Les auteurs de l’étude « Substitution et réincarcération : Éléments d’analyse d’une relation complexe. Résultats d’une étude prospective menée auprès de 507 patients incarcérés en maison d’arrêt entre 2003 et 2006 » :
Ivana OBRADOVIC (1), Jean-Noël MARZO (2), Michel ROTILY (3), Fadi MEROUEH (4), Pierre-Yves ROBERT (5), Bruno VANRENTERGHEM (6), Frédérique SELTZ (7), Patrick VOGT (8) et le groupe RECAMS (9)
1 : OFDT, 2 : UCSA de Villepinte et de Nanterre, 3 : ClinSearch, Bagneux, 4 : UCSA Villeneuve lès Maguelone, 5 : UCSA Nantes, 6 : UCSA de Dunkerque, 7 : UCSA d’Osny, 8 : UCSA de Mulhouse, 9 : Réseau d’Etudes sur les Conduites Addictives, Médicament et Société
Introduction
Les effets positifs des traitements de substitution aux opiacés (TSO), développés en France à partir des années 90, sont aujourd’hui largement reconnus : réduction significative de la morbidité, liée en particulier aux risques infectieux associés à l’usage de drogues par voie intraveineuse, recul des overdoses, diminution des pratiques de partage du matériel lié à l’injection. L’accès aux traitements de substitution s’accompagne aussi d’une amélioration du recours au système de soins : il facilite l’accès aux traitements antirétroviraux et le suivi médical des patients et favorise leur insertion sociale.
Néanmoins, il reste difficile d’apprécier l’effet propre de la diffusion des traitements de substitution sur la dynamique épidémiologique des infections virales : les TSO relèvent en effet d’une politique de réduction des risques globale, mise en place à partir de la fin des années 1980 [Costes, 2003]. Or, en France comme dans de nombreux autres pays européens [Turnbull, McSweeney, 2000], la disponibilité des traitements de substitution en milieu pénitentiaire ne va pas de soi [Michel, Maguet, 2003], même s’il a été clairement démontré que leur mise à disposition pouvait contribuer à la réduction des risques pendant l’incarcération [Dolan, Hall, Wodak, 1996].
Les cas de mésusage et de trafic, rapportés à propos de la buprénorphine haut dosage (BHD), expliquent en partie les résistances persistantes à l’égard des traitements de substitution, parmi certains professionnels des soins exerçant en milieu fermé [Obradovic, 2004].
Cependant, l’impact propre des traitements à la méthadone et à la BHD a été peu évalué en milieu carcéral [Levasseur et al., 2002] alors même que les usagers de drogues illicites y sont sur-représentés : près d’une personne sur 10 entrant en détention déclare une utilisation prolongée et régulière d’opiacés au cours des 12 mois précédant l’incarcération, c’est-à-dire 7 fois plus qu’en milieu libre. En outre, les relations entre la prise en charge sanitaire et la réincarcération ont été peu étudiées, du fait notamment des carences du système d’information statistique existant, en France comme ailleurs, sur la réincarcération des détenus usagers de drogues.
En 2003, une étude épidémiologique a été lancée par un groupe de recherche réunissant le RECAMS, le GIP Recherche Droit et Justice et l’OFDT. L’objectif de la recherche était de tester la corrélation entre la prise d’un traitement de substitution aux opiacés prescrit lors de la première semaine d’incarcération et la réincarcération, au cours des 24 mois suivants. Le suivi de cette étude, menée sous la direction scientifique de Clinsearch et coordonnée par le RECAMS, a été assuré par un comité de pilotage constitué des représentants du groupe de recherche et des autorités sanitaires et judiciaires (Direction générale de la santé, Direction de l’hospitalisation et des soins, Direction de l’administration pénitentiaire).
L’étude a été menée en maison d’arrêt. Les patients décrits dans l’enquête sont donc des prévenus en attente de jugement et des condamnés dont le reliquat de peine est inférieur à un an ou en attente d’affectation dans un établissement pour peine.
