou les proches, par exemple en leur demandant d’assister à la prise du médicament, comme c’est souvent recommandé pour le disulfiram. Enfin, certains facteurs, comme les effets secondaires, les dosages compliqués ou le prix des médicaments, peuvent également diminuer la compliance au traitement. D’où l’importance d’arriver à réduire ces différents problèmes.
Henri Kranzler (University of Connecticut School of Medicine, Farmington) a, de son côté, présenté les 3 molécules agréées par la FDA pour le traitement de l’alcoolodépendance : le disulfiram, approuvé depuis plus de 50 ans, qui provoque une sensation de dégoût en cas de consommation d’alcool mais dont l’utilisation est limitée par des problèmes de compliance et les risques d’effets inverses en cas de consommation ; l’acamprosate, autorisé récemment, qui a montré de meilleurs taux d’abstinence contre placebo et la naltrexone, un opiacé antagoniste approuvé en 1994, dont l’efficacité varie mais qui semble limiter la sévérité des rechutes lorsqu’il y en a. Un dosage injectable, présentant l’avantage d’une seule administration mensuelle, est actuellement à l’étude à la FDA.
Trois traitements qui permettent de réduire la consommation d’alcool, sans forcément parvenir à l’abstinence totale.
Enfin, Edward Nunes (Columbia University, New York) a évoqué l’importance des comorbidités psychiatriques chez les consommateurs, en soulignant la nécessité de déterminer si ces pathologies prééxistaient ou si elles étaient induites par la consommation. Il a ainsi montré comment utiliser les critères du DSM-IV pour faire cette distinction, en s’intéressant, par exemple, à l’histoire des symptômes pendant les périodes d’abstinence.
Différents essais se sont, par ailleurs, penchés sur le rôle des antidépresseurs dans la dépression associée à l’alcool, et bien que plusieurs études suggèrent le rôle efficace d’antidépresseurs tricycliques, les inhibiteurs de la recapture de sérotonine (SSRIs) leur sont généralement préférés en raison d’effets secondaires moins importants.
Génétique de l’addiction
Plusieurs généticiens de renom ont fait part de leur expérience lors du symposium consacré à la génétique de la dépendance à l’alcool ou aux drogues, à commencer par Carol A. Prescott (University of Southern California, San Diego), qui a passé en revue les données historiques, dont les études familiales, les études animales et les premières études de génétique moléculaire. Celles portant sur l’adoption et les jumeaux ont par la suite permis de confirmer l’importance de facteurs héréditaires (environ 50%) dans les usages abusifs d’alcool ou de drogues.
Plus récemment, la « Virginia Adult Twin Study of Psychiatric and Substance Use Disorders » (VATSPSUD) réalisée sur plus de 3 600 paires de jumeaux, a permis de clarifier le rôle de facteurs génétiques et environnementaux. Cherchant à évaluer le rôle de différents facteurs lors du début de la consommation, puis lors de l’abus et de la dépendance, le Dr Prescott et ses collègues ont ainsi trouvé des facteurs génétiques et environnementaux différents à chacune de ces étapes bien que certains d’entre eux soient présents aux deux.
D’autres analyses de ces mêmes paires de jumeaux ont, par ailleurs, révélé que si les hommes et les femmes avaient une sensibilité génétique similaire au développement de l’alcoolisme, certains facteurs génétiques spécifiques n’étaient pas les mêmes d’un sexe à l’autre.
Enfin, des résultats plus récents de la « Virginia Twin Registry Study » ont également montré que les principales influences génétiques de l’addiction étaient liées au processus même de l’addiction et non pas spécifiques à chaque substance.
Deborah S. Hasin (Columbia Univesity, New York) a étudié les interactions entre gènes et environnement à l’aide de facteurs macro et micro environnementaux, les premiers étant, par exemple, la disponibilité des produits dans la société, les différences géographiques, les législations et les prix. Autant de facteurs qui peuvent entraîner des différences de consommation. Weitzman et ses collègues ont, par exemple, montré que plus les points de vente d’alcool sont nombreux, plus les problèmes d’alcoolisation sont importants, tandis que d’autres études ont démontré l’impact des lois pour réduire la consommation.