Elle a permis de décrire le profil général des détenus dépendants aux opiacés mais aussi de mener une étude prospective, la première du genre en France, sur une période de 24 mois, de façon à évaluer le taux de réincarcération des détenus ayant bénéficié de TSO, par rapport au groupe-témoin des détenus qui n’en ont pas bénéficié pas de TSO au moment de leur entrée en détention. Cette analyse a permis de pointer les facteurs associés à la réincarcération.
Enfin, l’enquête s’est attachée à mettre en exergue les différences de profils entre les personnes bénéficiant d’un TSO à l’entrée en détention (pour la première fois ou non) et celles dont la substitution a été interrompue ou non renouvelée à l’entrée en prison, qui sont autant d’éléments utiles, en termes d’aide à la décision, pour repérer les signes prédictifs d’un abandon du traitement (ou anticiper un abandon du traitement).
Repères méthodologiques
L’objectif initial de l’enquête était d’étudier l’impact des traitements de substitution par buprénorphine ou méthadone sur la réincarcération de détenus dépendants aux opiacés, de façon prospective, sur une durée de deux ans (de juin 2003 à septembre 2006).
Toutefois, pour des raisons de faisabilité en maison d’arrêt, l’étude n’a pas été randomisée. Elle ne prétend donc pas être une étude de cas-témoins : elle s’attache plutôt à décrire précisément la population des entrants dépendants aux opiacés, à observer les modalités de prise en charge socio-sanitaire de ces personnes avant, puis pendant l’incarcération, et leur éventuelle incidence sur le devenir médical et pénal des patients bénéficiant de TSO.
L’étude a été menée auprès de médecins volontaires exerçant dans les unités médicales de 47 maisons d’arrêt (sur 117 en France métropolitaine), sans distinction de pratique à l’égard de la substitution. Elle a permis d’inclure 507 patients sur la base des critères suivants : prévenus ou condamnés, dans leur première semaine d’incarcération et dépendants aux opiacés (quel que soit le mode de prise des opiacés), bénéficiant ou non d’un traitement de substitution (prescrit avant ou pendant la présente incarcération), volontaires pour participer à l’étude et signataires à ce titre d’une lettre de consentement éclairé. Les détenus mineurs, transférés d’un autre établissement ou refusant de participer n’ont pas été inclus dans l’étude.
L’étude a comporté trois phases distinctes :
- L’inclusion des patients au cours de la première semaine d’incarcération, de juin 2003 à septembre 2004. Si le patient répondait aux critères d’inclusion, le médecin-enquêteur complétait en sa présence 4 questionnaires : un questionnaire médical (caractéristiques sociodémographiques, dépendance aux opiacés et historique de la toxicomanie, état de santé et antécédents médicaux), un questionnaire dit « pharmacie » examinant les traitements prescrits au patient lors de son entrée en maison d’arrêt (notamment liés à la dépendance aux opiacés et aux consommations de psychotropes), un questionnaire dit « de réincarcération » et un questionnaire « de mortalité » dont seule la partie concernant l’identité du patient était remplie, pour pouvoir faire l’objet d’une exploitation ultérieure. Ces deux derniers questionnaires ont été complétés pendant les phases suivantes de l’étude.
- Le recueil des données de réincarcération, obtenu à partir du Fichier national des détenus (FND) de la Direction de l’administration pénitentiaire, consulté pendant trois années successives (octobre 2004, septembre 2005 et octobre 2006). Ces données concernaient les séjours en détention successifs, les dates de libération et le statut pénal des patients (prévenu, condamné ou les deux).
- Les données concernant les dates et les causes d’éventuels décès ont été recherchées systématiquement auprès de l’INSEE, de l’INSERM et des instituts médico-légaux. L’analyse des facteurs de mortalité, du fait du faible nombre de décès 24 mois après l’inclusion (10 décès, soit un taux annuel de mortalité brute de 1 %), n’est pas statistiquement significative entre les deux groupes. Les données individuelles pour chaque patient proviennent donc de trois sources différentes : le médecin-enquêteur, le Ministère de la Justice et l’INSEE-INSERM.
Les maisons d’arrêt qui ont participé représentent 46 % de la capacité d’accueil de l’ensemble du territoire. Elles sont majoritairement de petite taille (1 à 400 places pour 77 % d’entre elles) : 19 % sont de capacité moyenne (400 à 1 000 places) et 4% sont des établissements de plus de 1 000 places. Les maisons d’arrêt en Ile-de-France et dans le Languedoc- Roussillon totalisent près de la moitié des patients étudiés, alors que celles situées dans le Centre et en Bourgogne n’ont réalisé qu’une seule inclusion.
Profil général des détenus en maison d’arrêt dépendants aux opiacés
Les 507 patients inclus dans l’étude ont en moyenne 30 ans [18-49]. Ce sont majoritairement des hommes (96 %), condamnés (60 %, vs 40 % de prévenus), sans enfant (54 %), titulaires d’un niveau d’études équivalant au BEP ou au CAP (57 %, vs 16 % avec un niveau d’études BEPC, 13 % de niveau bac ou supérieur, 11 % de niveau école primaire et 3 % autres). Environ un tiers était en situation d’activité professionnelle avant l’incarcération (35 %), 28 % étaient bénéficiaires du RMI, 24 % bénéficiaires d’allocations sociales, à la charge d’un tiers ou relevant d’autres types de situations et 13 % au chômage. La majorité des patients occupaient un logement indépendant avant l’incarcération ou bien vivaient chez leurs parents (36 % et 37 %). Environ 10% étaient sans domicile fixe. Du point de vue de la situation pénale, 78 % des personnes détenues dépendantes aux opiacés avaient déjà connu un épisode d’incarcération, voire plusieurs (4 en moyenne). Leur âge lors de la première incarcération était de 20 ans en moyenne.
À l’incarcération, 79 % des entrants dépendants aux opiacés déclaraient être sous traitement de substitution (soit 394 sujets). Parmi eux, la plupart (82 %) étaient déjà sous TSO avant l’incarcération et 18 % ont bénéficié d’une initialisation à l’incarcération, ce qui rejoint les chiffres nationaux recueillis pour l’ensemble des établissements pénitentiaires (2) [Morfini, Feuillerat, 2004]. La part de la BHD parmi les prescriptions de TSO dans le mois précédant l’incarcération avoisine 63 %. La majorité des détenus dépendants bénéficiait par ailleurs d’une couverture maladie (54 %) et avait déjà bénéficié d’une prise en charge médicale pour un problème de drogues (84 %), la plupart du temps initiée par un médecin de ville (54 %). Environ 37 % se sont vu prescrire un anxiolytique dans le mois précédant l’incarcération, 22 % un hypnotique, 12 % des antidépresseurs et 9 % des neuroleptiques.
Les indicateurs de santé mentale et physique dans cette population traduisent une fragilité intrinsèquement liée aux pratiques d’usage de drogues. À l’inclusion, 23 % déclaraient des antécédents d’overdose et un quart environ a connu une hospitalisation en soins psychiatriques hors sevrage (24 %). En outre, 37 % avaient déjà fait une tentative de suicide. En outre, l’âge des personnes détenues dépendantes aux opiacés lors de la première injection d’héroïne était de 20 ans en moyenne.
Facteurs associés à la réincarcération
Trois ans après le début des inclusions, 94% de ces patients avaient été libérés (n=472) et 6% (n=29) étaient toujours incarcérés (condamnés effectuant le restant de leur peine ou prévenus en attente de jugement à l’inclusion, incarcérés en tant que condamnés deux ans plus tard). Parmi les 472 personnes dépendantes aux opiacés sorties de détention pour l’infraction à l’origine de l’incarcération, la moitié ont été réincarcérées au moins une fois (3) (n=238).
Les patients sous TSO à l’inclusion présentent plus souvent des profils marqués par un cumul de condamnations pénales. En effet, la part de patients réincarcérés au moins une fois apparaît légèrement plus élevée parmi les détenus qui étaient sous TSO lors de la première semaine d’incarcération (52 % vs 41 %, p=ns). Cette observation ne permet pas d’établir un lien de causalité entre le fait d’avoir bénéficié d’un TSO et la réincarcération à deux ans : elle soulève néanmoins une série de questions quant au lien entre substitution et réincarcération.