Les facteurs intermédiaires incluent différents stress, l’attrait pour la religion ou les influences sociales. Chez les animaux, le stress néonatal est, par exemple, associé à un risque plus important de dépendance à l’âge adulte. Chez les humains, le stress et la pression sont également associés à un usage accru de drogue ou d’alcool.
À l’inverse, la religiosité apparaît comme un facteur diminuant les taux d’usage et de dépendance aux substances. Enfin, les micro-facteurs, comme les variables cognitives ou personnelles, influencent également les consommations.
Pour conclure, le Dr Hasin a présenté les résultats d’une étude réalisée chez des jumeaux néerlandais qui a notamment montré qu’en l’absence d’éducation religieuse, l’influence de facteurs héréditaires sur le début de la consommation d’alcool était plus importante chez les femmes.
D’autres études sur la génétique ont été présentées (voir le texte original sur http://www.medscape.com/viewarticle/520560 , ou disponible à la rédaction du Flyer).
Usage d’opiacés chez les adolescents
Le congrès proposait également un atelier consacré à l’usage d’opiacés chez les adolescents et à leur prise en charge. Après avoir passé en revue les tendances concernant l’usage d’héroïne chez les adolescents et les données antérieures, Philip Clemmey (Potomac Healthcare Foundation et Mountain Manor Treatment Center) a présenté les résultats d’une étude comparant des adolescents consommant de l’héroïne à ceux n’en ayant jamais pris. Inclus après un traitement résidentiel, les participants étaient suivis pendant 12 mois.
Si l’amélioration était la même au regard de nombreux critères psychiatriques et sociaux (dont le Beck Depression Inventory et le Gain Behavioral Complex Index) et de la fréquence de comportements illicites, le groupe héroïne a enregistré de moins bons résultats dans différents domaines : ils sont ainsi plus souvent passés à l’usage d’autres drogues (cannabis et alcool essentiellement), leur statut psychiatrique et d’usage de substance de départ était généralement pire lors des contrôles, et même lorsqu’ils s’amélioraient grâce au traitement, ils présentaient toujours des problèmes plus sévères à 12 mois sur différentes variables.
Geeta Subramaniam (Johns Hopkins University School of Medicine et Mountain Manor Treatment Center) a, pour sa part, présenté les résultats préliminaires d’une étude comparant les demandes de traitement d’adolescents pour usage abusif d’opiacés à celles pour usage de cannabis et/ou d’alcool.
Chez les premiers, la drogue de choix était l’oxycodone pour 15%, l’héroïne pour 47%, la cocaïne pour 19% et d’autres drogues pour 8%.
Comparés au groupe contrôle, les consommateurs d’opiacés consommaient également plus de cocaïne, de sédatifs et de substances non opiacées, présentant, du même coup, plus de comorbidités liées à ces consommations. Fait intéressant, les taux de comorbidités psychiatriques non liées à l’usage de substance étaient similaires chez les consommateurs d’alcool, de cannabis, et d’opiacés.
La seule drogue d’abus n’est donc pas forcément un bon indicateur du niveau de détérioration du patient, ce qui contraste avec la notion généralement admise selon laquelle une consommation isolée de marijuana ou d’alcool aurait des conséquences plus bénignes. Les seules différences notables entre les 2 groupes portaient ainsi sur des taux significativement plus élevés d’injecteurs (43%), de partage de seringue et de relations sexuelles non protégées (38%) chez les consommateurs d’opiacés.
Soulignant que les connaissances reposaient jusqu’à présent sur des études réalisées chez les adultes, le Dr Subramaniam a, par ailleurs, présenté les résultats d’une étude menée récemment chez des consommateurs d’opiacés âgés de 13 à 17 ans, qui a permis de montrer qu’une cure de sevrage de 28 jours à la buprénorphine sublinguale permettait d’obtenir de meilleurs taux de rétention en traitement et moins d’urines positives au contrôle d’opiacés qu’une cure de 28 jours à la clonidine.