Le différentiel que l’on observe dans la part des patients bénéficiaires d’un TSO selon le statut pénal n’est pas interprétable en tant que tel : il peut refléter une différence de structure dans le profil pénal des patients.
Autrement dit, ce rapprochement entre les chiffres de la substitution et ceux de la réincarcération permet simplement d’appréhender la complexité de la relation qui lie ces deux notions et de pressentir l’importance des variables explicatives exogènes – dont toutes n’ont pas été, et pourraient difficilement être incluses dans l’enquête.
Il peut s’agir de variables socio-familiales (statut matrimonial, par exemple) ou pénales, reconnues dans de nombreuses études comme « facteurs de récidive » : en effet, si la fréquence de la récidive dépend de la nature de l’infraction, elle varie aussi en fonction du quantum de la peine prononcée, et ces caractéristiques sont statistiquement dépendantes [Kensey, 2007].
Par ailleurs, on sait qu’il existe une corrélation positive entre la proportion de temps passé en détention et le taux de retour en prison : autrement dit, la présentation du taux de réincarcération ainsi mesuré est ambivalente dans la mesure où le sur-risque d’une nouvelle incarcération est d’autant plus élevé que le casier judiciaire d’un patient est « chargé ».
Il faut rappeler aussi que l’étude n’a pas pris en compte, dans le calcul du taux de réincarcération, la période d’exposition au risque de réincarcération. En d’autres termes, la date de réincarcération n’ayant pas été recueillie lors des consultations successives du Fichier national des détenus, le taux de réincarcération n’a pu être pondéré de façon à prendre en considération le temps moyen effectivement passé en liberté, avant une nouvelle incarcération (ou non).
Le statut vis-à-vis de la substitution apparaît donc clairement comme un facteur de confusion etremet en cause la légitimité d’une analyse fondée sur l’hypothèse d’une influence propre de la substitution sur la probabilité individuelle d’un retour en détention.
En somme, cette étude met en lumière deux types de facteurs significativement associés à la réincarcération. Le plus manifeste tient au fait d’avoir déjà connu un ou plusieurs épisodes d’incarcération et à la précocité de la primo-détention : 87 % des patients dépendants aux opiacés réincarcérés après deux ans avaient déjà fait l’objet d’une peine d’emprisonnement (vs 73 % parmi les patients libérés et non réincarcérés), 5 fois en moyenne (vs 4 fois), avec une primoincarcération à 19 ans en moyenne (vs 21 ans).
Le second élément significatif tient au passé de la toxicomanie des détenus dépendants aux opiacés. Le fait d’avoir connu un ou plusieurs antécédents d’overdose est associé à un sur-risque de réincarcération. Parmi eux, 30 % ont connu au moins un épisode de surdose (vs 20 % chez les détenus libérés non réincarcérés).
Si cette enquête prospective n’offre pas de résultats nouveaux quant aux déterminants du lien entre substitution et réincarcération, elle permet toutefois de différencier plus finement le profil des usagers d’opiacés présentant un sur-risque de réincarcération d’une part, mais aussi celui des usagers d’opiacés faisant l’objet de TSO lors de l’incarcération.
Comparatif des profils d’usagers d’opiacés bénéficiaires ou non de TSO
Du point de vue socio-démographique, il n’existe aucune différence de profil entre les populations d’usagers d’opiacés bénéficiant ou non de TSO. Les traits distinctifs concernent la situation pénale, l’historique médical et les pratiques de consommation de psychotropes.
Un passé pénal plus chargé parmi les personnes détenues sous TSO
Les patients sous TSO à l’incarcération déclarent plus souvent des antécédents judiciaires : 81 % ont déjà été incarcérés (vs 68 % des patients ne bénéficiant pas de TSO) et le nombre moyen de séjours en détention déclarés est également plus élevé (6 en moyenne, vs 4,6). En outre, leur âge lors de la première incarcération est plus précoce : 20,7 ans en moyenne, vs 22,4 ans. Il semble donc que les détenus dépendants aux opiacés bénéficiaires de TSO lors de la première semaine d’incarcération se distinguent par un cumul de condamnations plus élevé et des trajectoires pénales plus anciennes et plus précoces. Il faut interpréter ces données qui semblent suggérer un lien entre substitution et profil pénal avec précaution.
L’enquête ne permet pas de connaître la nature de l’infraction pénale à l’origine de l’incarcération lors de l’inclusion (ou des épisodes d’incarcération précédents), et notamment la part des infractions à la législation sur les stupéfiants parmi les condamnations. On ne connaît pas davantage les délais de retour en prison (pour les détenus ayant déjà un historique d’incarcération) ou la durée de la peine, qui permettrait de distinguer les patients selon la gravité de l’infraction commise. Par ailleurs, sur le versant médico-pénal, on ne dispose d’aucune précision sur l’ancienneté de la prise en charge de la dépendance aux opiacés en lien avec le parcours pénal : comment les épisodes d’incarcération, quand ils se répètent, s’intègrent-ils dans l’historique médical du patient ?
On peut penser par exemple que « l’entrée en substitution » est associée à certains profils d’usagers d’opiacés (ceux qui ont commencé à consommer précocement, ou ceux qui ont des fréquences de consommation plus élevées), qui se trouvent être, par ailleurs, des délinquants plus actifs, c’est-à-dire plus facilement repérés (et repérables) par les services répressifs.
On peut aussi envisager que la « lourdeur » du dossier pénal contribue à expliquer une plus grande fréquence des TSO: on sait en particulier que l’initialisation de TSO est plus couramment pratiquée dans les établissements pour peine (accueillant a priori des condamnés à des peines de plus d’un an) [Morfini, Feuillerat, 2004 ; Obradovic, 2004].
Enfin, les pratiques médicales pourraient elles-mêmes influer sur les chances d’avoir accès, ou non, à un TSO, indépendamment des caractéristiques individuelles des patients : on pourrait s’interroger, en parallèle, sur les critères qui font qu’un usager dépendant aux opiacés est jugé, en pratique, éligible à une prescription de méthadone ou de BHD. La substitution serait-elle plus souvent prescrite, par exemple, à des détenus qui ont déjà un historique d’incarcération ? Ont-ils bénéficié d’une prescription de TSO au cours d’une incarcération antérieure ?
Des antécédents médicaux plus fréquents et une meilleure couverture maladie parmi les patients sous TSO
Les détenus sous TSO se distinguent par une plus grande prévalence de certaines co-morbidités psychiatriques : ils sont deux fois plus nombreux à déclarer une hospitalisation psychiatrique au cours de la vie, en dehors des cas d’hospitalisation pour sevrage (27 % vs 13 %) ; ils sont significativement plus nombreux également à avoir déjà fait une tentative de suicide (40 % vs 26 % des patients ne bénéficiant pas de TSO) et à rapporter des antécédents d’overdose (27 % vs 13 %). Près d’un détenu sous TSO sur cinq (16 %) a même connu plus d’un épisode de surdose au cours de sa vie.
De même, les détenus sous TSO déclarent plus fréquemment l’usage d’au moins un psychotrope au cours du mois précédant l’incarcération (55 % des patients sous TSO vs 35 % des patients ne bénéficiant pas de TSO), qui s’avère être, le plus souvent, un anxiolytique ou un hypnotique (52 % des patients sous TSO vs 29 % des patients qui n’en bénéficiaient pas à l’inclusion).
En outre, les détenus sous TSO connaissent plus fréquemment leur statut VHC (88 % vs 74 %) et leur statut VIH (88 % vs 78 %). Parmi ceux-ci, 44 % sont séropositifs au VHC, soit deux fois plus que chez ceux qui ne bénéficient pas de TSO.