Le Mountain Manor Treatment Center propose un traitement résidentiel de 7 jours avec mesure des symptômes sur la « Clinical opiate withdrawal scale » avant la première prise et pendant le sevrage. Le premier jour, les patients reçoivent une dose de 4 mg d’un mélange buprénorphine/naloxone (Suboxone®), avec ajustement 2 à 3 heures plus tard et possibilité de recevoir une dose additionnelle. Si nécessaire, les doses sont augmentées de la même manière les jours suivants jusqu’au jour 4 (dose maximale : 12 mg). Puis les doses diminuent progressivement jusqu’au jour 7, jour de la dernière dose. Des médicaments comme l’ibuprofen, la dicyclomine et l’hydroxyzine sont également donnés à la demande. A la suite de ce sevrage, la prise en charge proposée comprend d’autres possibilités incluant généralement un traitement de maintenance à la buprénorphine ou à la naltrexone, ou un suivi psychosocial intensif.
Dernières données du Réseau d’essais cliniques
Enfin, trois chercheurs ont présenté les dernières données du Réseau d’essais cliniques (CTN) créé par le National Institute of Drug Abuse (Nida) afin de fournir aux programmes et centres de recherche une structure pour la réalisation d’essais multisites.
Maxine Stitzer (Johns Hopkins University School of Medicine, Baltimore, Maryland) a, tout d’abord, évoqué les techniques de thérapie motivationnelle comme celle du « Fishbowl » de Nancy M. Petry, qui permet de réduire les coûts grâce à des « pêches à la ligne » permettant de gagner un prix lors de séances de remotivation.
Dans l’étude MEDIAR (Motivational Incentives for Enhanced Drug Abuse Recovery), un essai randomisé de 3 mois réalisé dans 8 cliniques auprès de 415 patients abusant de stimulants (méthamphétamines et cocaïne), les sujets ont ainsi reçu des soins courants avec ou sans programme d’encouragements de la méthode Fishbowl.
À 12 semaines, le groupe bénéficiant du programme présentait un meilleur taux de rétention (50%) que le groupe contrôle (35%), tandis que les 2 groupes présentaient des taux importants de contrôles urinaires négatifs. Dans le sous-groupe de consommateurs de méthamphétamine, les encouragements motivationnels ont cependant amélioré le pourcentage de tests urinaires négatifs et celui des sujets restant abstinents pendant la durée de l’essai.
Pour le Dr Stitzer, ces méthodes sont donc efficaces dans le traitement de l’usage abusif de cocaïne ou de méthaphétamine.
Soulignant l’importance des demandes de sevrage d’opiacés aux États-Unis, Leslie Amass (Friends Research Institute, Baltimore, Maryland) a, pour sa part, présenté les résultats d’un essai comparant un sevrage rapide de 13 jours à la buprénorphine (n=234) versus clonidine (n=110).
Le premier groupe a enregistré de meilleurs taux de rétention en traitement et de tests urinaires négatifs, un peu moins d’évènements négatifs, et moins de craving.
Dans l’ensemble, le groupe buprénorphine est apparu 22 fois plus à même de terminer le traitement.
Des résultats qui suggèrent, avec d’autres, que la buprénorphine pourrait permettre (sous certaines conditions) d’améliorer le passage du sevrage à une prise en charge à plus long terme chez les adolescents.
Pour finir, Robert F. Forman (University of Pennsylvania, Philadelphia) a évoqué une étude au cours de laquelle des questionnaires avaient été distribués aux patients de 41 cliniques et 6 centres de traitement afin d’obtenir leurs réactions sur l’alliance thérapeutique et de mesurer leur satisfaction en matière de traitement. Une fois faxés à un bureau central, les questionnaires étaient analysés et les résultats mis en ligne sur un site Web sécurisé où ils pouvaient être consultés par les cliniciens et les responsables des programmes de traitement. Si les investigateurs ont constaté une diminution de l’usage de drogue entre le début et la fin de l’étude, ce changement n’a concerné qu’un seul site de traitement.
Or, peu de cliniciens de ce site avaient consulté en ligne les résultats des questionnaires distribués aux patients. Les améliorations semblent donc plutôt liées à l’existence d’un système de recueil des réactions sur place qu’à leur transmission aux seuls cliniciens.