Enfin, les détenus sous substitution sont plus nombreux à bénéficier de la CMU (59 % vs 44 % des patients non bénéficiaires de TSO) et parallèlement, moins nombreux à ne bénéficier d’aucune couverture maladie (5 % vs 17 %). Cette meilleure prise en charge sanitaire peut s’expliquer par le fait que les patients sous substitution se perçoivent plus souvent en mauvais état de santé : 34 % jugent leur état de santé « plutôt mauvais » ou « très mauvais », vs 22 % des détenus ne bénéficiant pas de TSO.
Des prescriptions d’anxiolytiques, de neuroleptiques et d’hypnotiques plus fréquentes parmi les dépendants aux opiacés ne bénéficiant pas de TSO
Les données collectées auprès des pharmacies confirment que les personnes détenues ne bénéficiant pas de TSO font significativement plus souvent l’objet de prescriptions d’anxiolytiques (47 % vs 34 %), de neuroleptiques (46% vs 14 %) et d’hypnotiques (45 % vs 30 %) que les personnes sous TSO. On peut faire l’hypothèse que la relative sur-consommation, chez les patients ne bénéficiant pas de TSO, de neuroleptiques, en principe réservés aux patients atteints de troubles graves et déconseillés pour les usagers d’héroïne, répondrait au besoin exprimé par ce type de patients de soulager des états d’agitation.
Les antidépresseurs font exception à cette tendance à la surconsommation de psychotropes par les patients ne bénéficiant pas de TSO, puisque les patients sous substitution sont plus nombreux à y avoir recours (12 %, vs 6% des patients qui ne sont pas sous TSO), même si la différence est un peu moins significative que pour les autres médicaments psychotropes.
Conclusion
L’enquête confirme que l’accès aux moyens de traitement de la dépendance aux opiacés a largement progressé en milieu carcéral et que l’entrée en milieu carcéral ne se traduit plus que marginalement par un arrêt des traitements en cours. L’étude souligne aussi que le recours à la BHD reste majoritaire (4).
L’apport principal de ce travail consiste d’une part à montrer la fréquence de la réincarcération des détenus, d’autre part à décrire les différences de profils entre les dépendants aux opiacés bénéficiant d’un TSO ou non.
Les patients sous substitution se distinguent par un historique pénal et des antécédents d’incarcération plus lourds, à l’image d’itinéraires de vie plus heurtés. Ils sont plus nombreux à juger leur état préoccupant ; leur recours aux soins et leur couverture sociale sont meilleurs et ils sont moins sujets aux prescriptions de psychotropes durant la détention.
Ainsi, le fait de bénéficier d’un TSO apparaît comme un marqueur de fragilité, sur les plans judiciaire et psychiatrique en particulier ; néanmoins, les patients sous TSO sont plus portés que les autres vers une démarche de soins.
Si les résultats de l’étude sont non conclusifs du point de vue du lien entre substitution et réincarcération, c’est en partie du fait du différentiel de profil des bénéficiaires de TSO en termes d’avenir pénal.
Si les résultats de l’étude ne sont pas conclusifs du point de vue du lien entre substitution et réincarcération, c’est en partie du fait du différentiel de profil des bénéficiaires de TSO, en termes d’avenir pénal. Compte tenu des limites de l’enquête, qui ne saurait être une étude d’impact de la substitution (une étude randomisée n’étant pas réalisable en milieu pénitentiaire), le résultat le plus saillant porte sur les facteurs de « vulnérabilité » repérables chez les patients bénéficiaires d’un TSO. Alors même que l’on connaît les bénéfices individuels des traitements de substitution, il s’avère que le fait d’avoir été sous TSO lors d’une incarcération antérieure ne semble pas être un facteur de protection contre une nouvelle incarcération.
L’un des facteurs explicatifs tient justement à une relative « inégalité des chances de réinsertion » dès l’entrée en prison. Les études existantes montrent que la prise d’un TSO durant une période d’incarcération réduit le nombre des réincarcérations ultérieures par rapport aux sujets ayant bénéficié d’un sevrage [Levasseur, 2002]. Néanmoins, la substitution n’aurait pas d’influence propre sur la probabilité d’un retour en détention.
La réussite du traitement de la dépendance semble donc associée à la nécessité de l’accompagnement de ces patients. Les patients se distinguent par un cumul de problèmes sociaux plus importants et une dépendance plus ancienne ; cette fragilité actualise donc la question de leur encadrement dans la prise en charge sanitaire pendant la détention, dans une optique d’insertion à la sortie et de prévention de la récidive pénale. Les perspectives de recherche que fait émerger cette étude ont donc partie liée avec la problématique du suivi socioéducatif avant l’incarcération, au cours de la période de détention et également à la sortie.
L’étude montre en outre que ce suivi psychosocial et éducatif correspond à une attente de la part des personnes détenues.
Cette étude a été réalisée avec des financements provenant du laboratoire Schering-Plough, de l’OFDT et du GIP Recherche Droit et Justice.
Notes :
- (1) Cette étude rétrospective concernant neuf maisons d’arrêt françaises a été réalisée de décembre à mars 2000 (sur la base de 3 606 dossiers médicaux, réunis entre mai et juillet 1997). Elle interrogeait le lien entre traitements de substitution prescrits en milieu carcéral et réincarcérations dans les trois années et demi suivant l’incarcération de 1997. Elle montrait que la prise d’un TSO durant une période d’incarcération réduit le nombre des réincarcérations ultérieures par rapport aux sujets ayant bénéficié d’un sevrage : après plus de trois ans, 19 % des sujets ayant reçu un traitement de substitution ont été réincarcérés, contre 39 % de ceux qui ont fait l’objet d’un sevrage. La portée de cette étude était cependant limitée, du fait du faible nombre de maisons d’arrêt qui ont participé à l’enquête (ce qui pose la question de leur représentativité) et de la méthode rétrospective employée, qui supposait de retrouver les dossiers des patients correspondant à une période déterminée d’incarcération et qui a donc soulevé le problème de l’exhaustivité des données recueillies. Ce travail était présenté d’ailleurs comme une simple étude de faisabilité d’une possible recherche prospective.
- (2) La dernière édition de l’enquête sur les traitements de substitution en milieu carcéral (février 2004) donne 85% de poursuites de traitement et 15 % d’initialisations. Elle relève également que la part des traitements initiés est plus importante dans les établissements pour peine (42 %) que dans les maisons d’arrêt (21 %), bien que les détenus de maisons d’arrêt soient proportionnellement plus nombreux à bénéficier de tels traitements.
- (3) Le taux de réincarcération a été calculé pour chaque patient, en tenant compte de la durée totale du suivi en mois et en écartant de l’échantillon les 29 patients toujours incarcérés 3 ans après l’inclusion (soit un échantillon de 478 patients).
- (4) Ces deux aspects de l’étude des traitements de substitution en milieu carcéral seront plus longuement abordés dans un prochain numéro de Tendances, consacré à la question de l’initialisation des traitements par méthadone en milieu pénitentiaire et à l’analyse des pratiques médicales de prescription de TSO. Le rapport final de l’enquête faisant le bilan de l’application de la circulaire du 30 janvier 2002 relative à la primo-prescription de méthadone par les médecins exerçant en établissement de santé sera prochainement disponible en ligne [Canarelli, Obradovic, 2008].
Références
- Canarelli (T.), Obradovic (I.), Initialisation d’un traitement par méthadone en milieu hospitalier et en milieu pénitentiaire. Analyse des pratiques médicales depuis la mise en place de la circulaire du 30 janvier 2002 relative à la primoprescription de méthadone par les médecins exerçant en établissement de santé, Saint-Denis, OFDT, 2008 (à paraître).
- Costes (J-M.) (dir.), Substitution aux opiacés. Synthèse des informations disponibles de 1996 à 2001 en France, OFDT, Paris, juin 2003, 80 p.
- Dolan (K.), Hall (W.), Wodak (A.), Methadone maintenance reduces injecting in prison, BMJ 1996; 312(7039):1162.
- Draine (J.), Solomon (P.), Meyerson (A.), Predictors of reincarceration among patients who received psychiatric services in jail, Hosp.Community Psychiatry, 1994; 45(2): 163-7.
- Kensey (A.), Prison et récidive, Armand Colin, Paris, 2007.
- Levasseur (L.), Marzo (J-N.), Ross (N.), Blatier (C.), Lowenstein (W.), « Fréquence des réincarcérations dans une même maison d’arrêt : rôle des traitements de substitution », Annales de Médecine Interne, 2002, 153(3).
- Michel (L.), Maguet (O.), L’organisation des soins en matière de traitements de substitution en milieu carcéral, rapport pour la Commission nationale consultative des traitements de substitution, 2003.
- Morfini (H.), Feuillerat (Y.), Enquête sur les traitements de substitution en milieu pénitentiaire : février 2004, document DGS/DHOS (non publié).
- Mouquet (M-C.), « La santé des personnes entrées en prison en 2003 », DREES « Études et résultats », n°386, mars 2005.
- Obradovic (I.), Addictions en milieu carcéral, 2003, OFDT, Saint-Denis, décembre 2004.
- Rotily (M.), Delorme (C.), Galinier (A.), Escaffre (N.), Moatti (JP.), HIV risk behaviour in prison and factors associated with reincarceration of injecting drug users, Presse Méd.2000; 29(28): 1549-56.
- Turnbull (P.), McSweeney (T.), Drug treatments in prison and aftercare: a literature review and results of a survey in European countries. Drug misusing offenders in prison and after release 2000, Strasbourg: 41-59.
Commentaire du Dr Betty BRAHMY, CSST Maison d’arrêt BOIS D’ARCY
Publié dans le Flyer n° 33 (Sept. 2008)
Cette étude française donne des résultats surprenants par rapport aux données de la littérature scientifique étrangère sur le taux de ré-incarcération des usagers bénéficiant d’un TSO.
Si l’on se réfère à l’étude de Sara L. Johnson (1) de la Direction de la recherche du Service correctionnel du Canada, les taux de réincarcération des usagers bénéficiant de la mise en place d’un TEM (Traitement d’Entretien à la Méthadone) sont plus faibles à 6 mois comme à 12 mois, par rapport aux usagers n’en bénéficiant pas.
Dans l’étude de Dolan (2) du National Drug and Alcohol Research Centre de Sydney en Australie, les taux de ré-incarcération sont diminués de 70% pour les patients sous méthadone depuis 8 mois ou plus. Dans l’étude de Kinlock (3), bien que non-significative car trop précoce pour l’apprécier, la tendance s’oriente vers des taux de ré-incarcération plus faibles pour ceux qui ont débuté un traitement par la méthadone pendant l’incarcération.
Dans son étude, Bellin (4) a même démontré que les taux de ré-incarcération étaient significativement plus faibles avec une posologie supérieure à 60 mg lors de la remise en liberté qu’une posologie inférieure à 60 mg.
En fait, l’un des biais qui pourrait expliquer cette discordance est la ‘faiblesse’ méthodologique de l’étude de l’OFDT, son caractère observationnel et le fait que près des 2/3 des TSO étaient à base de buprénorphine, alors que dans les études précédemment mentionnées, il ne s’agit que de méthadone.
On peut noter également une non-connaissance du maintien ou non du traitement et de son observance après la sortie de prison et donc des liens directs et réels entre ré-incarcération et TSO ; il en est de même du projet social par rapport à l’hébergement qui nous semble un facteur majeur de rechute et donc de réincarcération.
- (1) Incidence du traitement d’entretien à la méthadone en milieu carcéral sur l’issue de la mise en liberté. Sara L. Johnson, disponible sur www.csc-scc.gc.ca
- (2) Four-year follow-up of imprisoned male heroin users and methadone treatment: mortality, re-incarceration and hepatitis C infection. Dolan, K et al. Addiction, 2005 (Vol. 100) (No. 6) 820-828.
- (3) A Study of Methadone Maintenance for Male Prisoners : 3-Month Postrelease Outcomes. Timothy W. Kinlock. Criminal Justice and Behavior, Vol. 35, No. 1, 34-47 (2008).
- (4) High Dose Methadone Reduces Criminal Recidivism in Opiate Addicts. Bellin, Eran, et al. Addiction Research. 1999; 7(1).